l'éducation n'est-elle qu'une affaire privée ?
Extrait du document
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Si éduquer, c'est arracher l'homme de son état de nature primitif pour lui permettre d'habiter peu à peu le monde de la culture, un tel
processus ne pourrait, à première vue, qu'incomber à l'Etat, en tant que la responsabilité d'un tel acte ne peut reposer entre les mains de
particularismes.
Pour autant, il est impossible de nier l'influence de la structure sociale première qu'est la famille et de lui défaire la possibilité d'une
éducation conçue dans ses repères propres.
Dès lors, se demander si l'éducation est affaire publique revient à s'interroger sur sa fonction propre : forme-t-elle des citoyens qui
doivent être préparés à contribuer au bien commun, ou des individus dont le bien suprême serait de cheminer sans trêve vers plus
d'humanité ?
Les enjeux sont à la fois politiques et éthiques, car distribuer ce rôle exclusivement à l'Etat reviendrait à lui laisser libre cours dans la
formation des esprits : le danger serait qu'il n'en fasse que des êtres certes égaux mais indiscernables.
Quel est donc l'homme que se
doit de former le processus éducatif ?
Eduquer, c'est d'abord former des citoyens : c'est donc affaire publique
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Dans La République, Platon distingue l'éducation telle qu'elle est conçue par les sophistes de la démarche qui devrait conduire à
mener et à organiser au mieux la Cité.
Il ne s'agit pas de remplir l'âme de connaissance, mais bien de la former à une certaine
acuité.
Or, toutes les âmes n'ont pas les mêmes possibilités : cela, Platon le fonde sur la partition des êtres, de ceux qui se
doivent de travailler la terre aux dirigeants de la Cité, les philosophes.
ð Ainsi l'éducation est affaire publique puisqu'elle se doit de former au mieux les dirigeants, mais aussi ceux auxquels
reviennent les tâches plus basses.
Dans les deux cas, il s'agit de penser la cohérence de la Cité comme celle de l'âme, et
ainsi de proposer aux citoyens une éducation en relation avec leurs possibilités et leur tâches.
L'éducation est donc synonyme de contribution au bien public.
Or, le plus grand bien public repose sur la possibilité de vivre en
paix, sans menace pour sa vie émanent d'autrui.
Et c'est précisément à l'école, comme le souligne Locke dans ses Pensées sur
l'Education que l'enfant apprend à maîtriser ses désirs et à les médiatiser : plutôt que de vivre sous le giron familial, l'enfant
apprend à acquérir une véritable autonomie, qui lui permet d'exister par lui-même.
ð L'éducation permet d'extraire l'enfant de la cellule naturelle qu'est la famille pour le projeter dans la sphère politique
d'individus capables non pas simplement de chercher à ployer la volonté parentale mais de trouver la vocation qui leur est
propre.
Mais former des citoyens, c'est également forger des individus ; de l'importance de la cellule privée
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A considérer l'enfant non comme un homme encore prisonnier de l'état de nature mais comme un individu en puissance,
présentant déjà certaines inclinations, on voit mal comment l'éducation publique serait à même de révéler le meilleur de l'être de
chacun.
Dans son Emile, Rousseau expose l'éducation d'un précepteur reçue par un orphelin : il apparaît très clairement que le
premier se borne à être le guide du second, ainsi que le souci constant d'adaptation tant à ses possibilités qu'à sa curiosité.
ð Ce ne peut-être à l'Etat, à la tête d'une société aux mœurs corrompus que peut revenir la tâche délicate de l'éducation des
enfants.
Au contraire l'échange intime permet-il de privilégier une éducation qui ne soit pas violence mais développement,
non pas tentative de construire des citoyens dévoués à l'Etat mais des individus à part entière.
Car si l'Etat, par le système éducatif qu'il met en place, tente d'instaurer une certaine égalité entre les hommes, on ne peut
pour autant s'en référer entièrement à lui : il forge des citoyens.
C'est aux individus que revient la responsabilité de juger de ce qui
apparaît bénéfique pour leurs enfants : ainsi la première responsabilité de l'éducation revient à la famille.
Si Locke souligne que
l'éducation forme des citoyens, il n'en est pas moins que les parents sont responsables au regard de Dieu de l'éducation qu'ils
donnent à leur enfant.
La suppression de ce principe transcendantal n'en retire pas moins la responsabilité de la famille,
notamment évoquée dans les Droits de l'enfant : l'Etat assure le bien-être que si les parents ne peuvent le faire.
ð Etre éduqué, ce n'est donc pas seulement être dirigé vers certaines connaissances, mais également pouvoir user d'outils afin
de parvenir à son bien-être dans la communauté.
On ne saurait ôter à la famille son rôle dans la transmission des valeurs,
puisqu'elle est la première cellule que connaît l'enfant.
L'éducation, socle de l'humanisme
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Le propre de l'humanisme repose sur la tentative de conciliation de la formation optimale à la fois de l'individu et du citoyen :
à la fois affirmer son individualité et son appartenance à l'universel.
Au siècle des Lumières, l'éducation est avant tout
arrachement : aux superstitions, aux croyances infondées, etc.
pour s'en remettre à la raison.
Il s'agit donc à la fois, dans les
propos que Kant tient sur l'éducation, de pousser l'enfant à penser par lui-même afin qu'il atteigne l'autonomie et, au terme du
processus, de le moraliser.
Ce qui est au cœur de la question kantienne, c'est de former un citoyen du monde, ainsi la distinction
entre éducation publique et privée est-elle abolie d'elle-même : c'est dans le domaine public que se doit d'être placée l'éducation,
ce qui ne signifie pas strictement : dans les mains de l'Etat.
La conception kantienne de l'éducation est en effet dépendante de sa
conception politique, exposée notamment dans Le Projet de paix perpétuel, et qui place en son cœur la possibilité d'une société des
nations à l'échelle mondiale capable de conserver la paix.
Or, sans hommes qui ne seraient à la recherche permanente de
perfectibilité, ce projet ne pourrait voir le jour.
Eduquer, c'est viser à ce que l'homme devienne ‘de plus en plus homme'.
Ainsi, au-delà du conflit entre sphère privée et publique, c'est dans le goût de l'effort, de la difficulté, comme le souligne Alain
dans ses Propos sur l'Education que l'enfant se forme à devenir adulte.
Mais une fois adulte, sur le chemin de l'autonomie, il serait
impossible de nier qu'il ne continue à s'éduquer : l'éducation devient un effort émanent de soi, à la fois pour soi et pour soi dans le
monde.
L'éducation devient à la fois affaire privée et publique : privée car c'est à l'adulte, détaché des obligations scolaires, de
prendre en charge ce soucis ; publique, car l'Etat se doit d'assurer l'accès à la culture.
Il s'agit alors de former, selon la formule de
Gide dans Les Nourritures terrestres, « le plus irremplaçable des êtres ».
Au terme de cette analyse, il apparaît donc qu'on ne peut rejeter unilatéralement la responsabilité de l'éducation sur la sphère publique ou
sur la sphère privée : dans le premier cas, nous risquerions de sombrer dans un « autoritarisme », dans le second, nous serions incapable
de fixer les objectifs principaux dans la formation de l'individu.
Ainsi, c'est à la fois dans le but de former un individu et un citoyen qu'il
nous faut envisager le rôle de l'éducation, et faire de la partition entre privée et publique non un dilemme mais une complémentarité.
Car
une fois l'individu formé, c'est à lui que revient la curiosité de se faire toujours plus homme, ainsi que le choix des moyens pour y parvenir..
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