Le rire est-il le propre de l'homme ?

« V otre sujet repose sur une formule célèbre que l'on doit à Rabelais (cf.

Gargantua).

Que nous apprend-elle ? Q ue le rire est une spécificité humaine.

Or, pourquoi rit-on et l'animal peut-il rire ? C ertaines mimiques du chimpanzé donnent à penser qu'il rit.

Sa bouche s'ouvre largement comme s'il souriait et des cris de joie sortent de sa gorge.

T outefois, pour rire, il faut pouvoir être conscient de ce qui nous fait rire.

L'animal lui, ne donne que l'impression de rire mais sa réaction est instinctive.

Bien sûr, chez l'homme aussi le rire apparaît comme la simple réaction à un stimulus, mais on distingue tant de formes de rires, tant de raisons de rire, tant de rapports culturels au rire que ce dernier apparaît en effet n'être que le propre de l'homme.

Le rire a des causes qui échappent à l'animal.

Le comique a des variétés qui n'appartiennent qu'au monde humain (comique de geste, comique de situation, de répétition, moquerie, ironie, degrés...).

Demandez-vous alors ce que le rire nous apprend sur nous-mêmes ? [En riant, nous écartons tout sentiment tragique de la vie, nous montrons notre capacité à être spontanément heureux et à partager ce bonheur avec les autres.

Les gens qui rient sont incapables de faire le mal.] Face au tragique de la condition humaine, on peut être soit pessimiste, soit optimiste A voir une vision gaie et optimiste ou, au contraire, pessimiste et tragique de la condition humaine est avant tout une question de tempérament.

Les deux philosophes grecs Héraclite et Démocrite constataient déjà que le monde n'est pas toujours un paradis.

Mais l'un, dit-on, avait choisi de rire, tandis que l'autre pleurait toujours.

C ela illustre deux attitudes opposées face à la vie et aux questions que pose la condition humaine. Le rire est un acte gratuit et irrationnel La philosophie a été trop éprise de sérieux pour réellement comprendre le rire.

Nietzsche a donc voulu rompre avec cette attitude raisonneuse et chagrine en prônant l'amour de la vie, le jeu, la légèreté.

A vant lui, Spinoza disait que la joie était l'état naturel des hommes.

C ette joie résulte d'un accord profond avec l'ordre des choses, accord qui est peut-être plus du domaine de l'instinct et du corps que de la raison.

Le rire est par excellence un acte irrationnel. Le rire est un signe d'humanité Les bourreaux, les dictateurs, les fanatiques religieux ne rient pas, sauf par cruauté.

C elui qui est capable de faire du mal aux autres ne connaît pas la joie. Rabelais et V oltaire, confrontés tous deux en leur temps au fanatisme des doctrinaires, illustrent chacun à leur manière, par leur rire, cette liberté et cette confiance saine dans la vie et dans les hommes, sans laquelle il n'y a pas de véritable humanité. [Le rire est immoral dans un monde où règne le malheur.

Seul l'ignorant est capable de manifester de la joie.

Par ailleurs, nous ne savons rire que du ridicule des autres.

Le rire est un signe de cruauté.] Le rire est une activité futile On ne peut rire que si l'on cesse de réfléchir et d'être conscient du mal et de l'absurdité qui caractérisent la condition humaine.

Un philosophe comme Schopenhauer, soulignant l'impuissance qui est notre lot, adopte une vision pessimiste de la vie.

Le rire est souvent la marque d'un esprit léger, futile et irresponsable, qui refuse de se poser des questions importantes.

Le C hrist ne riait pas, ni les fondateurs d'autres religions, qui avaient conscience de la puissance du mal. Il faut prendre la vie au sérieux Nous ne pouvons vivre notre vie pleinement sans prendre les choses au sérieux.

Rien d'essentiel - philosophie, art, amour - ne s'accomplirait sans un fond de sérieux.

Bergson pense par exemple que la tragédie est plus «artistique» que la comédie, car elle exprime des vérités plus profondes et plus personnelles, tandis que la comédie repose sur une complicité avec les autres, ce qui la rend plus artificielle, moins sincère. Le rire est un signe de cruauté A u fond, nous ne savons rire que du ridicule des autres.

En analysant les ressorts de la comédie, Bergson montre que le rire est une réaction déclenchée. par le spectacle d'un personnage inadapté.

Par le rire, la société juge un personnage qu'elle trouve ridicule, parce qu'il sort sans le savoir du comportement convenu.

L'auteur comique qui recherche une complicité avec le public le fait toujours aux dépens d'un tiers. Bergson, le rire est avant tout celui du groupe face au spectacle d'un individu inadapté.

En général, le rire apparaît comme un comportement instinctif, irréfléchi.

Il est la marque d'un esprit insouciant, superficiel et irresponsable.

Il implique une certaine inconscience devant les malheurs du monde.

On parle souvent d'un «rire bête», rarement d'un «rire intelligent». Toutefois, un trop grand sérieux conduit à des attitudes inhumaines, comme le fanatisme.

Rire, c'est le propre d'un esprit sain, libre, amoureux de la vie, confiant dans l'homme.

C 'est un signe d'humanité, la preuve que nous pouvons être spontanément heureux.. »