Le langage peut-il éviter la violence ?
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«
Introduction
Le langage est une fonction d'expression et de communication liée à la pensée, spécifiquement humaine.
Le fait de parler ne se réduit
pas aux dispositifs neurobiologique et organique : « L'invention de l'art de communiquer nos idées dépend moins des organes qui nous
servent à cette communication que d'une faculté propre à l'homme [la pensée], qui lui fait employer ses organes à cet usage »
(Rousseau, début d'Essai sur l'origine des langues).
La pensée a donc besoin d'un intermédiaire, le langage, pour être communiquée,
extériorisée.
Toutefois, le langage extériorisé caractérise plus la parole, car on peut parler d'un langage intérieur, qui ne se laisse pas
forcément percevoir par autrui.
Aussi au sens le plus large, le langage est un système de signes servant de moyen de communication : on
peut évoquer ainsi le langage des gestes, du corps, en ce sens que tous les organes des sens peuvent servir à créer un langage.
Mais
communiquer, c'est toujours en quelque sorte imposer son être, affirmer ses idées, et pouvoir ainsi orienter ou déstabiliser son
interlocuteur.
Comment comprendre, dès lors, cette fonction inhérente au langage qui a pour fins de dominer autrui ?
I.
Le langage : une nécessité pour l'expression
a.
Il semblerait au départ que le langage soit une nécessité pour l'homme afin d'être entendu et
compris par autrui.
C'est ainsi la communication qui est voulue à travers le langage.
Ainsi Rousseau
critique ceux qui affirment que le langage extérieur, la parole, permet simplement aux hommes
d'exprimer leurs besoins.
Car selon lui, le langage est né des passions des hommes : « Ce n'est ni la
faim, ni la soif, mais l'amour, la haine, la pitié, la colère qui leur ont arraché les premières voix » (Essai
sur l'origine des langues, chap.
II).
Le langage est ainsi au départ le moyen pour l'homme d'exprimer ce
qu'il ressent, ses passions.
b.
Des chercheurs, à la suite de Vigotski (1934) ont mis l'accent sur l'importance du langage dans la
régulation des comportements.
Il permet de structurer la pensée et d'organiser un meilleur « contrôle »
sur les actes.
D'où l'importance de pouvoir mettre des mots précis sur des représentations ou sur des
ressentis pour avoir davantage de pouvoir sur ses actes et de prise sur le monde.
Des enquêtes ont été
faites pour étudier le mode de traitement de l'information chez l'adolescent désigné comme violent par
ses enseignants.
Il apparaît que son fonctionnement est très dogmatique (utilisation du registre d e
l'implicite, absence de recul : tout est certitude, généralisations abusives et projection des émotions,
des sentiments ou des intentions sur le monde extérieur).
Ce mode de traitement de l'information est
fortement en corrélation avec l'agressivité anormale.
Les adolescents caractérisés comme violents vivent
dans une logique d'immédiateté.
Ils situent, le plus souvent, à l'extérieur d'eux-mêmes l'origine des
événements désagréables de leur vie et sont incapables de nommer et d'identifier leurs émotions et
leurs sentiments en situation de frustration.
c.
Le langage devrait ainsi permettre d'atténuer des tensions, des impulsions passionnelles.
Dialoguer peut ainsi avoir cette vertu de résoudre par la raison des situations critiques.
L'histoire de la politique nous a montré qu'il était
possible d'arranger des états de crise par le dialogue.
Ainsi, on affirme que Kennedy a plutôt bien fait, dans un moment extrêmement
critique de la guerre froide, d'avoir eu recours au téléphone rouge.
Le téléphone rouge désigne une ligne de communication directe établie
le 30 août 1963 entre les États-Unis et l'Union soviétique après que la crise des missiles ait m e n é le monde au bord d e la guerre
mondiale en 1962.
Toutefois, si le langage peut-être l'expression d'une faiblesse, ou d'un désir d'arrangement, n'est-il pas aussi le
moyen le plus dissimulé pour l'assujettissement d'autrui ?
II.
les pouvoirs du langage
a.
Pour les marxistes, l'idée même de dialogue, transposée sur le plan de la pratique, est une mystification idéologique ; elle est
destinée à masquer les conflits de classe, insurmontables autrement que par la violence ; à la limite, le dialogue est même impossible à
l'intérieur des partis ouvriers, soumis à la doctrine de la dictature du prolétariat.
Ce pessimisme se retrouve parfois dans l'anthropologie et
la psychologie contemporaines : pour certains psychanalystes le dialogue peut n'être qu'un leurre et, sur le plan de la thérapeutique, la
psychanalyse n'a pas à guérir un malade, mais à faire entrer dans l'ordre du langage le discours non formulé qui constitue l'inconscient.
En fait, marxistes et psychanalystes rejoignent parfois le pessimisme existentiel d'un Sartre pour lequel (dans L'Être et le Néant) chaque
conscience se propose, dans la relation à autrui, d'asservir une liberté.
Aussi, au sein de chaque société, tous ne maîtrisent pas le même
« niveau » de langue et l'on sait bien que toutes les façons de s'exprimer ne se valent pas, au sens où les unes favorisent bien plus que
d'autres l'accès à des positions et à des devoirs privilégiés.
b.
Les mots peuvent être utilisés à des fins personnelles.
On retrouve le thème du langage et de la domination qui en résulte dans le
Gorgias de Platon.
Gorgias est un rhéteur, il utilise le langage afin de persuader « les juges au tribunal, les sénateurs dans le Conseil, les
citoyens dans l'assemblée du peuple et dans toute autre réunion qui soit une réunion de citoyens » (451 d – 452).
Le langage est pour lui
un pouvoir permettant de faire de chacun son esclave.
On retrouve cette utilisation, dans un cadre comique, chez Molière, lorsque Dom
Juan éconduit adroitement le marchand vis-à-vis duquel il est endetté (Dom Juan, IV, 2-3).
c.
Les mots ont un très grand pouvoir.
C'est à partir d'eux que se constitue la perception de l'univers dans lequel nous vivons.
Le
langage peut aussi manifester malgré soi des pensées ou des désirs inconscients.
Ainsi le lapsus, qui consiste à émettre un mot alors
qu'on pensait à autre, est selon Freud la marque du langage inconscient.
L'inconscient se manifeste par le biais du langage, et c'est la
psychanalyse qui utilise cet instrument à des fins thérapeutiques.
Par ailleurs, même politiquement, le langage est au service du pouvoir.
On se rappellera Hitler qui, lors d'un plébiscite en 1933, a su par son éloquence faire applaudir des journalistes pourtant méfiant du parti
nazi.
Socialement aussi le langage asservit les hommes.
Deleuze et Guattari parleront du « mot d'ordre », en ce sens que le langage, loin
d'être un simple moyen d'expression, commande et ordonne.
Ce qui paraît exprimer un simple conseil, ou une simple volonté, se voit à
l'insu du sujet désigner un ordre, une manière incontestable de se comporter (Capitalisme et schizophrénie 2).
Conclusion
On a vu que le langage permettait l'expression des passions de l'homme avec Rousseau.
La communication de l'intériorité devait ainsi
être révélée à autrui.
Mais on voit aussi que la violence utilise le langage et indique plus une faiblesse, une frustration, une difficulté à
s'exprimer avec justesse.
En ce sens la maîtrise de la violence par un bon usage du langage peut porter ses fruits.
Mais on s'aperçoit
qu'en dehors des aléas de l'expression de l'individu, le langage est instrumentalisé à des fins personnelles ou idéologiques.
Si la violence
physique s'estompe, la violence qu'impose le langage en tant qu'il est une modalité de contrôle sur l'individu ne peut laisser indifférent.
On pourrait tout aussi bien dire « non » à un langage orienté vers des intérêts précis.
Mais le langage alors, ne serait-il pas, quel que soit
ce qu'il veut exprimer, un jeu de la violence avec elle-même ?
Second correction de ce même sujet.
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