Le langage peut-il être un obstacle à la recherche de la vérité ?
Extrait du document
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On peut définir le langage selon une double articulation.
La première est celle qui articule les mots en phrases, soit à
partir de quelques milliers d'unités communes à tous ceux qui parlent la même langue, la possibilité de dire, par leur
combinaison, une infinité de choses.
La deuxième articulation est la combinaison des sons, des phonèmes, en mot.
Les sons en eux-même ne sont doués d'aucune signification, mais ils sont à la base du langage humain.
On voit
comment l'humain est doué de cette capacité à retarder le sens, à ne pas le livrer immédiatement.
Il doit d'abord se
plier à cette double articulation pour signifier, communiquer ce qu'il veut dire.
Mais alors le langage semble être ce qui s'interpose en quelque sorte entre ce que je veux partager de moi ou de la
réalité, et ce que j'en signifie effectivement.
Entre ma douleur, et le moment où je la signifie à l'autre pour qu'il me
vienne en aide, il y a ce moment où je la formule, cette médiation du langage.
On se demande alors si celui-ci ne
fait pas office de filtre entre ce que je veux dire et ce que je dis, retenant des éléments qui ne s'expriment pas à
travers le langage.
Si la vérité peut-être défini comme une adéquation entre l'être et la pensée, entre ce qu'est la chose véritablement
et ce que j'en pense, l'idée que je m'en fait, on peut se poser la question suivante: parce que ces idées je les
partage, je les constitue, les alimente à partir du langage, cet outil ne risque-t-il pas de déposer un voile, de laisser
de côté une partie de l'être dans l'expression?
I.
Bergson: la part oubliée de l'être
Dans Le Rire, Henri Bergson va précisément s'attarder sur ce don empoisonné qui
résout autant de problème qu'il n'en crée.
Le langage classe pour ainsi dire la
réalité en créant des ensemble qu'il étiquette.
C'est un travail de
conceptualisation.
Lorsque des éléments de la réalité proposent des attributs
essentiels similaires, on les met dans un même ensemble.
Ainsi parlons-nous
d'arbre en général pour parler de tous les arbres.
Face au pin, à l'hêtre, au
chêne, nous disons, parce qu'ils ont en communs le fait d'être constitués d'une
matière boisée (i-e une certaine constitution bio-organique), d'une forme
similaires (un tronc, des racines, des branches, des feuilles..), qu'il s'agit
d'arbres.
Nous ne nous arrêtons pas sur leur singularité (sur ce qu'ils ont de
propres) qui n'est alors qu'accidentelle: nous allons à l'essentiel.
Le langage sert à chaque individu pour trouver son rôle et sa place dans la
société.
Les signes du langage sont à la fois généraux et mobiles.
Ils permettent
aux objets de passer de l'ombre à la lumière, ils les font devenir choses.
Mais
pratiquant le langage, l'intelligence applique des formes qui sont celles-mêmes
de la matière inorganisée.
Le langage pétrifie le monde, le durcit en le découpant
en fonction de nos besoins et de nos habitudes.
De par sa généralité, il use des
mêmes vocables, pour ce qui, chez chacun, est pourtant un état psychologique
ou un sentiment unique.
Chacun de nous a sa manière propre d'aimer et de haïr,
et pourtant, nous sommes obligés de parler tous le même langage.
Il ne peut
donc que fixer l'aspect objectif et impersonnel de l'amour, ou de tout sentiment qui nous traverse.
La pensée
authentique demeure donc incommensurable au langage, dans lequel nous associons nos idées en les juxtaposant
les unes aux autres, sans pouvoir exprimer leur compénétration ni leur lien intime.
Alors que les idées s'engendrent
les unes des autres de manière vivante, le langage ne peut
faire autrement que les accoler les unes derrière les autres.
A l'égard du monde, les mots sont comme des
étiquettes que l'on collerait sur les objets, et qui tout en les nommant, les dissimulent.
Tous les mots, à l'exception
des noms propres désignent des genres, soit des généralités.
Et heureusement, puisque sinon nous ne pourrions rien communiquer, nous serions perdus dans un océans de
particuliers, nous arrêtant face à chaque parcelle de l'univers comme si elle était unique, nouvelle.
Parce que je ne
peux donner un nom à chacune de mes cuillères dans mon tiroir à couvert, je leur attributs toutes le même ensemble
nominal d'appartenance: et l'on comprend cela, puisque la mémoire humaine est limitée, et qu'elle réduit les
ensembles sous lesquels elle range les éléments de la réalité.
Mais du même coup le langage permet autant qu'il sacrifie.
Que ce soit les émotions, ou encore telle ou telle partie
du monde, en les exprimant je les réduis.
Je manque ce qu'il y a de particulier, d'unique, de différents , je ne les
détermine que par sa ressemblance avec d'autres: il n'y a de langage que général.
Lorsque j'éprouve quelque chose,
je dis par exemple que je suis triste: mais ce que je ressents se réduit-il pour autant à ce mot? Le langage est un
filtre entre moi et l'être qui réduit considérablement ce qu'il exprime par son usage systématique de catégories
générales.
Il laisse derrière lui une part de l'être qui ne réussi à franchir ce mur du langage, tout ce qui est singulier,
tout ce qui fait que cette objet n'est pas un autre.
La vérité singulière de chaque chose est ainsi sacrifiée sur l'autel
de la communicabilité..
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