Le pouvoir politique doit-il dépasser ou utiliser la violence à son profit ?
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Néanmoins, la violence n’existe pas uniquement sous une forme physique : elle s’exprime aussi sous des formes symboliques, sociales, psychologiques, etc. Manipuler quelqu’un, le dévaluer par des signes ou le placer dans des conditions de vie indignes, c’est bien lui faire violence, même si on ne lève pas le petit doigt sur lui. Ainsi, même si le pouvoir politique fait taire la violence physique, ce n’est peut-être que pour la reconduire sous une autre forme, par exemple en niant leurs droits à certains individus en raison de leur sexe ou de leur race, ou en maintenant grâce à la peur qu’instaure la force publique une partie de la population dans la pauvreté. Le pouvoir politique ne serait donc pas alors le dépassement de la violence mais bien un instrument de sa reconduction. Il permettrait à certains individus de continuer à opprimer les autres sous le masque de la justice et avec l’aide de la force publique.
Le problème ici en jeu est donc celui des rapports entre force, justice et pouvoir politique : est-ce que la politique est d’abord une affaire de rapports de force, dont la justice et le droit ne seraient que des expressions masquées ? Ou est-ce qu’au contraire le pouvoir politique permet de vivre sous un autre ordre que celui de la violence ?
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Le pouvoir politique a, semble-t-il, pour mission de régner sur une société et d’y faire régner la loi.
Or à quoi sert la
loi ? A empêcher que les rapports entre les hommes ne dégénèrent en une guerre civile, en une série de vendetta
permanentes.
Pour cela, le pouvoir politique est doté de la force publique : il a le droit de faire un usage de la
violence pour contraindre ceux qui ne respectent pas la loi.
Mais il s’agit d’un usage légitime de la violence qui vise à
empêcher d’autres violences.
Il représente donc bien un dépassement de la violence, car même lorsqu’il l’utilise,
c’est pour faire régner la répartition légitime des peines et des récompenses, c’est-à-dire faire régner la justice pour
pacifier les rapports humains.
Il n’utiliserait donc la violence que contre la violence elle-même.
Néanmoins, la violence n’existe pas uniquement sous une forme physique : elle s’exprime aussi sous des formes
symboliques, sociales, psychologiques, etc.
Manipuler quelqu’un, le dévaluer par des signes ou le placer dans des
conditions de vie indignes, c’est bien lui faire violence, même si on ne lève pas le petit doigt sur lui.
Ainsi, même si le
pouvoir politique fait taire la violence physique, ce n’est peut-être que pour la reconduire sous une autre forme, par
exemple en niant leurs droits à certains individus en raison de leur sexe ou de leur race, ou en maintenant grâce à la
peur qu’instaure la force publique une partie de la population dans la pauvreté.
Le pouvoir politique ne serait donc
pas alors le dépassement de la violence mais bien un instrument de sa reconduction.
Il permettrait à certains
individus de continuer à opprimer les autres sous le masque de la justice et avec l’aide de la force publique.
Le problème ici en jeu est donc celui des rapports entre force, justice et pouvoir politique : est-ce que la politique
est d’abord une affaire de rapports de force, dont la justice et le droit ne seraient que des expressions masquées ?
Ou est-ce qu’au contraire le pouvoir politique permet de vivre sous un autre ordre que celui de la violence ?
I.
Nécessité et difficultés de la présence de violence en politique
S'il y avait une justice reconnaissable par tous en tous temps et en tous lieux, on peut douter de la nécessité
d'user de la force en politique: chacun respecterait les lois justes uniquement parce qu'elles garantissent la paix
entre les particuliers de la société.
Mais comme le remarque Pascal dans la pensée 294 de l'édition Brunschvicg des
Pensées : "rien, suivant la seule raison, n'est juste de soi, tout branle avec le temps.
La coutume fait toute l'équité,
par cette seule raison qu'elle est reçue." Ce n'est pas la raison mais l'habitude, les moeurs, qui nous font ressentir
quelque chose comme juste ou injuste; or la coutume se caractérise par sa variabilité historique et géographique;
donc elle amène forcément des conflits entre des gens de coutumes différentes, qui reconnaissent des justices
différentes.
Sur quoi fonder alors la loi qui permettra de faire en sorte que tous suivent les mêmes règles et ne se lancent pas
dans une série de guerres privées, de tous contre tous, chacun suivant ses propres lois ? La pensée 298 vient
répondre à ce problème : "il est juste que ce qui est juste soit suivie, il est nécessaire que ce qui est le plus fort
soit suivi." La force a cet avantage sur la justice de contraindre : elle rend les lois politiques aussi inviolables que
les lois de la nature.
Mais "la force sans justice est accusée.
Il faut donc mettre ensemble la justice et la force," car
sinon la force sera toujours sujette à critique et devra redoublée de violence pour s'appliquer.
Or la justice, comme
on la dit, est difficilement reconnaissable, et varie selon les moeurs et coutumes.
Par contre "la force est très
reconnaissable et sans dispute.
[...] Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est
fort fût juste." Pascal fait ici preuve de réalisme : il y a toujours à la base du pouvoir politique l'usage - possible de la force, même si celle-ci doit adopter un caractère juste.
Le pouvoir politique semble donc être toujours
fondamentalement violent.
Est-il pour autant un "instrument" de la violence? Apparemment, quand la force devient juste, elle offre d'autres
moyens de régler les conflits que la violence.
C'est ce qui se passe dans un tribunal par exemple, où c'est la parole
et le jugement qui viennent trancher les procès, et non la force.
Mais comment cela se fait qu'un homme en robe,
que l'on nomme "magistrat" puisse par sa simple parole contraindre une des parties du procès à reconnaître son tort
et à respecter la peine qu'il lui impose? C'est qu'il se joue dans le tribunal un certain rituel (avec son protocole, ses
costumes, sa hiérarchie, sa cérémonie, etc.) qui, agissant sur l'imagination de ceux qui y participent, donnent à la
parole du juge l'équivalent de la force : "Qui dispense la réputation? Qui donne le respect et la vénération aux
personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imageante? [...] Si les médecins n'avaient des
soutanes et des mules, et que les docteurs n'eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre
parties, jamais ils n'auraient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre si authentique" écrit Pascal dans la
pensée 82.
Apparemment donc, l'ordre politique ne repose pas uniquement sur la violence physique : au contraire, il
la dépasse par l'usages de rituels sociaux qui contraignent uniquement l'imagination.
Mais en réalité, cet ordre de
l'imagination ne tient que parce que la source de toute loi, les souverains (c'est-à-dire ceux qui sont capables de
faire et défaire la loi, et n'y sont donc pas soumis) ne contraignent pas uniquement l'imagination : "Ils n'ont pas
l'habit seulement, ils ont la force." Au final donc, l'ordre politique basé sur l'imagination est lui-même au service de la
force : la politique semble donc bien être l'instrument de la violence.
Néanmoins, si le pouvoir politique est bien l'instrument de la violence, il est obligé de se transformer, de prendre un.
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