L'erreur a-t-elle un rôle à jouer dans l'élaboration de la vérité ?
Extrait du document
«
INTRODUCTION
Définition des termes et problématisation : L'erreur peut être apparentée à la fausseté.
Elle coïncide avec la reconnaissance de ce qui est
faux.
En ce sens elle s'oppose à la vérité et peut difficilement y participer.
Peut-on alors trouver une fonction de l'erreur qui permettrait de
contester cette opposition première entre l'erreur et la vérité ? L'histoire des sciences et même la constitution d'une simple connaissance
suppose q u e nous passions par différentes étapes.
Cela veut donc dire q u e la vérité n'est pas immédiate mais construite.
Or cette
construction n'est pas sans embûches, sans obstacles.
Au contraire c'est le fait même de constater ce qu'il ne fallait pas faire qui nous
permet de savoir quel est le bon chemin.
L'erreur en ce sens d'obstacle à la vérité est productive parce qu'elle permet de dessiner les
contours d e la vérité d e l'extérieur.
La vérité médiate pour être élaborée doit passer par un travail sur son contraire.
L'erreur qui à
première vue ne pouvait pas avoir une quelconque fonction à jouer dans l'établissement de son contraire, se révèle être bien plutôt un
outil efficace permettant de nous éclairer dans la recherche de la vérité.
Pour concilier cette caractérisation contradictoire de l'erreur nous
devrons répondre à trois questions : Dans quelle mesure l'erreur peut-elle être considérée comme passage obligé dans le chemin vers la
vérité ? La vérité est-elle figée ? L'erreur est-elle le moteur de la science ?
Première partie : La constitution de la vérité passe par la reconnaissance de l'erreur.
1.1 Savoir c'est avant tout exclure de fausses connaissances.
« Mais il croyait alors le savoir et il répondait avec assurance comme s'il le savait, et il n'avait pas conscience de la difficulté.
A présent il
reconnaît son embarras, et, s'il ne sait pas, il ne croit pas non plus savoir [...] En tout cas, nous avons fait, à ce qu'il paraît, quelque chose
qui l'aidera à découvrir la vérité.
» PLATON, Phédon, 84.
1.2 Les préjugés sont une forme d'erreur c'est pourquoi il faut s'en libérer.
« Il y a déjà quelque temps q u e j e m e suis aperçu que, d è s m e s premières a n n é e s , j'avais reçu quantité d e fausses opinions pour
véritables, et que ce que j'ai depuis fondé sur des principes si mal assurés, ne pouvait être que fort douteux et incertain ; de façon qu'il
me fallait entreprendre sérieusement une fois e n m a v i e d e me défaire de toutes les opinions que j'avais reçues jusques alors en m a
créance, et commencer tout d e nouveau dès les fondements, si je voulais établir quelque chose d e ferme et d e constant dans les
sciences.
» DESCARTES, Méditations métaphysiques, I.
Transition : si la détermination de la vérité passe par la saisie de l'erreur cela suppose que la vérité peut une fois pour toutes être
fixée.
Or peut-on considérer que la vérité est rigide ?
Deuxième partie : La vérité doit être considérée comme relative.
2.1 L'histoire de la science est faite de ruptures.
« La découverte commence avec la conscience d'une anomalie, c'est-à-dire l'impression q u e l a nature, d'une manière ou d'une autre,
contredit les résultats attendus dans le cadre du paradigme qui gouverne la science normale.
Il y a ensuite exploration, plus ou moins
prolongée, du domaine de l'anomalie.
Et l'épisode n'est clos que lorsque la théorie du paradigme est réajustée afin que le phénomène
anormal devienne phénomène attendu.
» KUHN, La structure des révolutions scientifiques, V.
LA NOTION DE PARADIGME SELON KUHN
L'histoire des sciences, pour Kuhn, n'est pas constituée par un progrès continu et cumulatif, mais par des sauts, par des crises qui
voient des paradigmes se substituer soudainement à d'autres.
Un paradigme, c'est un modèle dominant, faits de principes théoriques,
d e pratiques communes, d ' e x e m p l e s fondateurs qui soudent u n e communauté d e chercheurs, qui orientent leur recherche et
sélectionnent les problèmes intéressants à leurs yeux.
Un paradigme n'est jamais totalement explicite.
C'est pourquoi, selon Kuhn, le
questionnement scientifique n'est jamais neutre.
Dans la postface à son livre La Structure des révolutions scientifiques (1 962), Kuhn cherche à classer les différentes significations du
concept de paradigme :
La notion de PARADIGME
Explications
Désigne une manière d'être et de penser
propre à une communauté scientifique.
(La communauté scientifique est une
société c o m m e les autres, avec s e s
circuits, s e s relations, s e s communautés
d'intérêt et de discussion.)
1) Un même cursus de formation; dans les matières scientifiques, cette «
initiation professionnelle est semblable, à un degré inégalé dans la plupart des
autres disciplines »
: m ê m e enseignement, m ê m e littérature technique,
mêmes exemples, etc.).
2) Un ensemble d'objectifs communs, « qui englobent la formation de leurs
successeurs ».
3) Des réseaux spécifiques de circulation d'informations : périodiques,
conférences spécialisées, articles, correspondances officieuses ou officielles.
Désigne la matrice disciplinaire d e cette
communauté.
(Le paradigme représente « l'ensemble de
croyances, d e valeurs reconnues et de
techniques
qui
sont
communes
aux
membres d'un groupe donné.
» C'est ici
u n e communauté technique d e pratiques,
d e gestes et d e vocabulaire qui soude le
groupe de chercheurs.)
1 ) Des généralisations symboliques : ce sont les éléments formalisables
(symboles, concepts, principes, équations d e base...) couramment utilisés.
Certaines équations fonctionnent à la fois c o m m e l o i s d e l a nature et comme
définitions conceptuelles.
Par exemple, la formule newtonienne : la force est le
produit de la masse par l'accélération, est à la fois une loi de la nature, et une
définition de la force.
2) Des croyances en des métaphores, des analogies fonctionnant comme
modèles heuristiques (qui aident à la découverte).
Par exemple, l'analogie
entre le courant électrique et le modèle hydraulique ; entre des molécules
de gaz et des boules de billard élastiques se heurtant au hasard...
3) Des valeurs générales : exactitude des calculs, cohérence interne, simplicité,
«beauté» d'une démonstration, efficacité des théories...
Ces valeurs peuvent
être c o m m u n e s à plusieurs groupes, mais leur application, leur hiérarchisation
diffèrent souvent d'un cercle scientifique à un autre..
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