LEIBNIZ et le plaisir présent
Extrait du document
«
Si tout était borné à ce moment présent, il n'y aurait point de raison de se
refuser le plaisir qui se présente.
En effet, tout plaisir est un sentiment de
perfection.
Mais il y a certaines perfections qui entraînent avec elles des
imperfections plus grandes.
Comme si quelqu'un s'attachait pendant toute sa vie
à jeter des pois contre des épingles, pour apprendre à ne point manquer de les
faire enferrer, à l'exemple de celui à qui Alexandre le Grand fit donner pour
récompense un boisseau de pois, cet homme parviendrait à une certaine
perfection, mais fort mince et indigne d'entrer en comparaison avec tant
d'autres perfections très nécessaires qu'il aurait négligées.
C'est ainsi que la
perfection qui se trouve dans certains plaisirs présents doit céder surtout au
soin des perfections qui sont nécessaires ; afin qu'on ne soit point plongé dans
la misère, qui est l'état où l'on va d'imperfection en imperfection, ou de douleur
en douleur.
Mais s'il n'y avait que le présent, il faudrait se contenter de la
perfection qui s'y présente, c'est-à-dire du plaisir présent.
POUR DÉMARRER
La jouissance immédiate (le plaisir) semble une plénitude en sol.
Comment donc
refuser, éventuellement, cette plaisante immédiateté ? A partir de quels critères
?
Conseils pratiques
Prenez en compte le concept de perfection.
La plénitude du moment présent ne peut-elle entraîner quelque défaut,
imperfection, quelque mal ? Le présent, la partie du temps actuel, sera examiné et défini avec rigueur.
Bibliographie
LEIBNIZ, Œuvres, éditées par Lucy Prenant, Aubier-Montaigne (à lire en bibliothèque).
Jean LACROIX, Le sens du dialogue, éditions de la Baconnière, article Plaisir-Joie-Bonheur ».
ÉPICURE et les Épicuriens, Textes choisis, PUF.
Il s'agit de noter dans un premier temps le contexte dans lequel s'établit ce texte, qui est un contexte de réflexion
morale.
Le texte trouve sa raison d'être dans le fameux problème ovidien (Métamorphose VII, 20): Video meliora
proboque deteriora sequor1.
Pourquoi l'homme, soit cette créature capable de connaissance claire et distincte, choisit
le mal? Pourquoi lui seul qui est capable d'agir selon le bien, de choisir le bien, ne s'en tient précisément pas à ce
choix? L'idée véhiculée par la phrase d'Ovide doit être raccordé à cette sentence platonicienne voulant que nul ne
puisse être méchant volontairement.
En somme, on agit pas mal volontairement, mais bien parce qu'à l'instant où l'on
agit, on croit précisément et à tort faire le bien.
Le mal n'est donc jamais fait pour lui-même, il n'est pas visé par
l'action: celui qui agit mal croit pourtant sur l'instant faire le bon choix, soit celui qui s'avère juste.
Le problème du mal
est donc rabattu sous une perspective épistémique: il est une erreur de jugement.
Notre texte analyse l'origine
possible de l'erreur qui mène à la misère, soit la plus grande de toute les douleurs.
I.
Accepter le plaisir présent
S'il arrive que l'homme fasse le mal, c'est probablement en raison d'un rapport inadéquat au temps.
Si tout n'était que
présent, l'homme ne pourrait faire le mal.
Pourquoi? Tout simplement parce qu'il n'y aurait pour lui aucune préjudice à
choisir le plaisir qui se présente.
Celui-ci serait pour ainsi dire dans un état de suspension coupé de tout rapport de
causalité.
Jamais il ne pourrait par une plus ou moins longue chaîne de causalité entraîner en fin de compte quelque
chose qui s'avère être un mal.
Ainsi, lorsque mon réveil sonne le lundi matin de bon heure, le plaisir me commanderait
plutôt de rester couché.
Si l'on reste dans une sorte de présent pure, c'est-à-dire si l'on ne pense pas aux
conséquences qui en découlent, soit à ce qu'il adviendra – en d'autres termes, si on rature tout bonnement le futur –
la chose peut être en elle-même un bon choix.
Sauf qu'après examen et raccord avec l'à-venir, on se rend rapidement
compte que ce qui en découlera peut s'avérer largement négatif (cela peut-être le retard de trop qui me coûte une
grave sanction, révéler à mes professeurs un sérieux manque d'intérêt ou d'engagement dans le travail...).
Mais Leibniz
va même plus loin: si l'on cloisonne l'être dans le présent, il fait pour ainsi dire de bon choix, il fait toujours celui qui lui
semble être le meilleur.
Même si l'on arrêtait un braqueur de banque en pleine action, et qu'on lui demandait les motifs
qui le poussent à agir ainsi, il serait probablement prêt à en avancer certains de valables, certains qui le poussent à
penser qu'ici et maintenant cela était le meilleur choix qui s'imposait à lui.
Mais de toute évidence, tout n'est pas borné au moment présent, et l'homme a cette faculté de se porter – parfois
même loin – dans le futur.
Il nous faut cependant comprendre l'idée qui relie dans ce passage plaisir et perfection: en
quoi un plaisir peut-il être proprement une perfection? Il s'agit ici de mettre en relation ce passage avec un autre le.
»
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