l'erreur vient-elle du jugement ou de la sensation ?
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Il semble que nous sommes autant abusé par nos sens que par notre jugement, or comment démêler ce qui
échoue à l'un et l'autre lorsqu'ils se présentent comme intimement liés : le danseur commet une erreur dans l'ordre des
pas, faut-il incriminer le jugement ou la sensation ? La question est d'autant plus délicate que l'erreur est une notion
relativement lâche, il y a des erreurs pratiques, qui ont lieu dans l'application d'un protocole, et celles liés à la
connaissance, qui nous font prendre le faux pour le vrai.
Il nous faudra donc dénouer ce qui revient au jugement et à la
sensation dans le cas de l'erreur.
I- De l'intimité entre sensation et jugement.
D'entrée on voudrait exclure de la discussion les cas qui ne souffrent d'aucune ambiguïté, ceux où aucune
sensation n'intervient.
Dans un raisonnement syllogistique, ou quelque opération purement logique, il paraît clair que
l'erreur ne peut être liée qu'au jugement.
Seulement ce n'est simple qu'en apparence, si l'opération logique demandée
n'apparaît pas comme infaisable, on peut incriminer une erreur d'inattention.
Or une baisse de la concentration ne renvoiet-elle pas à une sensation ? Un effort intellectuel est un effort au sens plein du terme, il sollicite un concours du corps, dès
lors comment croire que dans l'activité réflexive la sensation n'interviendrait jamais, il n'y a pas d'activité purement
intellectuelle, la pensée est toujours bordée, soutenue par le corps.
Il y a des cas où la sensation apparaît comme confondue avec le jugement, lorsque je ressens une brûlure il n'y a
pas de délai entre la sensation et le jugement, je sais parce que je sens.
De même lorsque j'ai une sensation olfactive mon
entendement cherche spontanément quel en est l'origine ou encore si j'entend une voix, je juge en même temps du sens
des mots et je sais sans délai si c'est une voix que je connais.
Sensation et jugement paraissent liés de sorte qu'il devient abstrait de vouloir à tout prix identifier leur rôle
respectif quand une erreur est commise.
II- C'est la sensation qui induit le jugement en erreur.
Or, si sensation et jugement sont imbriqués, au point qu'il est impossible parfois de reconnaître la priorité
temporelle de la sensation, il faut néanmoins reconnaître que cette priorité temporelle est exigée logiquement.
C'est de la
sensation que naît le jugement, excepté dans les opérations purement logiques ou bien celles qui sont un pur exercice de
remémoration où la sensation n'intervient qu'en fond (concours du corps).
Le funambule comme le chirurgien peuvent être
abusé dans leur jugement par une sensation (tactile, visuelle).
Ainsi il faut exercer son sens critique et comme nous l'a appris Descartes, il faut se défier des sens, les sens ne
peuvent m'apprendre la nature du morceau de cire, seul l'entendement est capable
d'unifier sous un concept la diversité inhérente à la cire et d'en tirer l'essence.
Le jugement tel qu'il s'affranchit de la sensation n'est peut-être pas
infaillible mais il ne nous trompe pas comme les sens le font.
Le jugement, par la
médiation réflexive qui lui correspond se garantit contre les erreurs des sens dues à
la spontanéité de ceux-ci.
III- La sensation par essence ne peut commettre d'erreur.
Or, il n'est pas évident que les sens nous trompent.
Le philosophe
contemporain Erwin Strauss a montré dans son livre Du sens des sens que la
sensation n'avait jamais été réellement considérée pour elle-même dans la tradition
philosophique.
L'erreur de Descartes c'est de subordonner la sensation à la
connaissance, de ne pas examiner les sens pour eux-mêmes mais de les confronter
à un idéal d'adéquation avec la vérité supposée en soi de l'objet visé.
Or, comme le défend Strauss il faut distinguer entre sensation et jugement,
avoir la sensation visuelle d'un paysage ce n'est pas juger de la géographie de
celui-ci, il faut distinguer entre un regard complice, amoureux, et un regard qui
dévisage et cherche à connaître par l'examen des traits du visage l'état dans lequel
se trouve une personne.
La sensation est une pure affection, en cela elle ne vise
pas d'elle-même à délivrer la vérité d'une chose, peu lui importe le vrai et le faux,
c'est seulement en tant que le jugement s'appui sur la sensation qu'il peut-être
trompé par elle, mais à proprement parler la sensation n'est pas trompeuse.
Conclusion :
Sensation et jugement vont souvent de pair, lorsque le jugement se construit à partir d'une sensation il peut-être
induit en erreur par celle-ci, il faut alors exercer sa vigilance et son attention pour ne pas rester prisonnier de
l'inexactitude des sens.
Il y a à l'intérieur de l'histoire des sciences une histoire à faire de l'évolution des instruments
techniques qui par leur précision ont exclu peu à peu le rôle des sens humains dans l'élaboration de la connaissance
scientifique.
Toutefois il ne faut pas dire que ce sont les sens qui nous trompent, c'est le jugement qui s'égare lorsqu'il décide
de ne se fier qu'aux sensations, sans vérifier, ni mesurer, les données reçues.
La sensation en elle-même n'est ni vrai ni
fausse, rigoureusement il faut dire que pour la sensation une hallucination est aussi vraie qu'une perception normale.
Le concept d'erreur n'a de sens que lorsqu'une norme distinguant le vrai du faux est engagée, or la sensation est
dégagée de toute notion de vrai et de faux, ce qui n'empêche pas que l'entendement la mette au service de la
connaissance et s'expose donc à en tirer des jugements erronés..
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