Le philosophe doit-il être tolérant ?
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«
On se fait facilement l'image du philosophe bonhomme, prodiguant des conseils, ouvert sur les autres et le monde.
Mais on oublie trop souvent trop philosophes moins conventionnels comme Diogène le cynique, dormant dans son
tonneau, narguant les conventions sociales en vivant comme un chien, ni Socrate faisant office de « taon » et de
torpille auprès des aristocrates athéniens.
Peut être faut-il avoir en tête les philosophes révolutionnaires en droite
ligne de Hegel, les marxistes et autres anarchistes.
Aussi, ces philosophes s'accommodent mal du consensus, des
idées toutes faites, pire liberticide.
Le philosophe doit-il obligatoirement être tolérant pour exercer , ou ne faut-il pas
qu'il aie les qualités contraires ?
1) Ce qu'est la tolérance.
Un rapide examen des faits historiques conduit à des remarques désolantes.
Quelle que soit la bonne foi des
acteurs, les tentatives pour faire accepter les différences de l'autre n'effacent pas l'agressivité ; elles en déplacent
quelquefois l'objet, mais bien souvent en l'exaltant.
La notion de tolérance sous tous ses déguisements paraît sans
force et même sans consistance.
Il faut donc essayer de la dépasser, d'en faire un concept, encore que le flou du
point de départ soit d'un mauvais augure.
On appellera donc tolérance une ligne de conduite qui consiste à laisser à
autrui la liberté d'exprimer des opinions que nous ne partageons pas et surtout de vivre conformément à des
principes qui ne sont pas les nôtres.
Goblot, dans son Vocabulaire philosophique, proposait une définition que loue
Lalande : la tolérance consisterait « non à renoncer à ses convictions ou à s'abstenir de les manifester, de les
défendre ou de les répandre, mais à s'interdire tous moyens violents, injurieux ou dolosifs ; en un mot, à proposer
ses opinions sans chercher à les imposer ».
Dans les sociétés pluralistes du XXe siècle, suspendre les conséquences
d'une évaluation défavorable passe aisément pour une sorte de vertu.
Bizarre vertu qui prend la défense de ce qui
est reconnu en même temps comme une erreur ou comme un vice ! Si le bien consiste à protéger le mal, à le
supporter, à collaborer avec lui, n'y a-t-il pas quelque part contradiction ou lâcheté ? On répondra que la tolérance
met en jeu deux sources d'évaluation.
Par exemple, la morale, en général, condamne l'adultère ; or l'adultère est à
ce point répandu que le poursuivre ou seulement le réprouver ouvertement entraînerait dans la vie courante
d'interminables conflits et interdirait beaucoup d'échanges ; on s'abstiendra donc, en fait, du moindre jugement,
même si cette abstention affaiblit le précepte ou en favorise la transgression.
Tout se passe comme si l'on
admettait, à côté d'une raison morale, une raison.
Mais, loin d'être purement un concept, la tolérance serait bien
plutôt une intuition, une manière de vivre, se comporter qui rend possible le contact entre humains et la vie en
société en général.
En prenant ce mot dans un sens large, la civilité est inséparable de la tolérance par laquelle je
reconnais à autrui le droit de ne pas être, de ne pas penser, de ne pas agir comme moi.
A l'opposé, faudrait-il vivre
dans l'intolérance, refuser d'accepter des individus qui sont différents de moi ? Les qualités qu'on prête à un
philosophe ne diffèrent pas de celles de n'importe quel être humain.
2) Des philosophes tolérants.
Dans les Lettres sur la tolérance (1689) écrite par Locke à la suite des affrontements des guerres de Religion.
La
neutralité religieuse de l'État lui apparaissait comme le moyen d'organiser la tolérance à l'égard de toutes les
religions et d'éviter que les hommes se massacrent au nom de leurs croyances et de leur affiliation à une Église.
De
même, peu avant Voltaire dans ces Lettres sur la tolérance, pense que la tolérance, opposée à toute oppression et
à toute violence, elle relève de la nature et du droit.
Présente dans la religion juive, dans l'enseignement du Christ,
elle a existé chez les Grecs et les Romains.
Le sage doit donc dénoncer, et ne pas se résigner.
La tolérance,
nécessairement limitée - pas de tolérance pour les fanatiques, sera garantie par un sage gouvernement qui
contrôlera les Églises et luttera contre les superstitions de la populace, qui troublent l'ordre public.
Dans une célèbre
prière, Voltaire en appelle à Dieu et à l'humanité pour que la concorde règne enfin entre les hommes.
La tolérance,
objectivement valorisée par ces philosophes est prônée comme un remède aux guerres de religions et autres
massacres dus à l'intolérance.
Aussi, Voltaire parlera de « cet absurde fanatisme qui rompt tous les liens de la
société ».
Le propos reste, plus qu'il n'y paraît, dans l'esprit de Bossuet.
Les liens de la société, ce qui relie les
hommes entre eux, n'est-ce pas la religion.
La modernité de Voltaire tient à ce qu'il prône une religion rénovée, une
religion éclairée, dont la raison suffise à éloigner les insensés.
Cette religion n'est autre que la philosophie : « Sans
la philosophie, écrit-il, on aurait deux ou trois Saint-Barthélemy par siècle [...].
Le fanatisme allume la discorde et la
philosophie l'éteint.
» On comprend que le philosophe, se doit d'être tolérant, et non être du côté du fanatisme.
Certes, c'est une tolérance au niveau social, mais au niveau philosophique lui-même, le philosophe n'est-il pas en
droit d'imposer son système de pensée, de rejeter des systèmes de pensée qui ne lui correspondrait pas ?
3) La philosophie et la violence.
Les pensées qui reconnaissent dans l'Être des principes de contradiction ou de négativité admettent la réalité de la
violence.
Ainsi Héraclite d'Éphèse (fin du VIe-début du Ve siècle avant J.-C.) affirme la nature antagonique de l'Être,
traversé et animé par le conflit.
Hegel s'inscrit dans cette tradition.
Pour lui, l'Être, ou ce qu'il appelle la substance,
est sujet : il ne se réalise que dans le mouvement de son développement, qui ne saurait aller sans douleur ni
déchirement.
La vie, l'accomplissement de la nature et de l'esprit, l'histoire, sont la manifestation de l'Être et celle-ci
demande « le sérieux, la douleur, la patience et le travail du négatif » (Préface de la Phénoménologie de l'esprit,
1806).
La mort, les guerres, les luttes entre individus ou civilisations sont les moyens de cette manifestation
progressive de la vie de l'Être : « la raison ne peut pas s'éterniser auprès des blessures infligées aux individus car les
buts particuliers se perdent dans le but universel » (La Raison dans l'histoire).
Ce mouvement de la manifestation
est celui de la dialectique, conçue comme le jeu des contraires mené jusqu'au terme de leur réconciliation, c'est-à-.
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