Le progrès technique est-il une valeur ?
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Quelle signification, alors, donner à l'idée de décadence ? Y aurait-il une logique du progrès, une force irrépressible créée par l'homme et qui le dénaturerait (Rousseau) ? Un sens des valeurs, qui ne sont pas d'ordre technique mais spirituel, se perdrait. La civilisation romaine, florissante et puissante, a fini par s'effondrer. Plus près de nous, le terme de technocratie indique l'importance grandissante du rôle déterminant de la technique et de ses conséquences économiques dans l'organisation sociale et politique. Dans Les Temps modernes, Charlie Chaplin montre l'homme robotisé, pièce d'une machine qui peut le broyer, lui ôter son humanité. L'idée de valeur renvoie à valor, c'est-à-dire ce qui a de la force, de la puissance. Or, si la technique a une valeur réelle, c'est en tant que moyen, en vue de fins qui ne sont pas techniques. Ainsi, le problème de l'utilisation de la technique n'est pas, en son fondement, d'ordre technique, mais politique et moral. L'histoire nous enseigne que si la technique permet d'améliorer les conditions matérielles de la vie, elle ne rend pas les hommes meilleurs.
«
Le mot même de valeur appliquée à la technique est polysémique, il peut signifier le prix que peut avoir un objet
technique.
De ce premier point de vue, il faudrait se demander si la technique est le lieu d'une création de devises,
de richesses et au nom de quoi, un objet technique pourrait acquérir une grande valeur.
D'un autre point de vue, la
valeur signifie aussi le caractère des choses en ce qu'elles sont plus ou moins estimées ou désirées par un sujet.
Un
objet technique aurait une certaine valeur pour moi dans la mesure où il aurait un intérêt pour moi.
Mais plus
généralement une valeur correspond à une norme de conduite personnelle, sociale relevant de la morale ou de
l'éthique, de la politique ou de l'esprit voire de la philosophie.
Aussi, le plus pertinent sera de se demander si la
technique est capable de créer des normes de conduite personnelle, d'influencer en somme les mœurs et si cette
tâche n'est pas trop importante pour elle, si au contraire ce n'est pas à la société en son entier à qui il revient de
créer ces valeurs.
Aussi, il faudra interroger la nature de la technique, si elle peut être autre chose qu'un savoirfaire doté d'une raison.
1)La valeur de l'efficacité ?
La technique peut se définir comme un « ensemble de procédés bien définis et transmissibles, destinés à produire
certains résultats jugés utiles ».
La technique se distingue donc de la simple habitude : elle n'est pas simplement
une manière d'agir ou un état d'esprit acquis par la répétition fréquente des mêmes actes mais elle implique au
contraire une représentation rationnelle plus ou moins abstraite.
Mais la technique n'est pas pour autant réductible à
la science puisque cette dernière a pour fin de représenter la réalité alors que la technique se propose de la
transformer.
Aussi la seule valeur qui semble régir la technique est l'efficacité.
En effet, que demande-t-on par
exemple à un ingénieur qui construit un pont, à part qu'il ne s'écroule pas ? Aussi la fabrication d'outils,
d'instruments a pour leur seule finalité qu'ils fonctionnent.
Mais il serait trompeur de croire que la valeur d'efficacité
puisse seule régir l'utilisation des techniques.
La technique induit toute une civilisation, des pratiques, des usages,
des habitudes.
Aussi le « faire efficace » est défini par une visée que la société crée.
On ne peut ainsi séparer la
technique de sa signification, la fin des moyens, les pratiques sociales et les techniques.
Penser que les techniques
sont neutres serait aussi faux que de penser à la neutralité des sociétés qui les engendrent et dont elles ne sont
pas séparables.
Toute société est régie par des idéologies, des valeurs, certaines sociétés mettent en avant la
production industrielle et la consommation.
2) La technique n'est en rien autonome.
Le processus irrésistible qui devait conduire l'humanité à l'abondance et au communisme la conduit vers la
déshumanisation totale et la catastrophe.
L'avenir de l'homme était le « règne de la liberté » ; le « destin de l'être »
conduit maintenant à l'« absence des dieux ».
Là où l'on s'aperçoit que le mouvement technologique contemporain
possède une inertie considérable, qu'il ne peut être dévié ou arrêté à peu de frais, qu'il est lourdement matérialisé
dans la vie sociale, on tend à faire de la technique un facteur absolument autonome, au lieu d'y voir une expression
de l'orientation d'ensemble de la société contemporaine.
Et là où l'on peut voir que « l'essence de la technique n'est
absolument rien de technique » (Heidegger, La Question de la technique), on replonge immédiatement cette essence
dans une ontologie qui la soustrait au moment décisif du monde humain au faire.
Cet arraisonnement n'a rien en
vérité de technique.
Il fait la différence entre le commettre et le dévoilement.
Cet arraisonnement entrave le
véritable dévoilement qui n'est possible en définitive qu'avec l'art.
La technique provoque la nature, Un paysan par
exemple en labourant sa terre ne la provoque pas.
Il n'y a plus d'accord entre l'homme et la terre, il doit la
transformer pour en tirer une énergie, une matière qui ne se trouve pas comme telle disponible.
Construire un
barrage, une carrière de minerais, une centrale nucléaire est une provocation.
Aussi le travail du paysan sera dit
proche de la nature, et la technique moderne éloigne l'homme de la nature en vérité puisque l'homme cherche à en
outrepasser les limites, à la dépasser, à en retirer quelque chose qu'elle ne donne pas naturellement.
Pour
Heidegger, le pouvoir que peut posséder la technique vient en vérité d'un tournant qui s'est produit dans
l'orientation des sciences, moment cartésien de la mathématisation, moment Galiléen qui a ouvert la possibilité de
mathématiser toute l'expérience.
Aussi, la technique est neutre, mais son usage ne l'est pas, elle est régie par des
valeurs qui émanent d'un pouvoir politique ou social.
3) La technique comme instrument de pouvoir.
La technique intervient de plus en plus aujourd'hui jusque dans les décisions politiques, comme un ensemble de
dispositifs permettant d'analyser les conjonctures et d'orienter le choix (les techniques de sondage, par exemple).
Le risque est alors grand de voir se multiplier les technocraties, c'est-à-dire des systèmes politiques dans lesquels
les techniciens ont un pouvoir prédominant, au détriment de la vie politique proprement dite.
Dans un tel régime, la
priorité est donnée à la résolution efficace des problèmes, souvent au détriment des réalités humaines.
Un
technocrate est un homme qui considère que l'on gouverne un pays comme on dirige une usine, négligeant la
différence essentielle entre les deux : on a affaire d'un côté à des machines, de l'autre à des citoyens.
Le sociologue Jacques Ellul analyse cette incursion récente de la technique dans la sphère politique ; il soutient que
la technique finit par se développer de manière autonome, et échappe au contrôle des hommes.
Le développement
des techniques engendrerait en effet, dans nos sociétés modernes, une obsession de l'efficacité et de la rentabilité
qui envahirait toutes les sphères de l'activité humaine, y compris l'univers de la politique.
Il peut alors sembler que
l'évolution de la société est déterminée par l'évolution du progrès technique et scientifique.
La technocratie soutient
que, dans les sociétés modernes, le citoyen n'est pas le plus compétent concernant les questions pratiques, et.
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