LEIBNIZ et l'erreur de Descartes
Extrait du document
«
...
Ce que Descartes, je m'en souviens, dit quelque part a savoir que,
lorsque nous parlons de quelque chose en comprenant ce que nous
disons, nous avons une idée de cette chose, n'est pas valable.
En effet il
arrive souvent que nous combinions des incompatibles comme lorsque
nous parlons du mouvement le plus rapide, chose impossible, c'est établi,
dont il n'y a en conséquence pas d'idée, et dont cependant il nous est
loisible de parler en nous comprenant.
En effet, je l'ai expliqué ailleurs,
souvent nous ne pensons que confusément ce dont nous parlons et nous
ne sommes pas conscients de l'idée qui existe dans notre esprit, sauf si
nous saisissons la chose par l'intelligence et si nous l'analysons
suffisamment.
(Introduction)
Pour Descartes, le signe de la vérité c'est l'évidence intellectuelle.
L'idée claire
et distincte est une idée vraie.
Définir la vérité par l'évidence, cependant, recule
le problème sans le résoudre.
Car encore faudrait-il savoir à quels signes nous
reconnaîtrons qu'une idée est claire et distincte.
Le critère purement
psychologique de l'évidence est donc insuffisant.
II faudrait un critère logique de
la vérité.
Descartes, notons-le, est conscient de ce problème.
Dans ses
Réponses aux cinquièmes objections il reconnaîtra précisément que « l'erreur ne
consiste qu'en ce ce qu'elle ne paraît pas comme telle ».
Et dans le Discours de la Méthode il avait dit : « Je jugeai que
je pouvais prendre pour règle générale que les choses que nous concevons fort clairement et fort distinctement, sont
toutes vraies, mais qu'il y a seulement quelque difficulté à bien remarquer quelles sont celles que nous concevons
distinctement.
»
Leibniz critique dans ce texte la définition de la vérité par l'évidence — définition qu'il estime vague et subjective — et
propose son propre critère.
(Explication et commentaire)
« Ce que Descartes dit quelque part...
n'est pas valable.
» ...
L'endroit visé par Leibniz c'est un texte des Secondes
réponses dont on peut rapprocher un passage d'une lettre à Mersenne de juillet 1641 : « Nous ne saurions rien
exprimer par nos paroles, lorsque nous entendons ce que nous disons, que de cela même il ne soit certain que nous
avons eu en nous l'idée de la chose qui est signifiée par nos paroles.» Parler en comprenant ce qu'on dit est donc pour
Descartes le signe que nous possédons une idée authentique.
Le langage, pour Descartes comme pour les cartésiens
de la Logique de Port-Royal est le reflet de la pensée.
Peu importe la langue dans laquelle nous nous exprimons : on
peut penser clairement en bas breton.
L'instrument linguistique en tant que tel, le formalisme ont peu d'importance.
Seule compte l'intuition vivante.
Descartes dédaigne les règles du jugement vrai définies par la logique scolastique; s'il
va chercher le modèle de la pensée vraie dans les mathématiques, c'est que pour lui la déduction mathématique n'est
qu'une intuition continuée, c'est que le raisonnement du mathématicien prend sa source dans l'intuition de « natures
simples » de principes évidents par eux-mêmes.
Leibniz est beaucoup plus exigeant pour définir la vérité.
Avoir
l'impression de comprendre, cela ne suffit pas pour être sûr de posséder une authentique idée.
L'idée selon Descartes.
Pour Descartes l'idée claire s'oppose à l'idée obscure, l'idée distincte à l'idée confuse.
II faut
commencer par préciser ces différences, car chez Leibniz nous trouvons le même vocabulaire (il est question plus loin
de pensée « confuse »), mais le sens n'est plus celui de Descartes.
L'idée claire cartésienne c'est l'idée saisie dans une
intuition actuelle, c'est la présence de l'idée à l'esprit attentif (I, 22).
Obscure est en revanche l'idée qui a perdu cette
actualité, une pensée que je me souviens vaguement d'avoir eue autrefois.
Une idée selon Descartes est distincte
quand elle est bien distinguée des autres, quand je ne lui attribue rien de ce qui ne lui appartient pas (Principes, I, 45).
Il est ici très remarquable que Leibniz, beaucoup plus sévère que Descartes en matière de critère,
appelle claire l'idée qui pour Descartes est déjà une idée distincte.
En effet, selon Leibniz une idée est dite claire quand
elle me permet de distinguer son objet parmi les autres.
Mais cette idée claire au sens leibnizien, c'est-à-dire
distinguée des autres, reste une idée confuse si je suis incapable d'analyser ses éléments intrinsèques.
Par exemple,
nous avons, dit Leibniz, une idée claire (Descartes aurait dit distincte) des diverses couleurs parce que nous pouvons
les discerner et les reconnaître sans erreur; cette idée reste confuse cependant, car nous ne pouvons définir une
couleur, l'analyser en ses éléments de façon à pouvoir expliquer ce qu'elle est à un aveugle.
De même, nous pouvons connaître clairement qu'un poème, un tableau, un morceau de musique sont beaux sans que
ce jugement esthétique soit pour autant distinct.
L'émotion esthétique demeure confuse parce que je suis incapable de
l'analyser.
« ...
Il arrive souvent que nous combinions des incompatibles.
»
Dans une lettre à Elisabeth de 1678 Leibniz développe l'exemple auquel il fait ici allusion, celui du mouvement le plus
rapide.
Le « mouvement le plus rapide » est impossible.
Supposons un point mobile sur un cercle, animé du mouvement
le plus rapide que vous voulez.
On peut toujours concevoir un mouvement encore plus rapide.
Il suffit d'imaginer un
second mobile, placé sur un autre cercle, concentrique au premier mais de plus grand rayon.
Ce mobile parcourra dans
le même temps un espace plus grand que le premier; il ira donc plus vite.
Vous voyez donc que le concept du.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- commentaire philo Leibniz Monadologie et la justice
- Philosophie morale et politique CM 5 Malebranche puis Leibniz
- LEIBNIZ et l'espace
- LEIBNIZ: Mettez-vous à la place d'autrui
- LEIBNIZ: l'ordre universel du monde