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Le pouvoir de l'imagination n'est-il qu'imaginaire?

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« L'imagination est, parmi nos facultés cognitives proprement humaines, certainement l'une, si ce n'est pas la plus déconsidérée, plus encore que la sensation.

C'est que l'histoire de la philosophie est marquée par la domination de l'intellect et chaque faculté liée à nos sens ou à notre pouvoir de représentation n'est évaluée qu'en fonction de ce qu'il sert ou non notre intellect.

Bref, en tant qu'elle est évaluée comme outil dans le cadre de la connaissance, l'imagination n'est pas en bonne place.

Même Kant, qui lui attribue un rôle central dans la construction de la connaissance, la considère toujours dans son rapport aux autres facultés (entendement et raison) et non pour elle-même, en tant que moyen de rêverie gratuite. I- L'imagination ne peut transformer le réel. Si l'on entend par pouvoir la possibilité de produire une certaine action, d'imprimer une certaine marque sur le cours des choses, il faut s'avouer que le pouvoir de l'imagination ne semble pas mordre sur le réel.

Seul l'enfant a assez d'innocence pour s'imaginer qu'il lui suffit d'imaginer une autre situation pour renverser celle en cours.

Par exemple dans le film de C arlos Saura Cria cuervos (1975), une petite fille croit avoir le pouvoir de vie et de mort sur ses proches en imaginant qu'une boîte de bicarbonate est une boîte de poison. L'imagination renvoie donc bien plutôt à une impuissance caractéristique, celle du rêveur qui préfère imaginer plutôt qu'agir.

Il y a un hiatus infranchissable entre imagination et action, celui qui rêve n'est pas en mouvement, il n'est même pas présent là mais s'est échappé dans son monde d'images. Quel autre pouvoir accordé à l'imaginaire que celui d'accorder au rêveur l'illusion d'un monde meilleur ? Le pouvoir de l'imagination est privé, inefficace, ou à peine, s'il permet à celui qui l'exerce de mieux supporter le réel.

Mais peut-on réduire ainsi l'imaginaire à ce qui ne serait que la possibilité de fantasmer, de se tromper soi-même sur le réel ? Est-ce toujours par dépit que l'on imagine ? II- L'imagination est nécessaire à l'invention. Peut-être y a-t-il des actes d'imagination qui ne sont pas des actes de fuites, des pseudos pouvoir de libération, au sens où, par ironie Lacan moque (dans Le stade du miroir) ceux qui ne se sont jamais autant sentis libre qu'une fois dans une prison (représentation stoïcienne de la liberté comme intériorisée, inaliénable).

Pour Bachelard (cf.

toute la part de son œuvre consacrée aux rêves) imaginer ce n'est pas vouloir échapper au réel par défaut mais c'est proprement créer autre chose, il y a un pouvoir de l'irréel. L'imaginaire peut nous plonger dans des états que nous ne connaîtrions pas autrement, seul le poète et non le scientifique fait des expériences de synesthésie (cf.

les « correspondances » de Baudelaire). Enfin, il faut se demander si la figure de l'inventeur n'est pas plus proche de celle du rêveur que du rationaliste (l'inventeur est souvent représenté comme un personnage un peu farfelu), elle est peut-être à mi-chemin.

Pascal tout en étant un savant était aussi un grand rêveur, qui la plupart du temps n'achevait pas ce qu'il avait commencé, et pour cause il se laissait déjà emporté par un autre projet, justement parce que pour lui l'élaboration des plans était plus intéressante que leur exécution.

On connaît aussi par exemple nombre de croquis de De Vinci, de machines sophistiquées, qui n'ont pas été mis à l'épreuve du réel. Si la tradition platonicienne rapproche l'invention de la remémoration, il faut autant la considérer en fonction de l'imaginaire, celui-ci traçant le plan des virtualités parmi lesquelles on choisira celle à réaliser, à inventer réellement.

Le pouvoir de l'imagination serait donc bien réel en ce qu'il ouvre la possibilité d'une invention future. III- L'imagination est plus audacieuse que la raison. Si la raison procède par étapes, enchaînements, l'imagination, elle, procède par sauts.

Comme le montre Bachelard, par exemple dans La poétique de l'espace, imaginer c'est faire des combinaisons inattendues, établir des liaisons dont la raison n'a pas idée.

Bien plus, pour Bachelard l'imagination ne se contente pas de combiner et de mélanger d'anciennes perceptions, mais est à même d'en créer de nouvelles. Selon Bachelard, l'imagination n'est pas « la faculté de former des images, elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images ».

Elle est une puissance foncièrement dynamique et organisatrice qui travaille à déréaliser le réel atteint dans la perception en le destructurant pour opérer une structuration nouvelle, en sorte qu'en elle l'univers tout entier n'est plus donné au sujet, mais produit, inventé par lui.

Elle est « l'expérience même de l'ouverture, l'expérience même de la nouveauté ». Mais cette capacité de l'imaginaire à transgresser l'ordre établi, cette fonction créatrice, a-t-elle quelque efficacité ? Dans son essai La philosophie à l'époque tragique des grecs Nietzsche présente l'hypothèse de Thalès : toute chose dérive d'un composée premier, l'eau, comme un produit de l'imaginaire. Or, cette hypothèse fut d'une grande importance, selon Nietzsche, dans l'histoire de la pensée, la mesure du cosmos n'était plus l'homme mais un élément physique.

C'est-à-dire que la science même devenait possible.

Or, qu'importe si par la suite ses expérimentations ont prouvées à Thalès qu'il avait tort, son hypothèse, purement imaginaire, n'en a pas moins été efficace, par son audace elle a changé la représentation que les hommes avaient du monde et de leur rapport à celui-ci. Conclusion : Le pouvoir de l'imagination est généralement inefficace au-delà du simple effet qu'il a de transporter le rêveur dans un autre monde.

Mais même ce simple fait est certainement essentiel à l'homme en tant que le repos est vital et n'est pas qu'un « rechargement » mécanique du corps, mais a partie liée à l'inaction et à la rêverie. Dans certains cas l'imaginaire a un pouvoir réel plus manifeste, dans le cas de l'invention où les trouvailles se font par tâtonnements et non par pures déductions.

Les plans que l'on ébauche s'avèrent parfois irréalisables, mais c'est justement dans le passage à la limite entre le réel et l'irréel que joue l'imagination mise au service d'une invention possible.

Pour explorer le champ des virtualités, l'imagination est plus efficace que la raison, procédant plus rapidement, par jonctions et sauts audacieux.

La possibilité même de créer est rivée à l'imaginaire.. »

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