Le philosophe vit-il en dehors de toute réalité ?

« A regarder dans les astres, on ne voit plus la réalité quotidienne Platon rapporte que Thalès se plaisait à observer les astres.

Les yeux perdus dans le ciel, il tomba dans un puits.

Une servante se moqua de lui, disant qu'il se préoccupait des étoiles, et non de ce qui se passait sous ses pieds.

Cette anecdote traduit bien l'image que l'on se fait du philosophe.

C'est un être perdu dans ses pensées, qui vit en dehors de la réalité. L'homme mûr doit se détacher de la philosophie 0n reconnaît volontiers que l'étude de la philosophie forge l'esprit.

Mais pourquoi prolonger cette étude alors qu'il est temps, l'âge adulte venu, de s'occuper de choses sérieuses ? C'est ce que pense un sophiste grec du nom de Calliclès.

Devant Socrate, il affirmera qu'un homme d' âge mûr qui pratique encore la philosophie est ridicule. Pratiquer la philosophie n'a de charme que si l'on s'y livre avec modération dans la jeunesse; poursuivie au-delà, elle devient une calamité, faisant du philosophe un étranger à toutes les choses qu'il faut connaître afin de devenir bien élevé et socialement considéré.

A l'âge mûr, un philosophe se remarque par son ignorance des lois de la Cité; peu doué pour traiter des affaires publiques et privées, sa connaissance de l'homme "tel qu'il est", sujet aux passions et en quête des plaisirs et des divertissements, est quasiment nulle.

Sans ambition, ne visant aucune "publicité", il porte à rire par sa gaucherie et sa maladresse en public.

La philosophie ne peut servir qu'à la prime éducation car ses débats forment l'esprit, mais elle est indigne de l'homme parvenu à la maturité.

Le philosophe est détestable quand il fuit la compagnie de ses semblables, quand il méprise les préoccupations ordinaires et quotidiennes de l'existence, quand il refuse de s'illustrer d'une quelconque façon au coeur des affaires politiques et quand il passe son temps, reclus avec quelques compagnons, à "babiller sans jamais faire entendre une parole libre, grande, généreuse." La philosophie vit dans l'illusion Le philosophe se propose de trouver un principe qui unifierait la connaissance de l'Univers.

Thalès, par exemple, pensait que le principe unique de la nature était l'eau.

Cette prétention de la philosophie à vouloir offrir un tableau cohérent des choses n'est qu'une chimère: les progrès de la connaissance scientifique nous le montrent. La vérité est dans le puits Aristote nous rapporte la suite de l'histoire de Thalès.

Possédant de solides connaissances en astronomie, Thalès put prévoir une excellente récolte d'olives.

Il loua tous les pressoirs à huile disponibles.

La saison venue, il tira grand profit de son monopole et devint riche en peu de temps.

Ce qui montre que le philosophe, s'il le veut, peut s'occuper d'affaires très concrètes. Le philosophe nous réapprend à voir le monde Nous vivons souvent dans un monde d'apparences, d'opinions sans fondement.

Nos préoccupations quotidiennes ne laissent pas beaucoup de place à la réflexion.

Le philosophe, lui, s'étonne de tout, remet tout en question.

Il dérange, mais il ouvre également des portes, offre à la pensée de nouveaux espaces de liberté. Le philosophe pose les questions essentielles Le philosophe, parce qu'il a pris du recul par rapport à l'existence, comprend que ce qui paraît sérieux aux hommes ne l'est peut-être pas.

Les honneurs, la réussite matérielle ne sont pas les choses essentielles de la vie.

Le philosophe ose poser la seule vraie question: la question du sens.

Quel est le sens de nos activités, de nos attitudes? Que pouvons-nous connaître ? Que devons-nous faire? etc. Thalès est le premier des philosophes, ainsi que l'affirme Platon.

Philosophe parce qu'il essaie de penser l'Univers en faisant la synthèse, de saisir l'unité des choses, traduisant par là le souci de la philosophie de donner un sens à la réalité.

Malgré les apparences, il n'est pas l'homme perdu dans ses rêveries, il s'interroge sur le monde et sur lui-même.

Il propose une explication de la réalité qui n'est plus mythologique mais rationnelle.

Rationnelle parce que justement elle peut être discutée, contestée ou approuvée par les êtres raisonnables que nous sommes.

Le philosophe nous invite à nous poser la question du sens, à sortir de nos habitudes de pensée, à nous interroger à notre tour.

Arrêtons un instant nos occupations sérieuses, prenons du recul face à nos certitudes pour que puisse exister un espace pour la vérité; cette vérité dont l'homme a tant besoin pour savoir où il va.. »