Le problème de la violence dans la pensée de Friedrich Nietzsche
Publié le 09/05/2023
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«
Le problème de la violence dans la pensée de
Friedrich Nietzsche
Partie 1 : La violence de la nature dionysiaque chez Nietzsche
Qu’est-ce qui justifie ce point de départ ? Quel est le rapport avec la violence ?
1.
La pensée Nietzschéenne contre Héraclite
Nietzsche est assurément l’un des philosophes phare des temps modernes.
Il vient
après Hegel et Schleiermacher.
Toutefois, ses travaux se différencient beaucoup de ceux de
Hegel.
Il n’y a qu’à voir la façon dont ils abordent la philosophie de l’esprit et du savoir
absolu pour s’en apercevoir.
Néanmoins, il reste un lien indéniable entre la pensée
philosophique de la lignée Héraclite-Hegel-Nietzsche.
Nietzsche en parle en ces termes: «
Nous sommes historiques de part en part »1.
Nietzsche lui-même admet l’influence d’Héraclite2 dans sa pensée en disant « Il n’y a
pas une formule d’Héraclite qui ne se retrouve dans ma logique »3.
Pour comprendre la portée
de cette influence, on tentera ici de rapporter le raisonnement de Hegel au corpus nietzschéen.
D’après Nietzsche, l’approche d’Héraclite a pour intérêt de permettre de remonter à
l’origine des problèmes philosophiques, y compris ceux relatifs à la violence.
Cette façon de
faire permet à Nietzsche de travailler sa propre pensée de façon constante.
On retrouve cette idée dans des écrits qui datent de l’année 1885, notamment lorsque
la période Aufklärung bascule à la période généalogique:
« Aujourd’hui, nous nous rapprochons à nouveau de toutes les formes essentielles
d’interprétation du monde que l’intelligence grecque a mises au jour à travers Anaximandre,
Héraclite, Parménide, Empédocle et Anaxagore – de jour en jour, nous devenons plus grecs ;
Ce qui nous sépare aussi bien de Kant que de Platon et de Leibniz : nous sommes historiques de part en part.
[…] Le mode de pensée d’Héraclite et d’Empédocle est ressuscité.
» (FP, printemps 1885, 34[73], OPC XI, p.
171).« La philosophie, sous la seule forme où je lui concède encore la possibilité d’être, sous la forme la plus
générale de l’histoire, comme tentative de décrire en quelque manière le devenir héraclitéen et de le résumer à
certains signes (pour en quelque sorte le traduire en un genre d’être illusoire et le momifier) » (FP, juin 1885,
36[27], OPC XI, p.
294).
2
Cf.
à ce sujet, Clémence Ramnoux, « Pourquoi les Présocratiques ? », Études présocratiques, I, p.
9-26.
3
Cf.
Aurore, Préface, § 3, OPC IV, p.
16 : « Mais aujourd’hui encore […] nous devinons, nous autres
Allemands d’aujourd’hui, Allemands tard venus à tous égards – une trace de vérité, de possibilité de vérité,
derrière le principe de Hegel qui porte son interprétation dialectique de la réalité et grâce auquel, en son temps, il
fit remporter à l’esprit allemand la victoire sur l’Europe – “la contradiction meut le monde, toutes choses se
contredisent elles-mêmes” – : car nous sommes, jusqu’en logique, des pessimistes.
1
«
»
«
»
d’abord dans l’ordre des évaluations et des concepts, comme si nous étions des fantômes
hellénisants ; mais un jour, espérons-le, nous le serons aussi avec notre corps ! C’est là que
réside (et a toujours résidé) mon espoir pour l’être allemand ! »4
Il faut d’ailleurs remarquer que des fragments posthumes du philosophe révèlent des
références à Héraclite.5 Toutefois, à compter de Par delà Bien et Mal, le lien rétrospectif lié à
la pensée d’Héraclite a été rompu.
Nietzsche a considéré qu’il n’y a plus rien à attendre de la
culture germanique.
Il est important de considérer cette rupture dans la pensée de Nietzsche.
Il faut bien
accepter les différences de conception afin d’éclairer les pensées des deux philosophes sur la
violence.
Phillipe Choulet nous présente une dualité de perception de la violence en traitant
comme sujet : Nietzsche versus Héraclite : Nietzsche qui rit et Héraclite qui pleure.
6
Si l’on se base sur certaines formules de Nietzsche, les pleurs d’Héraclite peuvent se
traduire par une émotion froide, un effroi face à la violence.7 En revanche, Nietzsche estime
que la vision de l’injustice de la vie est une acception entièrement abordée du point de vue
humain, car considéré dans une approche divine, tout devient juste et loyal, dépourvu de toute
trace de violence.8 Cette conception divine permet de voir en la violence autre chose que la
cruauté.
Elle serait plus facilement acceptée.
Nietzsche, en tant que non théiste, adopte une autre vision de la violence, notamment
autre que celle perçue par les humains mais également différente de celle du christianisme.
Il
rit de la violence.
Toutefois, ce rire ne se traduit pas par la manifestation de la joie, mais
plutôt l’éclat dionysiaque.
« C’est le rire devant le pire, le rire du pire »9.
FP, août 1885, 41[4], OPC XI, p.
418-419 ; cf.
FP, 41[7], id., p.
420-421.
cf.
Aurore, Préface, § 1.
6
Philippe Choulet, 2016.
« Nietzsche versus Héraclite : Nietzsche qui rit, Héraclite qui pleure », Les Cahiers
philosophiques de Strasbourg [En ligne], 40 URL : http://journals.openedition.org/cps/351; DOI :
https://doi.org/10.4000/cps.351
7
« En fait, on peut se demander un instant si Héraclite n’aurait pas fait dériver de l’hybris ce retour à la pluralité.
Prenons cette idée au sérieux : sous sa lumière, le fier éclat de ses yeux se ternit, un sillon de douloureux
renoncement et d’impuissance se creuse sur ses traits » (La Philosophie à l’époque tragique des Grecs, § 6, OPC
I, 2, p.
235).
8
OPC I, 2, p.
235-238 et § 9, p.
241-244.
9
Philippe Choulet, 2016.
« Nietzsche versus Héraclite : Nietzsche qui rit, Héraclite qui pleure », Les Cahiers
philosophiques de Strasbourg, p12 [En ligne], 40 URL : http://journals.openedition.org/cps/351; DOI :
https://doi.org/10.4000/cps.351
4
5
En définitive, la philosophie d’Héraclite et celle de Nietzsche manifeste des formes
de domination à travers la volonté de puissance.
Seul les contextes étaient diversifiés.
Avec
Héraclite, les sujets portaient sur les thèmes10 suivants :
─ les Enfants de la Nuit,
─ la Discorde,
─ le Besoin sexuel,
─ la Tromperie,
─
la Vieillesse et la Mort.
Or, depuis Nietzsche, on a eu :
─ les Enfants d’Aurore et du Grand Midi,
─ la Guerre spirituelle,
─ la Jeunesse et la Vie,
─
l’Ivresse du phénoménisme,
─ le Mensonge et l’illusion ontologiques.
En analysant la différence des contextes d’études, on comprend que c’est
véritablement le Dionysos qui a subi un changement.
Ce changement a fait en sorte que le vin,
le sexe et la musique11 soient remplacés par le Chaos, avec de la violence au multiple formes.
2.
La métaphysique dionysiaque de Nietzche
Dans La naissance de la tragédie, Nietzsche introduit une métaphysique
dionysiaque, visant à expliquer le sens de la souffrance humaine et à lui donner un sens
culturel supérieur.
Il s’attache à une vision tragique de la vie.
D’après lui, la violence se
rapporte aux conflits fondamentaux de la vie et a un sens métaphysique.
10
11
Cf.
La Joute chez Homère, OPC I, 2, p.
193.
Crépuscule des idoles, « Flâneries d’un inactuel », § 8-11, OPC VIII, p.
112-115.
«
Si Nietzsche présente une métaphysique post-schopenhauerienne fondée sur le
contraire de l’être-en-soi et du phénomène Dionysos et Apollon, il ne rapporte pas la violence,
comme Schopenhauer, aux apparences, aux conflits de volontés particulières engendrant le
mal et la souffrance.
Il la situe plutôt au niveau métaphysique.
Selon lui, la violence trouve son origine
dans le conflit entre Dionysos et Apollon, entre deux principes antagonistes de l’être et de
l’existence humaine.12 Dionysos, l’être en soi, est l’Unité Primordiale, un excès d’ existence
s’exprimant en contradictions , qui la déchirent et engendrent la souffrance dans la
contradiction primordiale et la douleur primordiale au cœur de l’ Unité Primordiale.
La relation antagoniste et agonistique entre Apollon et Dionysos est un éternel conflit
entre la vision théorique et la vision tragique des choses.
13 Selon Nietzsche, elle détermine
tous les niveaux de l’existence humaine.
C’est une pierre angulaire de l’histoire de la Grèce
antique, de la politique grecque et enfin de la tragédie grecque derrière laquelle se cache
l’antagonisme entre musique, poésie, mythe et épopée.
»
Cependant, le développement philosophique de La Naissance de la tragédie culmine
dans l’idée de la réconciliation et de la fraternité d’Apollon et de Dionysos qui équivaut à
l’abolition de leur antagonisme à tous les niveaux de leur manifestation.
Cette réconciliation est atteinte et en cela Nietzsche suit Schelling et les Romantiques
dans l’apparence esthétique et dans l’art conçu comme le plus haut la métaphysique où
l’existence humaine puisse trouver sa justification.14
3.
L’idée nietzschéenne de la volonté de pouvoir
Agnès Gayraud, “Nietzsche : les Lumières et la cruauté.
De l’interprétation de Nietzsche par la Théorie
critique”, Astérion [Online], 7 | 2010, Online since 02 September 2010, connection on 20 October 2022.
URL:
http://journals.openedition.org/asterion/1585; DOI: https://doi.org/10.4000/asterion.1585
13
Dionysos sort Apollon, son contraire, de sa poitrine - Apollon représente l’ordre et l’harmonie visibles, la
clarté et la connaissance, avec l’individu comme principe.
La relation entre Dionysos et Apollon est également
caractérisée par la contradiction et l’opposition, c’est la lutte de ces deux principes hostiles qui détermine le
rythme de l’histoire de la Grèce....
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