Le soleil se lèvera-t-il demain ?
Extrait du document
«
"Le soleil ne se lèvera pas demain, cette proposition n'est pas moins
intelligible et elle n'implique pas plus contradiction que l'affirmation : il se
lèvera.
Nous tenterions donc en vain d'en démontrer la fausseté.
Si elle était
démonstrativement fausse, elle impliquerait contradiction et l'esprit ne
pourrait jamais la concevoir distinctement.
C'est donc peut-être un sujet digne d'éveiller la curiosité que de rechercher
quelle est la nature de cette évidence qui nous assure de la réalité d'une
existence et d'un fait au-delà du témoignage actuel des sens ou des rapports
de notre mémoire.
[...]
Tous les raisonnements sur les faits paraissent se fonder sur la relation de la
cause à l'effet.
C'est au moyen de cette seule relation que nous dépassons
l'évidence de notre mémoire et de nos sens.
Si donc nous désirons nous satisfaire au sujet de la nature de l'évidence qui
nous donne la certitude des faits, il faut que nous recherchions comment
nous arrivons à la connaissance de la cause et de l'effet.
J'oserai affirmer, comme une proposition générale qui n'admet pas d'exception,
que la connaissance de cette relation ne s'obtient, en aucun cas, par des
raisonnements a priori ; mais qu'elle naît entièrement de l'expérience quand
nous trouvons que des objets particuliers sont en conjonction constante l'un
avec l'autre."
David Hume, Enquête sur l'entendement humain (1748), trad.
A.
Leroy,
Aubier-Montaigne
Ce que défend ce texte:
Ce texte de Hume s'interroge sur la manière dont la science établit ce qu'elle appelle les lois de la nature.
Lorsqu'un
chimiste nous dit que tel phénomène (par exemple l'ébullition de l'eau) est dû à telle cause (la chaleur), il établit une
relation de cause à effet qui s'exprime sous la forme d'une loi chimique simple : l'eau bout à cent degrés.
Comment
pouvons-nous être sûrs, pourtant, qu'à chaque fois que nous porterons de l'eau à cent degrés elle se mettra à
bouillir, et cela même en supposant l'avoir déjà vérifié un très grand nombre de fois?
Pour rendre encore plus sensible l'importance de cette question, Hume choisit ici un exemple emprunté à la
connaissance commune, une évidence telle que celle qui consiste à dire : «le soleil se lèvera demain».
Cette
banalité que personne ne songerait à mettre en doute soulève pourtant les mêmes difficultés que les lois les plus
abstraites de la science.
Comment la raison sait-elle que le soleil se lèvera demain? Comment peut-elle aujourd'hui
prouver qu'il se lèvera bien demain?
Ces questions sont légitimes car celui qui affirme que le soleil se lèvera demain n'a pas plus d'arguments pour le
prouver que celui qui affirmerait le contraire.
Tous les deux en sont, au moment où ils parlent, au même point.
Leurs
deux propositions sont compréhensibles et ne comportent pas de contradiction, c'est-à-dire ne comportent pas de
termes qui se contredisent entre eux.
Une phrase qui se contredit est une absurdité qu'on ne peut jamais concevoir.
Or l'expression «le soleil ne se lèvera pas demain» se conçoit clairement car sa forme logique n'est pas incohérente :
«Nous tenterions donc en vain d'en démontrer la fausseté.»
Comment alors savons-nous que cette phrase est fausse, et que le soleil se lèvera bien demain? On ne peut se
contenter ici de répondre : «parce qu'on le voit», étant donné qu'il s'agit d'un événement qui ne s'est pas encore
produit et qui est donc «au-delà du témoignage actuel des sens».
Hume remarque alors que dans la science un seul
type de connaissance dépasse précisément l'évidence de nos sens : c'est celle qui porte sur la relation de la cause
à l'effet, et qui permet au chimiste d'établir ses lois.
La proposition «le soleil ne se lèvera pas demain» a donc le
même caractère que les lois de la science et ce sont bien elles qui sont visées par ce texte.
Abandonnant cet exemple, Hume expose alors clairement la nature du problème en jeu: «il faut que nous
recherchions comment nous arrivons à la connaissance de la cause et de l'effet», c'est-à-dire comment nous
établissons cette liaison nécessaire qui transforme un phénomène en «cause» d'un autre phénomène qu'on appelle
«effet».
Pour Hume, la réponse tient en ces termes : la connaissance de cette relation naît de l'expérience uniquement et
non pas d'un raisonnement.
Or seuls les raisonnements peuvent nous livrer des résultats absolument nécessaires,
comme en mathématiques, résultats qui n'ont pas besoin d'être confrontés à l'expérience et ne risquent pas de subir
son démenti.
C'est pourquoi on doit dire que les raisonnements nous livrent des vérités a priori.
Si ce n'est pas le
raisonnement qui établit la relation de la cause et de l'effet mais l'expérience sensible, qu'est-ce qui fonde alors la
certitude de l'invariabilité des lois physiques ?
Pour Hume, cette certitude est en réalité fondée sur l'habitude.
Nous avons eu l'habitude d'observer un certain
nombre de fois la conjonction de deux phénomènes quelconques et nous généralisons, sous l'effet de cette
fréquence, cette conjonction que nous proclamons loi universelle et relation invariable de cause à effet.
Ce à quoi s'oppose cet extrait:
Cette conception très audacieuse cherche à démystifier les certitudes de la science dans ce qui constitue son
principe le plus essentiel : le principe de causalité.
Celui-ci ne cacherait, en réalité, qu'une simple opinion, liée à l'habitude que nous avons de voir se produire la
conjonction de deux phénomènes, sans que rien ne puisse garantir que cette conjonction se produira toujours.
C'est.
»
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