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Le sentiment esthétique est-il universel ?

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On pense généralement que la beauté peut être ressentie par tous, mais est-ce la réalité ? Ne faut-il pas avoir une sorte d’instinct, une éducation particulière pour juger de la beauté ? Il est ici question d’opposer encore la vision intellectualiste de l’art avec une vision purement sensible de celui-ci. Et pour percevoir l’art par l’intelligence, une éducation au goût est requise, car le goût se doit d’être formé. 

« On pense généralement que la beauté peut être ressentie par tous, mais est-ce la réalité ? Ne faut-il pas avoir une sorte d'instinct, une éducation particulière pour juger de la beauté ? Il est ici question d'opposer encore la vision intellectualiste de l'art avec une vision purement sensible de celui-ci.

Et pour percevoir l'art par l'intelligence, une éducation au goût est requise, car le goût se doit d'être formé. 1) Le beau est perceptible immédiatement, il n'y a pas besoin de culture pour le voir. Pour Platon, l'art est magique, d'une magie qui délivre de toute superficialité ; il est folie, délire (Phèdre, 245 a), mais en cela il nous ravit dans un ailleurs, dans un au-delà, dans le domaine des essences.

Loin de résider exclusivement dans l'objet, dans le visible, le Beau est, en soi, condition de la splendeur du visible et, à ce titre, idéal dont l'artiste doit se rapprocher ; d'où le thème de la mimèsis.

De la beauté des corps à celle des âmes, de celle des âmes à celle de l'Idée, il y a une progression, qu'énoncent les textes de l'Hippias majeur et du Phèdre et que ramasse la dialectique du Banquet et de La République ; mais il faut noter que l'Idée du Beau est seule à resplendir dans le sensible ; seule capable de séduire directement, elle est distincte des autres Idées.

D'où la complexité de l'esthétique platonicienne.

Car, d'un côté, l'art ne peut être que second par rapport au Vrai ou au Bien et le Beau est en désaccord avec le Vrai et le Bien, puisqu'il apparaît dans le sensible ; pourtant, ce désaccord est heureux, et le Beau rejoint le Vrai parce qu'il révèle ou désigne l'Être au sein du sensible ; et l'art, s'il peut et doit être condamné, en ce que l'imitation des Idées telle qu'il l'accomplit est toujours de second ordre, mérite cependant d'être pris en considération en ce qu'il est médiation : par lui s'articule la différence entre sensible et non sensible. Aussi, tout le monde percevoir cet intelligible dans le sensible.

Platon ne fait pas état d'une quelconque culture requise pour avoir accès à la dimension de l'intelligible.

Mais ce rapport immédiat nécessite tout de même la médiation de l'art.

L'art étant du domaine de la culture, il faut passer par une éducation pour le juger à sa juste valeur, ce que Platon a lui-même pensé pour préserver sa cité de la corruption des mœurs.

Les émotions esthétiques doivent être régulées pour admises socialement. 2) Tout le monde est à même de ressentir du plaisir esthétique. On connaît les célèbres analyses de Kant.

Le beau, dit-il, est sans concept ; impossible de définir ce qu'est le beau en soi, et donc de donner des règles qui en garantissent la production ; le jugement de goût est toujours singulier, il ne dit pas que les roses sont belles, mais que cette rose est belle.

Et il ne justifie pas, il exprime simplement le plaisir que nous prenons à percevoir la chose belle.

Ce plaisir est à la fois le ressort et le critère du jugement.

Critère subjectif, donc ; et, en effet, le plaisir à son tour exprime l'état du sujet, l'harmonie de ses facultés dans leur libre jeu.

En disant que l'objet est beau, je ne sais et je ne dis rien de lui, je parle de moi, et j'affirme que ma perception est heureuse.

Pour lui, le jugement de goût, même s'il ne peut se justifier par quelque concept, revendique l'universalité ; en prononçant ce jugement, j'affirme que tous doivent le prononcer comme moi.

Mais ce que j'arrache ainsi à la relativité de l'histoire, ce n'est pas une idée du beau, ou un art poétique, c'est une idée de l'homme ; ce que je promeus à l'universel, c'est le sentiment que j'éprouve devant le beau, dont je postule que tous doivent l'éprouver : j'affirme que tous les hommes sont semblables, qu'il y a en eux une nature transcendantale universelle, je suppose que « chez tous les hommes les conditions subjectives de la faculté de juger sont les mêmes [...] car sinon les hommes ne pourraient pas se communiquer leurs représentations et leurs connaissances ».

Il faut donc que tout le monde soit à même de ressentir le sentiment de beauté pour qu'il y ait communication entre les hommes, au contraire, on ne pourrait penser que les capacités humaines soient égales. 2) Le goût comme mixte de culture et de sensation. Le goût personnel est, en quelque sorte, un sixième sens, la faculté de déceler la beauté d'une forme, au-delà d'adjonctions extérieures disparates et en faisant abstraction de l'opinion d'autrui.

Cette lucidité de l'œil, cette pénétration visuelle immédiate peut s'exercer dans des domaines très différents selon le genre de vie, les curiosités, les activités de chacun : le choix d'objets de collection ou celui d'un vêtement, l'arrangement d'un vase de fleurs ou la présentation d'une exposition font appel, pour une part, à une même intuition de l'harmonie, à un même sens des couleurs et des rythmes.

L'art de susciter des accords satisfaisants, de mettre en valeur les éléments rares ou précieux d'un ensemble à première vue sans accents particuliers, dépend en partie de la formation reçue, de l'orientation adoptée sous l'influence du milieu familial ou social et en fonction des aptitudes intellectuelles de chacun.

Mais ces facteurs extérieurs interviennent à des degrés divers selon la nature et l'orientation du goût. D'une même éducation, d'un même milieu, des tempéraments divers reçoivent des impulsions différentes.

Chaque personnalité établit spontanément une sélection dans le « matériel » intellectuel ou visuel mis à sa portée.

La mémoire enregistre, élimine, crée des hiérarchies.

Et ce choix, déterminé par le goût, modifie l'environnement individuel, influence les choix ultérieurs et développe les tendances majeures de la personnalité.

Il n'en reste pas moins que l'œuvre des peintres, des sculpteurs, des architectes peut exercer une influence décisive sur le goût, soit que les artistes s'imposent d'eux-mêmes et imposent leur propre conception de la beauté, soit qu'ils se trouvent mis en vedette, protégés, imposés par les puissants du jour.

Citons encore une fois Voltaire : « Le goût se forme insensiblement dans une nation qui n'en avait pas parce qu'on y prend peu à peu l'esprit des bons artistes.

On s'accoutume à voir les tableaux avec les yeux de Le Brun, du Poussin, de Le Sueur ; on entend la déclamation notée des scènes de Quinault avec l'oreille de Lulli, et les airs, les symphonies, avec celle de Rameau.

On lit les livres avec l'esprit des bons auteurs.

» Quant à l'art de cour, des palais minoens aux salons de la princesse Mathilde, certes il impose un style, mais il oriente aussi le goût, d'abord dans le pays où il est né, puis partout où s'exerce l'influence de celui-ci.

Dans ce cadre, la jouissance esthétique peut exister à la condition que l'individu ait reçu un minimum d'éducation artistique, qu'on lui ait montré ce qui valait la peine d'être aimé.

Plus un individu serait éduqué, plus il. »

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