Le langage mathématique est-il universel ?
Extrait du document
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Le langage mathématique apparaît comme le mode d'expression des sciences qui ont pour objet le nombre, la quantité,
l'étendue et l'ordre.
Contrairement aux langues naturelles, qui sont ancrées dans une culture, dans un territoire et dans une population,
et se caractérisent donc par leur pluralité, le langage mathématique peut apparaître comme universel.
Cette universalité serait permise
par le fait que ce langage n'est pas fondé sur l'histoire d'un peuple, mais sur les objets qu'il étudie, et qu'il représente sous forme de
symbole.
La question de savoir si le langage mathématique est universel amène donc à s'interroger à la fois sur les objets propres à ce
langage, afin de se demander si ces objets sont à même de fonder le caractère universel des symboles qui les représentent, et sur la
signification du terme « universel ».
En effet, un langage universel peut signifier un langage qui ne varie pas selon les époques et les
cultures, mais peut également signifier un langage qui permet de tout exprimer, qui s'applique à tous les domaines.
Or, le langage
mathématique ne tire-t-il pas justement son universalité, au premier sens du terme, du fait qu'il est limité à un type d'objet, à un
domaine d'étude très précis ? Après avoir vu que l'universalité du langage mathématique pouvait être fondée sur le fait qu'il donne
accès à la chose en soi, nous verrons que cette universalité est aussi celle de la méthode mathématique.
On pourra alors affirmer que
l'universalité du langage mathématique est limitée par le caractère conventionnel des symboles qu'il utilise.
1° Le langage mathématique est universel car il ne pense pas la chose singulière, mais la chose en soi
Selon Platon, l'apprentissage de la philosophie, ou encore de la sagesse, se fait selon une hiérarchie d'activités successives, dont
les objets d'étude sont de plus en plus universels.
En effet, dans la perspective platonicienne, le monde dans lequel nous vivons, le
monde sensible, n'est que le reflet imparfait du monde intelligible, qui contient les Idées des choses, leurs essences.
Ces idées sont
donc universelles, puisqu'elles sont la chose en soi, qui s'oppose aux multiples exemplaires singuliers de la chose dans le monde
sensible.
Dans la mesure où la sagesse consiste à s'élever progressivement à l'universel des Idées, les mathématiques constituent une
étape dans cet apprentissage.
En effet, les mathématiques pensent les propriétés des choses qui ne varient pas avec le temps, et
utilisent comme mode de penser le raisonnement abstrait, et non les sens qui sont toujours soumis à un objet singulier.
Le langage
mathématique permet donc de donner accès à la chose en elle-même : si le mathématicien trace un cercle pour l'étudier, l'expression
mathématique qu'il utilise ne désigne pas ce cercle précis, mais le cercle en tant que cercle, c'est-à-dire en tant qu'entité universelle,
qui ne varie pas selon l'espace et le temps comme les cercles singuliers peuvent varier.
Le langage mathématique est donc dans cette
perspective universelle dans la mesure où il nous fait sortir des variations particulières pour nous élever à ce qui est immuable,
intemporel.
2° Le langage mathématique est universel non pas par son objet, mais par la méthode qui le sous-tend et qui
peut s'appliquer à tous les domaines de la pensée
Si l'on considère que le langage mathématique est universel parce qu'il nous donne accès, par les symboles qu'il met en œuvre,
à un niveau d'abstraction et de généralité élevé, ne peut-on pas dire qu'il n'est cependant pas universel au sens où il ne permet de
penser que les objets mathématiques, qui ne constituent qu'une partie restreinte du réel et de notre pensée ? Selon Descartes, une
telle objection ne vaut pas, car ce qui caractérise l'universalité du langage mathématique n'est pas
l'objet de la science précise mathématique, mais sa méthode, qui consiste à penser les rapports
entre les choses, leurs propriétés communes, et à établir ces points sous la forme d'une équation.
Il faut pour cela aborder les objets par une certaine abstraction, comme des grandeurs et comme
des proportions.
Or, toute chose peut être représentée comme une grandeur ou comme une
étendue, le langage mathématique est donc susceptible de s'appliquer à tous les objets que la
pensée veut étudier, et lui fournit la méthode adéquate pour les penser rigoureusement.
Il est donc
universel au sens où en théorie, ce langage permet de tout exprimer, de penser des objets qui
semblent pourtant à priori très différents des objets mathématiques, comme les concepts
métaphysiques, par exemple.
3° L'universalité du
conventionnel
langage mathématique
est limitée
par
son
caractère
Si l'on dit que le langage mathématique est universel par la méthode qu'il permet d'appliquer
à toutes les entités, le problème réside dans le fait qu'une telle universalité de méthode ne signifie
pas nécessairement que le langage mathématique est en lui-même universel.
En effet, les
symboles qu'utilise le langage mathématique sont des conventions, et en ce sens, rien ne permet
de fonder la nécessité que tout langage mathématique utilise les même symboles, et soit donc
indépendant des variations temporelles et spatiales.
Le mathématicien Poincaré insiste ainsi sur ce
caractère conventionnel des symboles et expressions mathématiques, ce qui signifie que leur
caractère universel n'est pas, en ce sens, plus fondé que le langage des langues naturelles, même si, bien entendu, les propriétés
mathématiques restent vraies universellement.
C'est leur expression dans le langage des symboles mathématiques qui n'est pas
nécessairement universelle à travers les différents lieux et les différentes époques.
Conclusion
S'interroger sur l'universalité du langage mathématique demande à la fois de s'interroger sur ce à quoi ce langage nous donne
accès, donc sur le statut des entités mathématiques, et sur les moyens dont disposent les mathématiques pour exprimer les propriétés
des objets qu'elles étudient, c'est-à-dire les symboles et expressions mathématiques.
On peut tout d'abord défendre l'idée que le
langage mathématique est universel si l'on considère le fait que les propriétés qu'il exprime portent sur la chose en soi, et non sur des
entités singulières : le langage mathématique est universel au sens où il témoigne d'une abstraction qui ne prend pas en compte
l'espace et le temps.
Cette universalité peut apparaître également comme une universalité de la méthode mathématique : en ce sens,
le langage mathématique est universel dans la mesure où il peut s'appliquer à de nombreux types d'objets qu'il représente avec les
mêmes symboles de grandeurs et de quantités.
C ependant, on peut soutenir l'idée que l'universalité du langage mathématique est
limitée par le fait que même si les vérités que ce langage exprime sont des propriétés abstraites et universelles, les symboles qui
servent à les exprimer sont basées sur des conventions, qui, donc, ne sont pas nécessaires et peuvent en théorie varier..
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