Lecture de Martin Heidegger
Publié le 21/10/2023
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LECTURE DE “ETRE ET TEMPS” (SEIN UND ZEIT)1
Martin HEIDEGGER
Abbé Jean-Marie Vianney SAMARWA (PhD)
Introduction
“La question de l’être est aujourd’hui tombée dans l’oubli…” (p.
25).
Ainsi commence le
premier chapitre de Être et Temps.
Ce cours, loin de prétendre à une lecture suivie de tout
l’ouvrage de Heidegger [ce qui, en aucun cas, ne peut se faire en si peu de temps], vise plutôt
à introduire l’étudiant dans la problématique principal de Être et Temps, à savoir lui donner
les clés de lecture pour qu’il puisse suivre lui-même Heidegger dans son entreprise d’une
refondation de l’ontologie.
Retrouver le sens oublié de l’Être et redéfinir le Temps comme horizon transcendantal de la
question de l’être, sont là les tâches que se fixe Heidegger en entreprenant Être et Temps.
Entreprise si ardue que Heidegger lui-même n’a pas pu mener jusqu’au bout, comme nous le
verrons.
Néanmoins, en faisant une lecture suivie de son Introduction, nous aurons à nous familiariser
avec les concepts-clés de sa pensée, de sorte que la lecture ultérieure de Être et Temps en sera
facilitée pour l’étudiant courageux désireux d’approfondir l’analyse fondamentale du Dasein
et de son mode d’être privilégié qui est celui d’être-au-monde.
A part quelques modifications et précisions qui s’imposaient pour une meilleure clarté, ce
cours suit l’un des textes les plus limpides qui introduisent à la pensée de Heidegger.
Il s’agit
d’un texte de Cyril Arnaud, Heidegger: lecture suivie2, texte qui malheureusement n’est
vendu qu’en ligne.
Trois points à considérer:
I.
L’oubli de la question de l’être
II.
Nécessité, structure et primauté de la question de l’être
III.
La double tâche de l’élaboration de la question de l’être: méthode et plan de la
recherche
1
Paru pour la première fois en 1927 en allemand.
La traduction française que nous suivons ici: Martin
HEIDEGGER, Être et Temps, Editions Gallimard, Paris, 1986.
2
Texte que l’on peut acheter par téléchargement sur www.les-philosophes.fr.
2
3
I.
L’OUBLI DE LA QUESTION DE L’ÊTRE
La question de l’être chez les anciens grecs
“La question de l’être est aujourd’hui tombée dans l’oubli.
[…] Là meme où
les Grecs avaient jeté les bases d’une interprétation de l’être, un dogme s’est
constitué qui non seulement déclare superflue la question de être, mais, de plus,
légitime qu’elle soit purement et simplement chômée.
On dit: l’ “être” est le
concept le plus général et le plus vide.
Comme tel il résiste à tout essai de
définition.” (p.
25).
Ce que Heidegger entend ressusciter dans cet ouvrage, c’est une question très ancienne,
formulée dès l’origine de la pensée grecque : la question de l’être.
Déjà en effet, quelques
années avant Socrate, Parménide s’interrogeait sur la différence entre l’être (einai, εἶναι) et le
non-être.
Plus tard, Platon reprend cette interrogation, en particulier dans le dialogue du
même nom, le Parménide, consacré aux rapports entre l’Un et l’Etre, puis le Sophiste, dans
lequel il examine les liens de l’être et du non-être.
Par exemple ici :
« Entendons-nous d’abord sur l’être.
Les philosophes ne sont pas d’accord sur
le nombre des êtres : les uns en admettent trois, d’autres deux, les Éléates un ;
les Muses d’Ionie et de Sicile admettent que l’être est à la fois un et multiple.
En réalité, nous ne comprenons pas plus l’être que le non-être.
Questionnons ces philosophes.
Vous qui prétendez que le tout est le chaud et le
froid, qu’entendez-vous par être ? Est-ce un troisième principe ajouté aux deux
autres ? Ou bien réservez-vous le nom d’être à l’un des deux, ou au couple ?
Mais c’est affirmer que les deux ne sont qu’un.
Et vous qui prétendez que l’univers est un, vous affirmez qu’il n’y a qu’un être.
Est-ce la même chose que l’un ? Alors, c’est deux noms pour une seule chose.
Et le tout, dites-vous qu’il est autre que l’un, ou qu’il lui est identique ?
Identique, répondrez-vous.
Mais, si c’est un tout, il a des parties et par
conséquent, il n’est pas l’un même qui n’a pas de parties, il participe seulement
à l’unité.
[…]
Voilà des difficultés inextricables, et combien d’autres s’élèveraient contre
quiconque prétendrait que l’être est deux ou qu’il n’est qu’un ! » (Platon, Le
Sophiste, 242, d et suivant).
4
Aristote est un troisième penseur emblématique de la question de l’être.
En effet, il
conceptualise, pour la première fois, la discipline qui a l’être pour objet d’étude, la science de
l’être en tant qu’être, dans ce passage célèbre de la Métaphysique :
« Il est une science qui considère l’Être en tant qu’Être, et qui considère en
même temps toutes les conditions essentielles que l’Être peut présenter.
Cette
science-là ne peut se confondre d’aucune manière avec les autres sciences
[dites particulières], puisque pas une de ces sciences étudie d’une manière
universelle l’Être en tant qu’Être ; mais, le découpant dans une de ses parties,
elles limitent leurs recherches aux propriétés qu’on peut observer dans cette
partie spéciale.
C’est ce que font, par exemple, les mathématiques.
» (Aristote,
Métaphysique, Livre Γ, 1)
De nos jours, on parle plutôt d’ « ontologie » pour désigner cette discipline qui prend l’être
pour objet.
Ce qui précède n’est naturellement qu’un rapide aperçu des nombreuses réflexions qui ont
pris l’être pour objet, dès l’aube de la pensée grecque.
Mais cela nous permet de rappeler
comment ces trois penseurs, Parménide, Platon, Aristote, accomplissent cet acte inaugural : ils
soulèvent la question de l’être.
L’oubli de la question de l’être : la distinction entre être et étant
Cependant, cette question sombre dans l’oubli dès lors même qu’elle est soulevée, selon
Heidegger.
En effet, il soutient que dès que l’être est apparu au regard, et a été pris pour
champ thématique de la réflexion, celle-ci s’est fourvoyée en confondant l’être et ce qui est,
à savoir, l’étant.
A quoi renvoie cette distinction fondamentale ?
De même que le fait de croire et le croyant ne peuvent être confondus, ou que le fait de
marcher est différent du marcheur, l’être est différent de l’étant.
C’est cela dont il faut
prendre conscience en tout premier lieu, pour que la question de l’être nous apparaisse en
propre : l’être n’est pas l’étant.
Ce que Heidegger exprime de façon particulièrement claire
dans les Problèmes fondamentaux de la phénoménologie, un cours professé à l’université de
Marbourg quelques mois après la parution d’Etre et Temps, qui reprend et approfondit, de
manière souvent plus pédagogique, certains thèmes essentiels de ce dernier.
Voici le passage
en question :
« Nous pouvons toujours, à tout moment et facilement, nous représenter et
mettre en avant un étant relevant de tel ou tel domaine.
[…] L’étant c’est
5
quelque chose, table, chaise, arbre, ciel, corps, mots, actions.
Voilà de l’étant.
Mais l’être ? […] peut-on se représenter quelque chose de tel que l’être ? Celui
qui s’y essaye n’est-il pas saisi de vertige ? Et de fait nous sommes tout
d’abord désemparés et nous ne saisissons que le vide.
»
Ou encore : L’ontologie – avons-nous dit – est la science de l’être.
Mais “Être est chaque fois
être d’un étant.” (p.
33).
L’être est toujours être d’un étant.
De par son essence l’être est
différent de l’étant.
Comment doit-on envisager cette différence de l’être et de l’étant ?
Cette distinction essentielle entre l’être et l’étant, Heidegger la nomme la différence
ontologique :
« Nous devons nécessairement pouvoir marquer clairement la différence entre
l’être et l’étant, si nous voulons prendre comme thème de recherche quelque
chose comme l’être.
Il ne s’agit pas là d’une différenciation quelconque, mais
c’est seulement à travers cette différence que le thème de l’ontologie peut être
conquis.
Nous la désignons comme dif-férence ontologique, c’est-à-dire
comme la scission entre l’être et l’étant.
»
Or dès l’origine, la pensée tombe dans cette confusion, selon Heidegger.
Et de fait, Aristote
prête le flanc à cette objection, puisque plus loin dans la Métaphysique, il affirme que le sens
fondamental de l’être est la substance (ousia), qui relève de l’étant, ou plutôt est l’étant par
excellence.
C’est ce que l’on peut voir dans le premier chapitre du livre Z :
« On ne saurait [...] décider si marcher, se bien porter, s’asseoir, sont, ou non,
des êtres ; et de même pour tous les autres états analogues.
Car aucun de ces
modes n’a, par lui-même, une existence propre, aucun ne peut être séparé de la
substance.
[...] Ces choses ne semblent si fort marquées du caractère de l’être
que parce qu’il y a sous chacune d’elles un être, un sujet déterminé.
Et ce sujet, c’est la substance, c’est l’être particulier qui apparaît sous les divers
attributs.
Bon, assis, ne signifient rien sans cette substance.
Il est donc évident que l’existence de chacun de ces modes dépend de
l’existence même de la substance.
D’après cela, la substance sera l’être
premier ; non point tel ou tel mode de l’être, mais l’être pris dans son sens
absolu.
» (Aristote, Métaphysique, Livre Z, 1).
6
On voit dans ces lignes le destin funeste de la question de l’être, sitôt apparue, aussitôt
disparue.
Si....
»
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