Le travail est-il un devoir plutôt qu'une nécessité ?
Extrait du document
«
Si le travail est un devoir, alors il a une valeur morale.
Que représente le travail sur le plan moral ? En quoi est-ce
bien ou mal de travailler ? Si nous percevons assez aisément le travail sous l'angle de la nécessité nous permettant
de tirer notre subsistance d'une nature qu'il faut transformer , on ne voit pas immédiatement le rapport à la question
de la valeur.
Pourtant, ce rapport existe et traditionnellement, dans la religion par exemple, on peut même dire que
c'est essentiellement ainsi qu'il est perçu.
Dans le Genèse, Dieu chasse Adam et Eve du jardin à la suite du péché
originel en les condamnant l'un et l'autre au travail.
Adam doit " travailler à la sueur de son front " tandis qu'Eve est
punie par les douleurs de l'enfantement (pensez au mot " travail " alors employé lorsqu'il s'agit d'un accouchement).
Le travail a sous cet angle une vertu dans la mesure où c'est par lui (entre autres) que passe la Rédemption.
Par
ailleurs, le langage courant laisse supposer à travers certaines expressions que le travail a une valeur autre que
strictement " productive ".
Ne dit-on pas que nous devons " gagner notre vie " et que le " travaille nous forme " ?
Songez également au statut que l'on accorde à celui qui ne travaille pas.
Ce n'est qu'un " profiteur ".
Le rentier par
exemple, l'oisif...
sont-ils immoraux ? Oui, au sens où ils ne se réalisent pas un travail.
[Travailler est un devoir moral.
Par mon travail, je contribue
au bon fonctionnement de la société et je réalise pleinement
ma condition d'homme.
Le travail n'est pas seulement
nécessaire, il est bon.]
Le travail nous rend sociables
La possibilité de transférer les composantes narcissiques, agressives, voire érotiques de la libido dans le travail
professionnel et les relations sociales qu'il implique donne à ce dernier une valeur qui ne le cède en rien à celle
que lui confère le fait d'être indispensable à l'individu pour maintenir et justifier son existence au sein de la
société.» Comme le dit Freud, le travail permet à la fois à l'homme de sublimer ses instincts et de contribuer à
la vie de la société.
Les bienfaits du travail.
Ces réserves faites, il faut reconnaître que le travail, quand il s'accomplit dans des conditions normales, est
capable de nous apporter certaines satisfactions et même certains bienfaits.
A.
— Ces satisfactions, nous pouvons les trouver d'abord dans l'exercice même de notre activité.
Le travail
est, en effet, selon l'expression de JAURÈS, « l'acte créateur par lequel l'esprit, la pensée, la conscience
impose sa forme et son unité à la matière ».
« Voir sous sa main ou dans sa pensée, écrivait jadis le
philosophe E.-M.
CARO, croître son oeuvre, s'identifier avec elle, que ce soit la moisson du laboureur ou la
maison de l'architecte ou la statue du sculpteur ou un poème ou un livre, qu'importe? Créer en dehors de soi
une oeuvre que l'on dirige, dans laquelle on a mis son effort avec son empreinte et qui la représente d'une
manière sensible, cette joie ne rachète-t-elle pas toutes les peines qu'elle a coûtées? » (Le Pessimisme, p.
128-129).
Même dans le travail industriel, pourtant beaucoup plus anonyme, il arrive encore qu'on voie des
ouvriers d'usine fiers d'une réalisation particulièrement réussie de leur entreprise qui leur est oeuvre collective.
B.
— Ces satisfactions peuvent s'accroître si le travailleur prend conscience de l'utilité 'sociale de son travail.
Nos sociétés modernes sont fondées sur la coopération de tous les métiers où les fonctions les plus humbles
sont souvent les plus indispensables.
Chaque travailleur peut aimer son travail dans la mesure où il se rend
compte du rôle qu'il joue ainsi dans la société.
C.
— Ainsi compris, le travail peut nous apporter, non seulement des satisfactions, mais des bienfaits.
« Le
travail, lorsqu'il comporte une certaine étoffe et un certain engagement de la personnalité, joue, pour
l'équilibre de l'individu, pour son insertion dans le milieu social, pour sa santé physique et mentale, un rôle
fondamental » (G.
FRIEDMANN, ouv.
cité, p.
256).
D.
— Le travail peut même avoir ainsi une valeur moralisatrice; car il 'exige, en même temps que la régularité
et la discipline, l'exercice des fonctions les plus hautes de la vie mentale : « l'attention volontaire; la patience
pour supporter l'attente, l'ennui, la fatigue; l'initiative, la persévérance; l'unité de la vie, la cohérence des
actes et des caractères », toutes choses, selon Pierre JANET (De l'angoisse à l'extase, I, p.
229), qui sont
déjà des vertus; et le grand psychologue va jusqu'à ajouter : « La valeur d'un homme se mesure par sa
capacité à faire des corvées.
Le devoir n'est qu'un cas particulier de ces corvées que l'homme supérieur est
capable de s'imposer.
».
»
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