Le temps est-il l'essence même de notre existence?
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Le temps, souvent rapproché en cela de l'espace, semble n'être qu'un contenant pour les phénomènes, un milieu où ceux-ci se
déroulent.
Cependant, si les phénomènes naturels se produisent dans le temps, qu'en est-il du rapport de l'homme au temps ?
L'existence même de l'homme ne s'articule-t-elle pas autour de souvenirs et de projets, indiquant par-là une conscience pétrie de temps ?
En ce sens, se demander si le temps est l'essence même de notre existence, revient à s'interroger sur les rapports de la conscience au
temps et la manière dont elle s'y rapporte.
I – Les trois présents selon saint Augustin
Dans les Confessions, saint Augustin se demande ce qu'est le temps.
Certain de le savoir tant qu'on ne le questionne pas, le
philosophe avoue douter dès qu'on lui pose la question.
Que révèle cette incertitude ? L'idée que le temps, dès que l'on réfléchit sur lui,
n'existe pas : en effet, le passé n'est plus, le futur n'est pas encore et le présent disparaît à mesure qu'il apparaît.
Comment fonder,
dans ces conditions, notre existence sur un tel flux ?
Nous avons, semble-t-il, conscience du temps, de sa fuite en avant – de son écoulement – à tel point que nous organisons notre
vie autour de celui-ci.
C'est donc le signe que l'homme arrive à embrasser le temps d'un simple acte de conscience.
Afin de l'expliquer,
saint Augustin distingue un « présent du passé », un « présent du présent » et un « présent du futur ».
Ce triple présent permet ainsi
d'inclure dans le présent lui-même, le passé et le futur sous l'espèce du souvenir et de l'attente.
De fait, j'agis toujours dans le présent en me souvenant des résultats obtenus suite à telle action ; de même, je fais des projet par
rapport à mon état actuel, ramenant face à moi ce que je ferai plus tard.
Ainsi, la conscience apparaît comme pénétrée du temps à partir
duquel s'articule l'existence.
II – La phénoménologie du temps
Dans cet ordre d'idée, Husserl fait un pas supplémentaire en montrant comment la conscience implique un rapport au temps.
Dans
la Phénoménologie de la conscience intime du temps, il montre que la conscience est intentionnelle, c'est-à-dire conscience de quelque chose.
Dans la perception des choses situées dans l'espace, la conscience sélectionne toujours des éléments significatifs qui l'intéressent.
Cela
est aussi vrai pour la conscience du temps, où le passé est « retenu », sans pour autant se confondre avec le présent, de même que
quelque chose est à chaque instant anticipé, comme une suite du présent.
Ainsi, la conscience n'est-elle jamais prise dans le simple
présent, mais en rapport avec la totalité du temps.
C'est cette intentionnalité (projection vers le passé et le futur à partir du présent) qui
fonde l'existence elle-même et sa cohérence.
Par exemple, l'écoute d'une mélodie ne s'opère pas note à note ou instant après instant, c'est-à-dire d'une manière successive.
L'audition suppose en effet d'entendre un rapport entre les notes, qui les lie depuis le passé jusqu'au futur en passant par le présent.
En
d'autres termes, lorsque j'entend telle note, je me souviens des précédentes, anticipe les suivantes et confère à la mélodie la structure
d'un tout.
De la même manière, mes actes et mes pensées ne sont pas isolés, mais pris dans l'homogénéité de ma conscience du temps,
qui me les rend présents et me permet de les ressaisir.
Si exister signifie ek-sistere (se tenir hors de), ma conscience du temps est
précisément ce qui me fait me tenir hors de moi, tendu vers le passé et le futur.
III – La durée bergsonienne
L'existence se fonde donc sur la conscience du temps, idée que formule Bergson (Essai sur les données immédiates de la conscience)
à partir de l'opposition entre temps spatialisé et durée.
Le temps spatialisé est un temps que l'on se représente grâce à de l'espace : cinq
minutes correspondent alors à cinq tours de cadran pour la trotteuse d'une montre.
C'est le temps dont se servent les physiciens et selon
lequel le passé implique nécessairement le futur.
Il s'agit d'un temps mécanique, où les instants succèdent à des instants.
À l'inverse, la durée coïncide avec le vécu profond de la conscience, au sens où celle-ci n'est pas régie par la succession, mais par la
simultanéité, sur le mode d'un déroulement psychique continu.
Ma conscience porte en elle sous la forme du souvenir et de l'attente
l'ensemble du temps.
De ce point de vue, ce qui arrive en un temps t2 ne dépend pas de ce qui se passe en un temps t1.
La durée est la
possibilité même de la nouveauté et de la création.
L'existence est donc régie par une contraction du temps au sein de la conscience, lui permettant ainsi d'innover dans le monde.
Dire
que la conscience dure, c'est dire qu'elle opère une synthèse des divers moments du temps et pose la possibilité de son existence et de
sa propre création.
Selon Bergson, la durée est la réalité même : c'est-à-dire la durée pensée et concrètement vécue, le
temps de la conscience intime, et non la durée mesurée comme une distance d'un point à un autre.
Afin
de saisir cette durée, le philosophe doit se réconcilier avec ce qu'il vit concrètement et faire prévaloir la
perception des choses sur leur conceptualisation.
Comment appréhender cette durée qui semble toute intime ? Il convient d'opérer une conversion, de
nous défaire des habitudes de pensées qui réduisent le réel à une ombre de lui-même, en ne faisant que
le mesurer et le diviser par pur intérêt.
Si nous n'avons de la durée que cette perception réduite, cela
signifie que, pour nous, la durée est d'abord ce qui nous sépare de quelque chose ou, si l'on veut, un
moyen terme entre un début et une fin.
Ce moyen terme n'est donc pas perçu pour lui-même, mais en
vue d'autre chose, et la réduction de la durée à de l'espace signale d'abord une conception utilitaire du
monde, bien loin du désintéressement qui devrait être celui du philosophe.
Si nous voulons saisir ou
contempler la durée en son absoluité, ou du moins nous en rapprocher, il nous faut nous défaire de notre
obsession pour l'action.
Conclusion :
Ainsi, le temps apparaît comme une des modalités principielles de la conscience, ce sur quoi elle
repose dans sa connaissance du monde autant que dans la préparation de l'action.
Or, si la conscience
est le paradigme – la forme même – de l'existence, au sens où elle permet d'être hors de soi (exister =
se tenir hors), c'est bien parce que le temps articule ses divers vécus : projets, souvenirs, contemplation
et action présentes, en un tout homogène et continu.
Tandis que les objets inertes ne sont pas conscients ; tandis que le vivant se trouve
pris dans le présent (l'animal répond à des stimuli, mais n'anticipe pas), l'homme découvre le temps comme l'essence de son existence,
comme la possibilité d'être hors de soi, de se projeter en tous sens, de planifier ses actions et pensées et de les rectifier selon le passé.
De ce point de vue-là, on peut dire que nous sommes dans le temps, pour autant qu'on le considère comme le fondement, la possibilité
même de l'existence..
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