L'éphémère a-t-il de la valeur ?
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VOCABULAIRE:
VALEUR: Du latin valor, « mérite », « qualités ».
(1) Propriété de ce qui est jugé désirable ou utile (exemple : la valeur de l'expérience).
(2) En morale, norme ou idéal
orientant nos choix et nos actions (exemple : le bien, la justice, l'égalité).
(3) En économie politique, on distingue la
valeur d'usage d'un objet, qui est relative au degré d'utilité que chacun lui attribue, et sa valeur d'échange (son
prix), qui résulte du rapport de l'offre et de la demande.
La valeur repose-t-elle sur la longévité, sur la rapidité ? Ce qui est éphémère se définit d'abord, négativement,
par opposition à la durée : est éphémère ce qui ne dure pas, ou peu.
On peut alors se demander comment accorder
de la valeur à ce qui ne dure pas.
Mais se pose aussi le problème de la relativité du jugement : l'éphémère renvoiet-il à un moment qui serait défini par rapport à un autre, ou renvoie-t-il à un pur instant, à quelque chose justement
qui ne se mesure pas (l'instant en lui-même n'a aucune durée, aucune épaisseur ni aucune continuité, il est pure
division entre le passé et le futur) ? Comment juger de ce qui n'est pas préhensible ? Tout n'est-il pas provisoire,
tout n'est-il pas éphémère à l'échelle de l'éternité ? Et alors dévaloriser l'éphémère, n'est-ce pas dévaloriser la vie ?
(Voir la formule de Nietzsche, "Courte tragédie [à l'échelle d'une vie], éternelle comédie [à l'échelle de l'éternité]"
dans Le Gai Savoir).
Références utiles : Jean-Jacques Rousseau, Cinquième promenade, Rêveries d'un promeneur
solitaire ; Kierkegaard, L'Instant ; André Clair Kierkegaard, Existence et éthique ; Bergson.
1) Introduction
Voici un sujet gros de présupposés : il semble aller de soi, derrière l'intitulé, que l'éphémère, ce qui ne dure qu'un
jour, peut être soupçonné, mis en question.
Rien de transparent dans cette notion.
La splendeur désolée du soleil
couchant ? La mer qu'on aperçoit à travers les pins et les mimosas ? Qu'est-ce que tout cela qui n'est pas éternel ?
Les fragments transitoires de la comédie et de la jouissance humaine ont-ils bien quelque réalité et sont-ils même
dignes d'existence ? Ce qui est transitoire et ne dure qu'un jour possède-t-il quelque intérêt et répond-il aux
aspirations de la conscience ? Peut-il accéder à une supériorité ? Tel est le sens de l'intitulé du sujet.
Et si l'éphémère détenait une déficience ontologique ? Le temps, dans cette perspective, ne nous mutile-t-il pas,
n'est-il pas une blessure, la blessure de notre existence ? Faut-il, en définitive, privilégier notre finitude ou bien la
pensée de l'éternité, tel est le problème soulevé par le sujet.
Voici un intitulé dont l'enjeu est évident : faut-il aspirer à ce qui dure ou bien à l'éternel (ce qui transcende le
temps) ? Selon la réponse apportée, notre destinée sera éclairée sous un jour bien différent.
2) Discussion
A.
L'éphémère n'a pas de valeur, laquelle s'attache soit à la durée, soit à l'éternité (thèse).
l'éphémère ? Ce terme n'est pas, dans la langue courante, valorisé : est éphémère ce qui est sans lendemain, sans
futur, sans avenir.
Le langage est, à cet égard, dépourvu d'équivoque; ainsi parle-t-on d'une gloire ou d'un succès
éphémères, d'un bonheur éphémère, fragile, fugace et précaire.
La philosophie, réitérant ces préjugés, s'attache,
elle aussi, fréquemment, non point à la valorisation des plaisirs et des jours éphémères, mais à ce qui dure ou
s'inscrit dans l'éternité.
Pourquoi l'éphémère serait-il dépourvu de qualités réellement désirables ? Il participerait, en tous points, à la
déficience ontologique du temps.
Il condenserait et incarnerait cette dernière.
En lui, rien de réel : l'éphémère, ce
qui possède le seul privilège de l'instant qui passe, comme cette soirée ou ce plaisir fugaces que nous goûtons en
leur évanescence, n'a qu'une existence imparfaite et obscure.
À peine advenu à l'être, le voici disparu, évanoui.
Dès
lors, quel pouvoir humain et quelle valeur pourraient bien marquer l'éphémère ? Ouaté de douceur et de mélancolie,
l'éphémère est étranger au vouloir, étranger à l'existence humaine, étranger à l'activité rationnelle de l'esprit et au
calcul.
Si la va-leur se définit comme l'idéal moral normatif par excellence, elle apparaît bien loin de l'éphémère.
Mais, si l'éphémère n'a pas de valeur, quelles réalités pourrait en détenir et incarner ce qui est digne d'estime ? Ce
sera soit la durée, forme de la succession quand notre moi s'attache à la qualité, soit, de manière encore plus
fondamentale, l'éternité: en effet, puisque l'éphémère est fugacité décevante, ce sera l'intemporalité absolue qui
deviendra idéal et valeur, réalité digne d'estime.
Si l'éphémère ne se retrouve jamais, s'il échappe à toute prise
humaine, alors les êtres éternels, qui ne sont pas dans le temps, seront visée de la conscience.
Éternité et
intemporalité apparaîtraient ainsi dignes d'estime.
Transition:
À l'éphémère, cette qualité évanescence du réel, faut-il préférer l'intemporalité, considérée comme le plus grand
idéal normatif ? Il semble que l'on mette ici entre parenthèses notre finitude et notre condition temporelle, en bref
notre incarnation.
D'où la nécessité de reposer la question : l'éphémère a-t-il de la valeur ?
B.
Seul l'éphémère possède de la valeur (antithèse).
La volonté de repousser l'éphémère hors du champ du valorisable et du valorisé s'enracine dans le projet de la
conscience commune— qui valorise « ce qui dure », la matière non périssable, aux dépens du fragile — mais aussi
dans celui de la conscience métaphysique, qui préfère l'éternel à l'éphémère.
N'est-ce point cette double visée qu'il.
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