L'enfance est-elle, pour l'homme, ce qui doit être surmonté ?
Extrait du document
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QUELQUES DIRECTIONS DE RECHERCHE
• S'interroger pour savoir au nom de quelles valeurs et (ou) systèmes de valeur, on peut appréhender que l'enfance
est ce qui doit être surmonté.
• Qu'est-ce qui, dans l'enfance, devrait être surmonté (la réponse à la question ne dépendrait-elle pas aussi de
l'appréhension qu'on se fait de l'enfance ?).
• S'interroger sur le terme « surmonter » : faut-il le confondre avec « nier », « exclure », etc.
? S'agit-il de dépasser
en conservant ? (Cf.
l'Aufheben hégélien)
Cette question nous met en face du grave problème qu'est le rapport entre l'enfance et l'homme, et nous invite à
réfléchir à ceci : y a-t-il un rapport de conflit, une tension entre l'homme et l'enfance, pouvant aller jusqu'à la
destruction de l'un des deux termes afin de préserver la vie de l'autre ?
Il nous appartient bien sûr de définir les termes de la question.
Si l'enfance doit être surmontée, cela nous montre,
dès l'abord, la difficulté que cela représente pour l'homme.
L'épreuve sera douloureuse, et l'homme se trouvera
souvent devant des apories.
Donc, si l'enfance est pour l'homme ce qui doit être surmonté, il y aura épreuves.
Et
ceci seulement pour l'homme, qui diffère des animaux en cela que l'enfance n'est pas seulement un état biologique,
où les adultes subviennent aux besoins nutritifs.
Mais qu'est-ce que l'enfance ? Doit-elle être surmontée et selon quel critère?
La plupart des philosophies ont condamné l'enfance comme étant le lieu des erreurs et des connaissances fausses.
Descartes, en parlant de l'enfance comme lieu de malédictions, disait que nos nourrices étaient responsables du fait
que nous étions des insensés, parce qu'elles nous ont fait croire que tout nous était acquis et que nous pouvions
subordonner l'ordre du monde à nos désirs.
Descartes pose ici le problème crucial de l'éducation.
L'enfance, lieu
privilégié des imaginations débordantes, d'ambitions puériles mais déjà insensées, réclame une éducation destinée à
la guider.
L'éducation, dans l'absolu, serait donc une aide pour éviter, d'une part, à l'homme de devoir entretenir une
tension avec son enfance, d'autre part pour le rendre sage dès son plus jeune âge, lui évitant ainsi des erreurs de
jugement sur sa vie.
Il existe une éducation, mais chaque mot prononcé annonce-t-il un nouveau problème? L'enfance n'est pas le lieu
d'une innocence vierge et totalement pure.
L'enfant est innocent? Oui, sans doute, en ce sens qu'il ne possède pas
de connaissance véritable, et que, s'il fait le mal, c'est par ignorance, selon la conception de Socrate.
Cependant,
l'enfance est un état déjà rempli de connaissances, de perceptions, de traditions.
Au contraire, nous pourrions aller
jusqu'à dire que l'enfant sait beaucoup qu'il peut vivre au sein d'une société.
Seulement, il a accumulé, par
l'intermédiaire d'une éducation jamais remise en cause, des connaissances qui, s'il ne les remet pas en cause, seront
à jamais fruits de la tradition et connaissances immédiates.
L'éducation fait problème : elle vise à emplir un esprit
jeune de formules toutes faites.
Mais elle oublie simplement d'apprendre à réfléchir.
Lorsque Socrate commence à
dialoguer avec un non-initié, il lui conseille tout d'abord d'oublier tout ce qu'il a pu apprendre, de repartir à zéro, et
de construire ensuite, méthodiquement, les énoncés du véritable problème, les véritables définitions.
Et, à travers
les dialogues socratiques, on voit combien il est difficile pour ces hommes de se débarrasser de ce qu'ils ont appris,
de remettre en cause leurs connaissances qu'ils croient intangibles.
L'éducation a accumulé les traditions, les
coutumes, qui ont petit à petit formé le cadre de vie de ces hommes qui se trouvent maintenant privés de tout leur
système de références.
Platon a longuement décrit cette aporie et le vertige devant la perte de tout ce qu'il croyait immuable, de l'homme
qui entreprend le dur cheminement de la connaissance dans l'allégorie de la caverne.
Le récit décrit l'ascension d'un
homme, du plus bas degré de la condition humaine jusqu'à un grade quasi divin.
Dans la caverne, le dos tourné à la
lumière, les hommes ne voient de la réalité que les ombres courant sur la paroi, ombres des marionnettes au-dehors,
renvoyées par la lumière d'un feu.
Les hommes sont persuadés que ce qu'ils voient est la réalité et que cela seul est
vrai, car ils sont « enchaînés par le poids de la tradition ».
Donc nous pouvons établir un parallèle entre l'enfance
dont nous parlions, enfance à la fois innocente et pervertie parce qu'elle sait déjà, et ces hommes, persuadés de
détenir une vérité qui n'est en fait qu'une ombre.
Le maître, car il y a nécessité du maître, va tirer un homme de la caverne, et l'astreindre par des dialogues, des
discussions, à gravir les différentes étapes qui vont le mener jusqu'à la contemplation de la Vérité.
Ce qui est
important, ce sont les souffrances morales endure l'homme, sa tentation de retourner en arrière où la tranquillité lui
est assurée, la difficulté enfin qu'éprouve tout homme à se débarrasser de tout ce qu'il savait et de chercher la
vérité par la voie du dialogue, de la remise en question, voie de patience, de ténacité, de désintéressement aussi...
parce que personne n'est sûr d'atteindre la Vérité.
Si donc l'enfance est une étape à surmonter par l'homme, du fait de la mauvaise éducation qu'il a reçue et qui a
engendré de faux savoirs, c'est aussi parce que l'on a fait croire à l'enfant qu'il pouvait subordonner l'ordre du
monde à ses désirs, donc qu'il n'acceptera pas les difficultés et, d'ailleurs, ne pourra rien contre elles.
Cette attitude, propre à l'enfance, est l'attitude de l'insensé dans la philosophie stoïcienne.
Selon les stoïciens,
l'ordre du monde est immuable et il est vain de vouloir le changer.
Les « représentations », c'est-à-dire les
événements, le sort, sont absolument indépendantes de notre volonté, et sont appelées causes antécédentes.
Pour
expliquer cela, cette philosophie utilise la métaphore du cône et du cylindre.
L'impulsion donnée au cône et au
cylindre est une cause antécédente; cependant le cône tourne sur lui-même, tandis que le cylindre roule.
Les
différentes attitudes dépendent au contraire exclusivement du cône et du cylindre et sont appelées causes
parfaites.
Par là, les stoïciens veulent montrer qu'il est inutile de vouloir changer la cause antécédente qui ne
dépend pas de nous, mais qu'il faut agir ensuite en conséquence, car l'usage de représentations est notre lot.
Donc, pas de subordination du monde aux désirs de l'homme.
Cela est inconcevable dans la philosophie stoïcienne..
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