Le langage permet-il d'exprimer la vérité des choses ?
Extrait du document
«
Le langage est la marque de l'insuffisance de l'esprit.
« Si l'âme est une raison, que peut-elle recevoir en elle sinon une raison sans paroles, et d'autant plus silencieuse
qu'elle est davantage une raison? [...] Si elle emploie le langage, c'est par défaut.» Plotin, Ennéades (nie siècle ap.
J.-C.), II.
• Pour Plotin, le langage est impur par rapport à la pensée, comme le corps par rapport à l'âme.
Il permet à l'âme
d'exprimer les choses qu'elle a déjà perçues, mais pour lesquelles elle a besoin d'une représentation.
Aussi le langage
est-il, pour Plotin, la marque de la finitude de l'âme humaine.
• Dans cette perspective, une pure intelligence, divine, devrait pouvoir se passer des mots, et comprendre les
choses sans leur intermédiaire.
La plénitude de l'âme serait dans cette contemplation silencieuse.
Ce qui veut dire
aussi que les réalités les plus hautes ne peuvent pas être exprimées dans le langage.
C'est par le travail des mots que la pensée parvient à exprimer les
choses.
«C'est par la voie des définitions ou analyses continuées jusqu'au bout [...]
qu'on peut arriver à la caractéristique ou écriture universelle qui ferait à peu
près le même effet en matière de mouvement, de physique, de morale et de
jurisprudence, que les caractères dans l'arithmétique ou analyse.» Leibniz,
Lettre à jean Berthet (1677).
• Pour Leibniz et les philosophes rationalistes du mie siècle, le langage peut
être l'instrument de la connaissance, mais à condition d'être bien employé.
Il
faut le purifier de ses éléments confus et obscurs: ambiguïtés, approximations,
métaphores, multiplicité de sens, etc., pour lui faire exprimer des idées claires
et distinctes.
• Sur le modèle du langage formalisé des mathématiques, qui permet de
développer les raisonnements de manière mécanique, par simples substitutions
de caractères, Leibniz rêve d'une «caractéristique universelle».
Ce serait une
langue parfaite, constituant une sorte d'«alphabet des pensées humaines».
• Mais l'établissement d'une telle langue supposerait aussi que l'édifice de la
science soit tout entier achevé.
Les mots sont toujours des métaphores.
«Nous croyons savoir quelque chose des choses elles-mêmes quand nous
parlons d'arbres, de couleurs, de neige et de fleurs, et nous ne possédons
cependant rien que des métaphores des choses, qui ne correspondent pas du
tout aux entités originelles.
» Nietzsche, Le Livre du philosophe (1873).
• Pour Nietzsche, l'idée de parvenir à une «connaissance claire et distincte»
des choses par l'intermédiaire du langage est parfaitement illusoire parce que le
langage est toujours métaphorique.
• Il ne s'agit pas de viser un «ineffable», un au-delà du langage.
Mais de ne
pas avoir la naïveté de croire que l'on peut parvenir à une ultime définition des
choses.
Si formalisée que soit cette définition, elle passera par des signes,
toujours ouverts sur des réinterprétations.
• Dans ces conditions, la vérité ne doit plus être pensée comme l'adéquation
du langage avec les choses, mais comme l'effet de la force de conviction du
langage.
Le langage n'atteint pas, pour Nietzsche, des choses qui lui
préexistent: il est poétique, c'est-à-dire qu'il fait exister les choses, parce qu'il
nous les rend présentes.
« Notre plus vieux fonds métaphysique est celui dont nous nous
débarrasserons en dernier lieu, à supposer que nous réussissions à nous en
débarrasser - ce fonds qui s'est incorporé à la langue et aux catégories
grammaticales et s'est rendu à ce point indispensable qu'il semble que nous devrions cesser de penser, si nous
renoncions à cette métaphysique.
Les philosophes sont justement ceux qui se libèrent le plus difficilement de la
croyance que les concepts fondamentaux et les catégories de la raison appartiennent par nature à l'empire des
certitudes métaphysiques; ils croient toujours à la raison comme à un fragment du monde métaphysique lui-même,
cette croyance arriérée reparaît toujours chez eux comme une régression toute-puissante.
»
Nietzsche, La Volonté de puissance, $ 97..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Le langage doit-il exprimer la vérité en soi ?
- Langage et vérité (cours)
- Hobbes: La vérité est-elle prisonnière du langage ?
- Bergson: Langage et vérité
- Aristote: Langage et vérité