L'enfance: enfer ou paradis ?
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«
(Introduction)
Euripide écrit, dans l'Axiochos, qu'on devrait plaindre l'homme et pleurer sur son sort, non à sa mort, mais plutôt
lorsqu'il vient au monde en poussant les premiers vagissements: tant est pénible à parcourir le chemin de la vie.
Il y
aurait lieu de se demander, cependant, si les années d'enfance sont une aurore vite recouverte de ténèbres par les
tracas de l'existence ou si elles ne constituent pas plutôt un dramatique prologue à la vie, voire l'âge tragique par
excellence.
L'enfance est-elle un enfer ou bien un paradis ? Pour répondre à cette question, nous l'envisagerons
successivement tic trois points de vue: existentiel, pédagogique et psychanalytique) corrélativement, nous
définirons l'enfance comme une période- de latence des virtualités individuelles, de dépendance vis-à-vis de ceux
qui ont à charge de l'éduquer et d'ambivalence affective à l'égard de l'entourage immédiat.
(1.1) L'adulte juge par rétrospection que les petits sont heureux : l'insouciance des premières années est mise au
compte de l'apparente bénignité des émotions de l'enfant et de son irresponsabilité à tous égards.
Et c'est parce
que le jeu ne répond à aucune fin utilitaire qu'il est considéré par chacun comme l'activité la plus naturelle à
l'enfant.
(1.2) Ce paradis qu'on évoquera plus tard volontiers, les enfants semblent cependant rêver avec ténacité...
d'en
sortir.
Ils ne cessent de se projeter dans le futur en déclarant qu'ils auront telle profession, qu'ils réaliseront tels
projets.
Ce paradoxe tient peut-être en partie à ce que l'adulte est dépité par l'accélération de la fuite du temps ;
au lieu que celui qui n'est pas encore «grand» éprouve quelque insatisfaction de ce qu'à son âge « le temps et les
choses coulent au ralenti» (J.
Cortazar, Circé).
Mais c'est surtout parce qu'il se sent exclu du monde vrai qu'il aspire
à sortir de l'enfance.
Toute bévue, toute faute, mais aussi tout bon mot, toute «trouvaille» réactive la connivence
des adultes et rappelle ainsi à l'enfant qu'il n'est jamais vraiment pris au sérieux: c'est qu'il est, en effet, par
essence, l'être qui doit prendre son mal en patience.
(1.3) Somme toute, c'est le souvenir d'une ouverture illimitée du champ des possibles qui fonde la nostalgie de
l'adulte lorsqu'il repense à son enfance.
Toute vie est l'histoire d'un échec a écrit Sartre, en ce sens.
Peu à peu,
notre histoire acquiert, en effet, l'opacité d'un destin singulier : l'enfant que
nous étions — ayant tout loisir de modeler en imagination ce qui n'était pas
encore advenu — pouvait modifier l'avenir à sa guise.
(II.
1) Certes, l'actualisation ultérieure des virtualités que recèle un enfant
dépendra, dans une large mesure, de l'éducation qu'il aura reçue.
Aussi,
l'enfance doit-elle être envisagée également comme la période durant laquelle
un nouvel être est construit.
L'étymologie latine signale clairement que par
l'éducation, on tâche de « dégager » l'adulte d'un être à peine ébauché.
(II.2) Mais l'enfance, période de formation de l'individu, est aussi, à n'en pas
douter, une période de déformation.
«Notre principal gouvernement est entre
les mains des nourrices », écrivait Montaigne dans ses Essais (livre I, chap.
23).
Et le livre d'Elena Gianini Belotti, Du côté des petites filles, a montré
comment une mutilation subreptice de la petite fille se mêle à l'instruction la
plus captivante, pour peu que l'entourage fasse tenir à celle-ci le rôle plat et
minaudier qui est censé convenir à son sexe.
(II.3) Ainsi, du point de vue pédagogique, l'enfance nous apparaît-elle comme
un âge de dépendance essentielle à l'égard des éducateurs.
Et le plaisir
d'apprendre alterne chez les petits avec l'amertume que suscitent les ordres
non justifiés ou avec la perplexité que leur causent les idées reçues des
adultes..
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