Lecture suivie → Simone Weil, La condition ouvrière (1951)
Publié le 09/01/2023
Extrait du document
«
Lecture suivie → Simone Weil, La condition ouvrière (1951).
Perspective → L'existence humaine et la culture.
Notions → Travail / Temps / Liberté.
Présentation de l'oeuvre :
En décembre 1934, Simone Weil décide de cesser son activité de professeur de philosophie pour
entrer en usine.
Elle travaille successivement comme ouvrière sur presse pour Alsthom, puis à la
chaîne aux Forges de Basse-Indre, et enfin, jusqu'au mois d'août 1935, comme fraiseuse dans les
usines automobiles Renault.
La philosophe a ainsi vécu la vie des ouvriers, en a éprouvé la
solidarité et a consigné cette expérience.
D'abord conçu en 1936 comme une lettre, Expérience de la vie d'usine est transformé en article
en 1941.
Il paraît pour la première fois en 1942, dans la revue Économie et humanisme, sous le
pseudonyme d'Émile Novis.
Le contexte :
Dans les lignes d'Expérience de la vie d'usine qui précèdent ces extraits, Simone Weil souligne
l'aspect anachronique de son texte.
Il offre en effet une description de la condition ouvrière qui n'est
plus tout à fait celle de l'époque de sa publication.
Depuis 1936, le Front populaire, arrivé au
pouvoir en France, déclare vouloir mettre fin « à ce qu'il y a de dégradant dans la vie faite aux
ouvriers ».
Mais pour y parvenir, il faut d'abord connaître les conditions de travail réelles des
travailleurs.
L'Expérience de la vie d'usine entend contribuer à cette pleine connaissance en offrant
des réflexions qui sont « le fruit d'un contact direct avec la vie d'usine ».
Texte :
« L'usine pourrait combler l'âme par le puissant sentiment de vie collective – on pourrait dire
unanime- que donne la participation au travail d'une grande usine.
Tous les bruits ont un sens, tous
sont rythmés, ils se fondent dans une espèce de grande respiration du travail en commun à laquelle
il est enivrant d'avoir part.
C'est d'autant plus enivrant que le sentiment de solitude n'en est pas
altéré.
Il n'y a que des bruits métalliques, des roues qui tournent, des morsures sur le métal ; des
bruits qui ne parlent pas de nature ni de vie, mais de l'activité sérieuse, soutenue, ininterrompue de
l'homme sur les choses.
On est perdu dans cette grande rumeur, mais en même temps on la domine,
parce que sur cette basse soutenue, permanente et toujours changeante, ce qui ressort, tout en s'y
fondant, c'est le bruit de la machine qu'on manie soi-même.
On ne se sent pas petit comme dans
une foule, on se sent indispensable.
Les courroies de transmission 1, là où il y en a, permettent de
boire par les yeux cette unité de rythme que tout le corps ressent par les bruits et par la légère
vibration de toutes choses.
Aux heures sombres des matinées et des soirées d'hiver, quand ne brille
que la lumière électrique, tous les sens participent à un univers où rien ne rappelle la nature, où rien
1 Pièces de matériau souple permettant de transmettre un mouvement au sein d'un mécanisme.
n'est gratuit2, où tout est heurt, heurt dur et en même temps conquérant, de l'homme avec la
matière.
Les lampes, les courroies, les bruits, la dure et froide ferraille, tout concourt à la
transmutation3 de l'homme en ouvrier.
»
Questions (l.1-16) : /2 points
a.
Qu'est-ce qui, dans le travail en usine, peut donner à la travailleuse et au travailleur un sentiment
d'accomplissement de soi ?
b.
Sur quel sentiment repose l'accomplissement de l'ouvrier ? Pourquoi ?
« Si c'était cela, la vie d'usine, ce serait trop beau.
Mais ce n'est pas cela.
Ces joies sont des joies
d'hommes libres ; ceux qui peuplent les usines ne les sentent pas, sinon en de courts et rares
instants, parce qu'ils ne sont pas des hommes libres.
Ils ne peuvent les sentir que lorsqu'ils oublient
qu'ils ne sont pas libres ; mais ils peuvent rarement l'oublier, car l'étau de la subordination leur est
rendu sensible à travers les sens, le corps, les mille petits détails qui remplissent les minutes dont
est constituée une vie.
Le premier détail qui, dans la journée, rend la servitude sensible, c'est la pendule de pointage.
Le
chemin de chez soi à l'usine est dominé par le fait qu'il faut être arrivé avant une seconde
mécaniquement déterminée.
On a beau être de cinq ou dix minutes en avance ; l'écoulement du
temps apparaît de ce fait comme quelque chose d'impitoyable, qui ne laisse aucun jeu au hasard.
C'est, dans une journée d'ouvrier, la première atteinte d'une règle dont la brutalité domine toute la
partie de la vie passée parmi les machines ; le hasard n'a pas droit de cité à l'usine.
Il y existe, bien
entendu, comme partout ailleurs, mais il n'y est pas reconnu.
Ce qui est admis, souvent au grand
détriment de la production, c'est le principe de la caserne : « Je ne veux pas le savoir.
» Les fictions
sont très puissantes à l'usine.
Il y a des règles qui ne sont jamais observées, mais qui sont
perpétuellement en vigueur.
Les ordres contradictoires ne le sont pas selon la logique de l'usine.
À
travers tout cela il faut que le travail se fasse.
À l'ouvrier de se débrouiller, sous peine de renvoi.
Et
il se débrouille.
[…] »
Questions (l.17-34) : /2 points
c.
Quel rapport au temps, spécifique au travail en usine, prive l'ouvrier ou l'ouvrière de sa liberté ?
d.
Comment la situation dans laquelle les travailleurs se trouvent au sein de l'usine produit-elle en
eux l'impression de subir la nécessité ?
« On nie souvent que les ouvriers souffrent de la monotonie du travail, parce qu'on a remarqué
que souvent un changement de fabrication est pour eux une contrariété.
Pourtant le dégoût envahit
l'âme, au cours d'une longue période de travail monotone.
Le changement produit du soulagement
et de la contrariété à la fois ; contrariété vive parfois dans le cas du travail des pièces 4, à cause de la
diminution du gain, et parce que c'est une habitude et presque une convention d'attacher plus
d'importance à l'argent, chose claire et mesurable, qu'aux sentiments obscurs, insaisissables,
inexprimables qui s'emparent de l'âme pendant le travail.
Mais même si le travail est payé à l'heure,
il y a contrariété, irritation, à cause de la manière dont le changement est ordonné.
Le travail
nouveau est imposé tout d'un coup, sans préparation, sous la forme d'un ordre auquel il faut obéir
immédiatement et sans réplique.
Celui qui obéit ainsi ressent alors brutalement que son temps est
sans cesse à la disposition d'autrui.
Le petit....
»
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