Le travail, est-ce seulement mettre en oeuvre une technique ?
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Le travail peut être défini comme une activité réglée de transformation de la matière et de la nature en vue d'une production, ou comme une prestation
de service : dans les deux cas, le travail a pour but de nous fournir de quoi satisfaire nos besoins et implique un effort.
Dans la mesure où la technique
caractérise un ensemble de procédés se rapportant à l'emploi d'instruments, d'outils et de matériaux en vue d'une production ou de l'exercice d'une
discipline, on peut penser que le travail se définit comme la mise en œuvre organisée d'une technique : la technique serait la médiation nécessaire entre la
fin que nous nous donnons et son résultat.
Faut-il alors penser que le travail ne se caractérise que par la technique, ou bien faut-il considérer que la
technique n'est que le moyen que se donne le travail pour transformer la matière, et qu'elle n'épuise pas la notion de travail ? Il convient ainsi de
s'interroger sur la signification du travail pour l'homme qui l'effectue, ainsi que sur le rôle de l'homme dans l'utilisation de la technique, afin de se demander
si ces éléments ne font pas du travail une entité qui dépasse la simple application d'une technique.
Nous verrons tout d'abord que le travail peut être défini
comme la mise en œuvre d'une technique, avant de considérer le sens humain du travail qui ne se résume pas à cette mise en œuvre.
Nous pourrons alors
envisager le caractère technique du travail comme un risque de perte de sens du travail humain.
1° Le travail est sous-tendu par la technique
Bergson affirme que l'intelligence humaine vise avant tout l'action sur le monde, et que sa démarche essentielle est
l'invention mécanique : le progrès de l'humanité est marqué et est permis par la fabrication et l'utilisation d'instruments
artificiels.
L'homme semble ainsi devoir être caractérisé davantage comme homo faber, c'est-à-dire l'homme qui fabrique,
que comme homo sapiens, dans la mesure où notre intelligence se caractérise comme la capacité de créer des objets
artificiels, et notamment des outils à faire des outils.
O n peut dans cette perspective penser que le travail est
essentiellement sous-tendu par la technique, et qu'en retour, l'application d'une technique, par l'usage d'un instrument,
dans le travail crée la possibilité de fabriquer de nouveaux outils, ce qui lie indissociablement intelligence, technique,
travail et progrès.
Si le travail a bien pour condition que notre intelligence se donne un but, cela n'amoindrit aucunement le
rôle crucial de la technique, puisque notre intelligence a justement pour démarche essentielle et originaire d'être tournée
vers la fabrication technique lui permettant d'agir sur le monde et de le transformer.
2° La technique ne prend sens que dans le sens humain du travail
Selon Marx, l'essence du travail ne doit pas être cherchée dans la mise en œuvre
d'une technique : une telle conception équivaudrait à définir le travail par son moyen et
non par la signification et le but auxquels il répond chez l'homme.
Le travail doit être
compris comme « un acte qui se passe entre l'homme et la nature » : par le travail,
l'homme transforme la nature, et, s'il le fait en mettant en œuvre une technique, ce qui compte est qu'en transformant la
nature, il se transforme lui-même en développant ses facultés, et en sortant ainsi d'un mode d'existence purement
instinctif.
A insi, les animaux ne peuvent être dits travailler, car, à la différence de l'homme, ils transforment la nature
sans avoir de plan mental précédant et guidant la réalisation.
Le travail est donc spécifique à l'homme qui réalise un but
qu'il s'est fixé et met en œuvre, avant la technique, sa volonté, en réalisant ainsi sa nature propre.
L'homme se distingue de l'animal de nombreuses façons : il est doté d'une conscience, a le sens de la religion, est
capable de pensée et de paroles, etc.
Il suffit de considérer qu'il produit ses moyens d'existence pour le différencier
radicalement de l'animal.
Produisant ses moyens d'existence, il produit sa vie matérielle.
Le travail est une relation de
l'homme à la nature, par rapport à laquelle l'homme joue lui-même le rôle d'une puissance naturelle.
Utilisant son corps
pour assimiler des matières, il leur donne une forme utile à sa propre vie.
Et modifiant la nature extérieure, il modifie en
retour sa propre nature et développe s e s facultés par l'exercice du travail.
Les animaux, eux aussi, "travaillent"
lorsqu'ils accomplissent des opérations semblables à celles des artisans : l'araignée tisse sa toile comme un tisserand,
et l'abeille confectionne les cellules de sa ruche comme nul architecte ne saurait le faire.
"Mais ce qui distingue dès
l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la
construire dans la ruche." Le propre du travail humain est d'être l'aboutissement de ce qui préexistait idéalement en lui.
Le travail n'est pas une simple transformation, un changement de forme dans la matière naturelle, c'est la réalisation
d'un but ou d'un projet dont on a préalablement conscience, et qui constitue la loi de l'action à laquelle on subordonne
durablement sa volonté.
Tout travail exige un effort, une tension constante de la volonté, d'autant plus que le travail est moins attrayant, et que l'homme ne
peut y réaliser ses forces génériques.
3° Le conditionnement de l'homme par la technique
Hannah Arendt, dans Condition de l'homme moderne, distingue au sein de la technique utilisée par le travail l'outil de la machine : dans le travail
artisanal, l'outil était au service de l'homme, il s'adaptait en quelque sorte à la volonté de l'utiliser dans le processus de fabrication.
A l'inverse, les
machines apparues avec le développement industriel exigent que l'homme s'adapte à elles, qu'il adapte son corps à leur mouvement mécanique qui le
dépasse.
Dans le travail mécanique, la machine n'est pas, comme l'était l'outil, un instrument pour l'homme, mais le processus mécanique remplace le
rythme de travail humain.
A lors que l'outil, même le plus perfectionné, ne peut guider ni remplacer l'homme qui s'en sert, la machine guide le travail de
l'homme et pourrait le remplacer.
Le risque qui apparaît alors est celui d'une déshumanisation du travail, qui perd son sens humain, en ne se contentant plus
de mettre en œuvre une technique, mais en étant au service de cette technique qui pourrait se passer de l'homme.
La mécanisation du travail inverse ainsi
le sens originel du travail artisanal, en inversant le rapport d'utilisation entre homme et technique.
Les machines tendent à faire penser que le travail peut se
définir comme la simple mise en œuvre d'une technique, mais il s'agit d'une technique qui conditionne l'homme.
Conclusion
Le travail peut se définir comme la mise en œuvre d'une technique si l'on pense que la technique est à la fois la production qui caractérise la
démarche de l'intelligence humaine et ce qui permet à cette intelligence de réaliser son but d'action sur la nature.
C ependant, l'idée que le travail puisse se
définir comme la mise en œuvre d'une technique semble inverser la priorité entre la technique et l'homme : il faut au contraire penser que ce n'est pas la
technique qui permet de définir le travail, mais le sens humain du travail qui met au service de son but la technique.
On peut alors mettre l'accent sur les
dangers d'une déshumanisation du travail par les progrès de la technique, qui remplace une technique au service de l'homme par une technique qui suffit à
définir le travail, au sens où elle pourrait remplacer l'homme, mais au prix d'une perte de sens de ce travail pour celui-ci..
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