Lecture suivie d'ouvrages sur le corps
Publié le 01/08/2023
Extrait du document
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Chantal Jacquet
Le corps
PUF, 2001
Introduction :
Nos premières expériences sont celles de notre corps : faim, froid, plaisir,
douleur…
(–sujet : peut-on changer de corps ?
–Sujet : le corps est-il une fatalité)
Le corps s'impose à nous comme une réalité concrète, matérielle, vivante,
intérieure et extérieure, médiation vis-à-vis des autres et du monde, au
centre des grandes dimensions de notre existence : la vie, l'amour, la
mort, le travail.
Mais sa réalité est paradoxale et ambiguë, le corps est à la fois familier et
étrange.
Les philosophes ont été particulièrement indifférents au corps.
1–les raisons du silence :
De la thèse cartésienne que « l'âme est plus aisée à connaître que le
corps » car l'esprit et la conscience se donnent avec plus d'évidence à
nous-mêmes que le corps (résultat du cogito).
Il y a donc une primauté ontologique et gnoséologique accordée à
l'esprit.
Il faut attendre Nietzsche pour se débarrasser des implications du
dualisme platonicien et cartésien et rappeler que « corps suis tout entier
et rien d'autre » et que « derrière tes pensées et tes sentiments se tient
ton corps et ton soi dans le corps : la terre incognita »
La tradition du Phédon : philosopher, c'est apprendre à mourir au corps.
À la suite de Platon, Plotin considère le corps comme un obstacle à la
pensée (Ennéades IV, 3, 19)
Cette tradition est amplifiée par la théologie chrétienne qui y ajoute le
péché.
Dans son traité de morale, Malebranche « préconise la mortification
et la rupture de commerce avec les corps » (Traité de morale, I, XI,
§ 111) : « Il ne faut pas… se donner la mort qui tue le corps et finit
la vie ; mais il faut se donner la mort qui abat le corps et diminue la
vie, j'entends l'union de l'esprit au corps ou sa dépendance.
Il faut
commencer et continuer son sacrifice, et en attendre de Dieu la
consommation et la récompense.
Car la vie du Chrétien sur la terre
est un sacrifice continuel, par lequel il immole sans cesse son corps,
sa concupiscence et son amour propre à l'amour de l'ordre ».)
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Mais Chantal Jacquet note que ce mépris est celle déconsidération du
corps ne sont pas propres aux dualistes.
On les retrouve chez les
monistes.
Ainsi le grand précurseur Spinoza, reconnaissant pourtant que l'esprit
et le corps ne sont que deux manières différentes de se représenter le
même individu, et que l'esprit n'est que « l'idée d'un corps existant en
acte » (Ethique, II, III), ne consacre que quelques propositions au
corps et de son propre aveu ne s'en tient qu'à quelques prémisses sur
le corps (II, propositions XIII et XIV) : cinq axiomes, sept lemmes, une
définition et six postulats.
D'ailleurs la finalité de l'Ethique porte sur l'esprit et son salut.
Toutefois le silence même de Spinoza tient aussi à ce qu'il constate à
propos du corps : l'ignorance de l'homme à propos de la connaissance
de la structure du corps et de sa puissance.
Cf.
scolie de la proposition
II du livre III : « Personne, il est vrai, n'a jusqu'à présent déterminé ce
que peut le corps, c'est-à-dire l'expérience n’a enseigné à personne
jusqu'à présent ce que, par les seules lois de la nature considérée en
tant que seulement corporelle, le corps peut faire et ce qu'il ne peut
pas faire à moins d'être déterminé par l'âme.
Personne, en effet ne
connaît si exactement la structure du corps qu'il ait pu en expliquer
toutes les fonctions… »
« Ainsi, c'est moins un éventuel mépris qu'une éventuelle méprise qui
invite à se taire devant l’énigme du corps.
Par conséquent, l'absence
d'un discours centré sur le corps ne doit pas être systématiquement
mise sur le compte d'une somatophobie primaire, puisqu’elle se
constate aussi bien dans une philosophie moniste réhabilitant
pleinement la nature corporelle que dans une philosophie dualiste plus
encline à la suspecter.
Elle tient plus fondamentalement à l'ignorance
dont le mépris n'est qu'un avatar superbe et impuissant » (page 6).
La difficulté d'investigation du corps tient aussi à la difficulté de considérer
le corps d'une manière exclusivement rationnelle.
Le corps complexe fait
échec à la rationalité.
Car si les objets matériels se réduisent à leur extériorité, le corps
vivant possède une intériorité et le corps humain possède une
intériorité psychique et pas seulement physique.
En particulier l'expérience du corps propre ne peut pas être
extériorisée « partes extra partes ».
Je suis donc l'observateur et
l’observé, et je modifie mon corps par l'observation que j'en fais.
De
plus, l'expérience du corps propre n'est pas non plus celle d'un pur
sujet, d'une pure conscience car le quelque chose du corps est donné à
voir et les autres me voient comme moi je ne peux pas me voir et vice
versa.
« Saisissables par l'expérience, le corps propre semble insaisissable
par l'entendement ».
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(–Sujet : comment connaître le corps ?)
Descartes envisage le problème.
Cela l'amène à distinguer les corps
étendus, connaissables par l'entendement aidé de l'imagination, du corps
humain uni à une âme et connaissable par les sens (cf.
Lettre à Élisabeth
du 28 juin 1643).
Pour le philosophe on ne peut pas disjoindre ce qui est
uni et la connaissance est celle de l'union et non des substances séparées.
Les corps matériels peuvent être, en effet, ramenés à une première
notion primitive – l'extension – de laquelle en découlent deux autres :
la figure et le mouvement.
Les âmes, elles, se ramènent à la notion primitive de la pensée
(perception de l'entendement ou inclination de la volonté).
Pour les corps joints à des âmes, « nous n’avons que celle de leur
union de laquelle dépend celle de la force qu’a l’âme de mouvoir le
corps, et le corps d'agir sur l’âme, en causant ses sentiments et ses
passions » (Lettre à Élisabeth du 21 mai 1643).
La connaissance de chaque réalité ne dépend donc que des notions
primitives dont elle dépend.
Le corps humain ne peut être connu que
par l'union qui, elle-même, ne peut être ni conçue ni imaginée mais
seulement expérimentée.
C'est pourquoi Descartes conseille à
Élisabeth d'user plutôt « de la vie et des conversations ordinaires »
pour concevoir mieux cette union de l'âme et du corps : « c'est en
usant seulement de la vie et des conversations ordinaires, et en
s'abstenant de méditer et d’étudier aux choses qui exercent
l'imagination qu'on apprend à concevoir l'union de l'âme et du corps »
(Lettre à Élisabeth du 28 juin 1643).
Ainsi si la métaphysique est la
connaissance de l'âme, et les mathématiques, celle des corps simples
(parce que « elle exerce principalement l'imagination en la
considération des figures et mouvements »), elles ne sont d'aucun
secours pour la connaissance de l'union âme/corps.
2–Le corps : objet philosophique ?
Mais le corps peut-il vraiment être un objet philosophique ?
C'est-à-dire n'est-il pas plutôt objet de science ?
Des sciences de la nature qui prennent en charge la question de ses
fonctions et de ses structures et des sciences humaines qui étudient
plutôt ses pratiques et ses usages dans le temps et l'espace.
La place du philosophe et d'une philosophie du corps ne partirait-elle pas
d'abord de ce constat que ce n'est pas le même corps qui est défini,
investi par les sciences de la nature et les sciences humaines, qu'aucune
science ne peut donc s'approprier le corps ?
Ainsi lorsque Marcel Mauss décide de s'intéresser aux techniques du
corps, c'est d'abord une victoire de haute lutte sur les sciences de la
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nature.
La philosophie constatera donc que le corps est à la croisée des
sciences.
Sur cette question de la pluralité et de la nécessité de préciser de
quel corps on parle, cf.
Roland Barthes : « Quel corps ? Nous en
avons plusieurs : le corps des anatomistes et des physiologistes,
celui que voit ou que parle la science… mais nous avons encore de
jouissance fait uniquement de relations érotiques, sans aucun
rapport avec le premier : c'est un autre découpage, une autre
nomination… » (Le plaisir du texte, page 29).
Une fois examiné ce morcellement, la philosophie peut-elle construire son
idée du corps ?
De quel corps premier la philosophie pourrait-elle partir ? Du corps
biologique ?
Dans « Philosophie et phénoménologie du corps » Michel Henry
rappelle que le corps biologique est une construction historique, «
un objet culturel ».
Le corps premier pour les phénoménologues,
c'est le corps vécu, habité – celui de l'expérience originelle.
Merleau-Ponty notera d'ailleurs que le corps biologique comme
celui de tout autre science est encore dénaturé puisque c'est un
corps-objet devant une conscience : « si le corps est en vérité une
province du monde, s’il est cet objet dans me parle le biologiste,
cette conjonction de processus dont je....
»
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