Le rôle de l'imagination dans la vie courante ?
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INTRODUCTION
Partir des différents sens du mot imaginer et, puisqu'il s'agit de la vie courante, retenir le sens courant.
Aux yeux du
sens commun, l'imagination est essentiellement « maîtresse d'erreur et de fausseté » (Pascal) ; c'est la .< folle du
logis » (Malebranche).
Quand on parle de frapper les imaginations, quand on dit d'un homme qu'il est victime de son
imagination, quand on songe aux malades imaginaires, l'imagination apparaît toujours comme la faculté de se
représenter ce qui n'est pas.
Que cette faculté soit puissante, l'expérience commune en témoigne ; il s'agit de
préciser le rôle qu'elle joue dans la vie courante en voyant successivement comment elle intervient dans nos
opinions, dans nos sentiments et dans nos actions.
Pour cela nous nous demanderons quel est son mécanisme,
quels sont ses effets ordinaires et quelle attitude l'homme doit observer à son égard.
I.
LA CONNAISSANCE ET LES OPINIONS
— A — Mécanisme.
Constater l'existence et le succès de la Publicité.
Comment se fait-il qu'il suffise de faire afficher
sur les murs « tel produit est le meilleur », sans avancer l'ombre d'une preuve, pour que ce produit soit acheté de
préférence à d'autres ? La Publicité ne se contente pas de taire connaître un produit, elle dispose les clients à
demander ce produit à leurs marchands.
Pour le comprendre, il faut revenir à l'exemple célèbre, emprunté par Pascal
à Montaigne : « Le plus grand philosophe du monde sur une planche plus large
qu'il ne faut, s'il y a au-dessous un précipice, quoique sa raison le convainque
de sa sûreté, son imagination prévaudra » (Pensées, II, 82, éd.
Brunschvicg).
C'est que l'imagination est une pensée portée par tout le corps, une pensée
nourrie de mouvements ou d'ébauches de mouvements.
Imaginer, c'est penser
selon les affections corporelles (Descartes disait que l'imagination est la
pensée en tant qu'elle est tournée vers le corps) et c'est pourquoi
l'imagination nous touche plus que l'entendement.
La Publicité précisément
s'adresse à l'imagination et non à l'entendement ; de là sa puissance de
persuasion.
Des images nous donnent envie d'aller dans tel pays, d'employer
tel savon ou de boire tel apéritif, mieux que ne sauraient faire des arguments.
— B — Effets.
La plupart de nos jugements sont oeuvres d'imagination.
Exemple de nos opinions sur autrui : autrui nous est sympathique ou
antipathique (attitude émotive, purement subjective), et nous traduisons :
autrui est bon ou méchant, intelligent ou stupide.
D'une façon générale nous
croyons le plus volontiers ce qui nous touche ; telle est la crédulité.
« Ce que
le désir engendre, remarque Valéry, est toujours ce qu'il y a de plus clair ».
Il
est même fréquent que de deux explications, la moins rationnelle soit préférée
parce qu'elle est plus émouvante.
Les histoires merveilleuses ou terrifiantes,
qui parlent au coeur plus qu'à la raison, sont aisément crues.
Montaigne, qui
dénonçait si justement la puissance trompeuse de l'imagination, ne laissait pourtant pas d'accorder quelque crédit à
des récits invraisemblables (voir Essais, I, 20, notamment l'exemple de Cippus, roi d'Italie, « lequel pour avoir assisté
le jour, avec grande affection, au combat des taureaux, et avoir eu en songe toute la nuit des cornes dans la tête,
les produisit en son front par la force de l'imagination »).
Ce qu'on appelle frapper les imaginations, c'est présenter
une idée sous une forme telle qu'elle provoque une émotion ; il s'agit d'imposer une attitude corporelle et les
pensées suivent (Cf.
la Propagande).
— C — Éthique.
L'homme peut-il résister à la Publicité, à la Propagande ? Quand le philosophe est sur sa planche, la
voix de la raison peut-elle l'emporter sur celle de l'imagination ? C'est plus difficile qu'on ne croit.
Il faut un long
apprentissage et une ferme volonté pour se rendre capable de distinguer les lumières de l'entendement des vives
clartés de l'imagination.
Noter ici l'importance de la culture scientifique : la connaissance de l'ordre extérieur est ce
qui nous délivre le mieux de l'imagination.
C'est l'astronomie, c'est-à-dire l'observation de phénomènes strictement
réglés par des lois, qui a fait passer l'esprit humain de « l'état théologique » (où, selon Comte, règne l'imagination) à
« l'état positif ».
Aussi Alain dit-il qu'il faut « contempler astronomiquement tout ».
Cela signifie qu'il faut juger
froidement pour juger correctement ; dès que la chose ou l'événement nous touche, dès que nous sommes émus,
nous courons le risque de céder à l'imagination et de juger mal.
Le conseil que donnait Descartes, de suspendre son
jugement aussi longtemps qu'un doute est possible, est difficile à suivre ; il faut s'y efforcer pourtant si l'on veut
échapper aux vains prestiges de l'imagination et connaître au lieu de rêver.
II.
LES SENTIMENTS ET LE BONHEUR
— A — Mécanisme.
Nous venons de voir que dans l'imagination, l'affection corporelle détermine le jugement ; mais
en retour le jugement fortifie l'affection corporelle : je juge une chose bonne pour moi parce que je la désire, mais
l'ayant jugée bonne, je la désire davantage.
C'est ainsi que l'imagination nourrit le sentiment ou plutôt la passion.
Ce
qui caractérise le passionné, c'est en effet cet accord entre les mouvements de l'âme et ceux du corps ; d'où le
bonheur de la passion qui tient à ceci que l'on fait de tout son être ce que l'on fait.
Se passionner, c'est se donner
corps et âme, et l'imagination intervient précisément pour tresser et renforcer cette liaison des sentiments et des
pensées.
Son travail est fort bien décrit par Stendhal, dans De l'Amour, sous le nom de « cristallisation » : l'émotion.
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