Le langage est le propre de l'homme - DESCARTES
Extrait du document
«
Le langage est le propre de l'homme
Il n'y a pas de préjugé auquel nous ne soyons tous plus accoutumés qu'à celui qui nous a persuadés depuis notre enfance
que les bêtes pensent.
De tous les arguments qui nous persuadent que les bêtes sont dénuées de pensée, le principal, à
mon avis, est que bien que les unes soient plus parfaites que les autres dans une même espèce, tout de même que chez
les hommes, comme on peut voir chez les chevaux et chez les chiens, dont les uns apprennent beaucoup plus aisément
que d'autres ce qu'on leur enseigne ; et bien que toutes nous signifient très facilement leurs impulsions naturelles, telles
que la colère, la crainte, la faim, ou autres états semblables, par la voix ou par d'autres mouvements du corps, jamais
cependant jusqu'à ce jour on n'a pu observer qu'aucun animal en soit venu à ce point de perfection d'user d'un véritable
langage c'est-à-dire d'exprimer soit par la voix, soit par les gestes quelque chose qui puisse se rapporter à la seule
pensée et non à l'impulsion naturelle.
C e langage est en effet le seul signe certain d'une pensée latente dans le corps ;
tous les hommes en usent, même ceux qui sont stupides ou privés d'esprit, ceux auxquels manquent la langue et les
organes de la voix, mais aucune bête ne peut en user ; c'est pourquoi II est permis de prendre le langage pour la vraie
différence entre les hommes et les bêtes.
Descartes
1.
tout de même que : de même que.
2.
privés d'esprit : dont l'intelligence manque d'acuité et de perspicacité.
QUESTIONS
1.
Quelle est la thèse du texte et comment Descartes construit-il son argumentation ?
2.
a.
Quelle différence y a-t-il entre un préjugé qui nous persuade et un
argument qui nous persuade ?
b.
En quoi la capacité d'apprendre, d'une part, et de signifier les impulsions naturelles, d'autre part, peut-elle laisser croire que les bêtes pensent ?
c.
Comment Descartes définit-il le « véritable langage » ?
3.
Le langage exprime-t-il la pensée ?
Idée directrice
Parler est le propre de l'homme : seuls les hommes pensent et peuvent communiquer leurs pensées.
Il y a donc une différence de nature, d'essence, et non simplement une différence de degré entre l'homme et l'animal.
Structure du texte
• « Il n'y a pas de préjugé [...] pensent » : Descartes part de l'opinion commune selon laquelle les bêtes pensent.
• « De tous les arguments [...] impulsion naturelle » : Descartes pose sa thèse qui va à rencontre de l'opinion commune : les bêtes ne pensent pas.
Elles
agissent mécaniquement.
• « C e langage [...] les bêtes » : le vrai langage est signe de la pensée.
P arler est la pensée.
Le langage humain est créateur.
Il y a donc une différence
essentielle entre l'homme et la bête.
QUESTION 1
Descartes considère le langage comme le premier et le plus puissant indice permettant de distinguer avec certitude l'homme de la bête.
- Il part du sens commun, de l'habitude qui nous fait croire que les animaux pensent, habitude d'autant plus ancrée en nous qu'elle nous vient de l'enfance.
Mais qu'est-ce qui nous assure que les animaux, qui savent pourtant signifier très facilement leurs émotions, ne pensent pas ? C ette croyance n'a aucune
réalité : en effet, les animaux sont des machines vivantes, soumises, déterminées par le mécanisme, c'est-à-dire par le mouvement.
Ils agissent
mécaniquement, leurs mouvements sont automatiques, répétitifs.
- A insi, seul l'homme pense, c'est pourquoi il parle, et seul l'homme a une âme.
S'il n'avait pas de vrai langage, il ne serait qu'un corps soumis au même
mécanisme que les animaux.
Mais il a une âme qui le différencie essentiellement de l'animal.
QUESTION 2
a.
Un préjugé qui nous persuade est une opinion à laquelle nous adhérons sans l'analyser, sans la passer au crible de la critique rationnelle.
« Le préjugé est
jugé d'avance, dit Alain, avant qu'on se soit instruit.
Le préjugé fait qu'on s'instruit mal ».
C 'est déjà ce qu'affirmait Descartes dès le début du Discours de la
méthode.
Les opinions toutes faites s'inscrivent en nous dès l'enfance et viennent des parents, de l'école.
Il faut en faire table rase, conseillait Descartes.
L'argument est un raisonnement qui prouve ou réfute rationnellement quelque chose, qui est construit logiquement et non jugé d'avance comme le préjugé.
Un argument auquel on adhère, qui nous a donc persuadés, est l'œuvre de la raison, non du sentiment ou de l'habitude.
b.
Faire de l'anthropomorphisme est facile : les chiens bougent la queue parce qu'ils sont satisfaits, aboient pour chasser les importuns, etc.
Toutes ces
manifestations peuvent nous faire croire qu'ils agissent consciemment, manifestant ainsi une raison.
M ais, pour Descartes, il n'y a pas d'âme raisonnable
chez l'animal, ce qui est établi par l'absence de vrai langage.
C ertes, les animaux ont des codes, ils expriment des passions, ils peuvent même être dressés
à dire des mots, mais ce n'est pas un vrai langage.
C e sont des mouvements naturels, des automatismes mis en route.
c.
Le vrai langage, « seul signe d'une pensée latente dans le corps », est créateur : l'homme a la possibilité de former, à partir de la combinaison d'un
nombre réduit de signes, de nouveaux énoncés qui permettront d'exprimer la représentation de situations nouvelles.
L'homme invente sans cesse un nouvel
usage du langage, une nouvelle combinaison.
Le langage humain échappe au mécanisme instinctif et confirme ainsi l'opposition fondamentale entre l'homme
et l'animal.
QUESTION 3 (pistes de réflexion)
—> Le langage véritable est le propre de l'homme pour Descartes.
Il est « le révélateur de la raison » comme le dit G.
Rodis-Lewis.
On dispose du langage
pour exprimer sa pensée, librement, pour répondre à tout nouveau contexte.
La raison est donc non quelque chose de plus, quelque chose qui s'ajoute à la
nature, mais quelque chose de tout à fait autre : la raison est non-nature.
Personne avant Descartes ne l'avait aussi clairement montré, comme le souligne
P.
Guénancia dans son livre Descartes (Bordas).
A insi, non seulement le langage exprime la pensée, mais il enseigne « la présence de l'homme en tout
homme », quelles que soient les inégalités, et même jusque dans la folie.
—> C f.
Hegel, il n'y a pas de pensée sans langage : « C 'est dans les mots que nous pensons.
»
—» Il y a donc une dimension métaphysique du langage : le langage fait bouger les hommes, il sème l'espoir ou la peur, il laisse des traces écrites et permet
l'histoire, la science, etc.
—> C f.
le logos grec, à la fois parole et raison, à l'origine de la réflexion philosophique.
—» C f.
la force du verbe divin dans les religions monothéistes.
Même si le langage ne peut pas exprimer toute la pensée, comme l'affirment Nietzsche et Bergson, il est sans conteste le signe de la pensée humaine, de la
conscience..
»
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