Le sentiment est-il seul à l'œuvre dans la création artistique ou la raison y tient-elle une place ?
Extrait du document
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Il n'y a pas de recette pour réaliser un chef-d'œuvre, les faussaires procèdent selon des techniques précises qui relèvent de
l'artisanat, mais la création artistique en elle-même ne procède pas de façon mécanique.
L'artiste n'est pas un artisan ni un mécanicien,
la formation de son œuvre ne tient pas à la réalisation rationnelle d'un plan.
Ce n'est pas la raison mais le sentiment qui guide l'artiste,
l'inspire, lui indique quel chemin prendre et quel geste abandonner.
Cependant il nous faut demeurer prudent, il semble que la primauté
du sentiment n'exclut pas absolument la raison du processus de création artistique.
En effet, l'artiste obéit à certaines règles de
composition et nous verrons que sacrifier toute raison c'est risquer de produire une œuvre incohérente et peut-être manquée.
I-La raison ne tient aucune place dans la création artistique.
C'est être victime de fausses représentations que de croire qu'un artiste ne procède pas de façon bien différente qu'un artisan ;
l'artiste ne sait pas à l'avance ce qu'il va obtenir, sa matière première est une inspiration, celle-ci le pousse à prendre quelque parti mais
ne lui donne pas en vision le résultat final.
Dans L'évolution créatrice Bergson montre dans la première partie que l'artiste œuvre à l'abri de
toute logique mécaniste ou finaliste.
L'ouvrier à la chaîne procède de la première des deux manières, il assemble des pièces parties après
parties sans dominer aucunement la direction générale de son travail.
L'artisan procède lui de manière finaliste, son travail consiste à
réaliser un plan.
Bergson montre que le geste de l'artiste ne saurait être mécaniste, c'est-à-dire que l'œuvre n'est pas composée partie par partie
de façon méthodique et homogène, le geste créateur n'est pas répétitif ni contrôlé mais suspendu à une
poussée que l'artiste ne domine pas lui-même.
Seul un faussaire recompose une toile de maître parties
par parties, mais la création ne saurait être résumée ainsi.
Un tableau n'est pas un mécano complexe,
sans quoi il existerait sûrement quelque recette pour produite une œuvre d'art.
L'artiste ne travaille pas plus selon une logique finaliste : il découvre son œuvre en même temps
qu'il la fait, non qu'il travaille à l'aveugle, mais toujours en tout cas en empiétant sur l'inconnu.
C'est le
sens m ê m e d e la création : dévoiler d e la nouveauté.
L'œuvre d'art n'est pas un projet rationnel, un
dessin accompli dans le cerveau de son créateur et que ce dernier n'aurait qu'à réaliser.
Elle est pour luim ê m e une aventure, une œuvre d'art ce n'est pas de la peinture au numéro, c'est-à-dire un travail
prévisible.
II-Le sentiment est seul à l'œuvre dans la création artistique.
La création artistique est tout entière rivée à l'inspiration de l'artiste, laquelle ne tient qu'aux
sentiments qui traversent celui-ci.
On ne cesse d'entretenir ce qui est désormais tenu pour un cliché :
l'image de l'artiste tourmenté.
Mais, à bien y réfléchir, il n'y a peut-être d'artiste inspiré que pris dans un
tourment.
L'artiste est un homme qui a quelque chose à dire, à exprimer, la tranquillité n'est-elle pas
synonyme pour lui d'infertilité ? Certes, il faut concéder qu'il y a des poèmes ou des toiles qui respirent la
tranquillité, qui semblent moins tenir du sentiment que d'une finesse d'observation.
Mais celle-ci peut
encore être interprétée comme tenant à un certain sentiment, à une sensation singulière inspirée par tout
un monde contenu dans quelque détail de la nature.
La condition de possibilité d'une œuvre d'art tient peut-être à ceci que les sentiments ne doivent être opprimés par aucune règle,
par aucune prescription externe, pouvant ainsi être exprimés en informant quelque matière (le langage pour la poésie, la couleur et la
forme pour la peinture, le marbre, la pierre pour la sculpture…).
Cette information de la matière par le sentiment brut correspondrait au
germe d'une œuvre d'art.
La moindre réflexion ou hésitation corrompt le geste unitaire et sensible de l'artiste.
On entend souvent des
cinéastes se plaindre de l'intervention et du concours d'autrui dans leur création, si le cinéma est un art, on peut comprendre les réticences
du réalisateur à devoir concéder telle chose au monteur ou au directeur de la photo qui dégraderait une intention première.
On peut se référer aux théories, en réalité restées informelles, esquissées par Freud au sujet de la sublimation.
Sublimer un désir
c'est éventuellement le transformer en produit artistique, le désir est comme une énergie que le sujet peut canaliser par divers moyens, la
création artistique est l'un de ceux là.
La tentation est forte de comprendre, à sa source, la création artistique comme nourrie de désir et
finalement de sentiments humains.
III-La raison tient une place dans la création artistique.
Malgré tout il nous faut tempérer quelque peu nos propos et faire preuve d'un minimum de concession à l'égard de la raison.
En
effet, il nous semble que si celle-ci n'inspire pas l'artiste elle participe tout de même à l'élaboration de l'œuvre d'art.
La raison borde le
processus d e création et lui garanti une certaine cohérence.
Le compositeur ne peut créer que dans les limites imparties par les lois
d'accords ; le poète doit respecter un minimum d e lois grammaticales, sauf à ne produire que des onomatopées, ce qui a été fait
(notamment par les surréalistes et les futuristes italiens vers 1920, mais la question est évidemment : est-ce encore de l'art ?).
Jadis le
poète devait même respecter les lois de la métrique, les césures, hémistiches, les rimes, étaient autant de règles bordant son œuvre.
Nous disons effectivement bordant car nous croyons que ces règles sont là pour garantir une tenue à l'œuvre, sans laquelle celleci se dissolverait en un agrégat innommable, par exemple des onomatopées.
L'artiste n'est jamais totalement fou, il conserve la capacité
de retenir un minimum de règles afin de donner une cohérence à sa création.
Sans ce soutien de la raison, l'œuvre est sabotée, pensons
par exemple à l'œuvre produite par Frenhofer dans la nouvelle de Balzac Le chef d'œuvre inconnu.
Le peintre, obsédé par l'idée de produire
l'œuvre parfaite, oubli les règles de composition élémentaires et accouche d'un travail insensé, une toile sur laquelle on ne distingue plus
rien, sur laquelle aucune unité de sens ne saurait subsister, il n'y a plus qu'un amas de couleurs.
Il nous semble que tout type d'art possède ainsi ses règles génériques, la connaissance de celles-ci ne sert en rien l'artiste dans
son inspiration mais elle lui permet de ne pas produire quelque chose d'informe et dont on se demande si c'est ou non de l'art.
Certes, le
véritable artiste c'est, pourrait-on dire, celui qui crée son propre style, il reste que sa singularité demeure assujettie a u x m ê m e règles
élémentaires que celles en valeur pour tout un chacun.
Conclusion :
La raison ne peut donc être tout à fait exclue du processus de création artistique, elle y tient une place clef.
La raison ne se situe
donc pas en marge de l'art mais elle est ce par quoi l'œuvre d'art peut être garantie comme possèdant une certaine cohérence.
Sans un
minimum de raison, ce qu'exprime l'artiste risque de n'apparaître que comme une production inconsistante.
La place de la raison dans la
création est donc celle des règles, des codes, que l'artiste doit respecter.
Il peut s'en affranchir pour en créer de nouveaux, l'important
étant que son œuvre conserve une cohérence..
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