Le langage est-il un signe distinctif de l'humanité ?
Extrait du document
«
[L'humanité se définit par le langage.
Le langage est le propre de l'homme.]
Le langage structure la pensée
L'homme se distingue des animaux en ce qu'il est un animal rationnel, capable de penser.
Hegel a écrit : « C'est dans
les mots que nous pensons ».
Dire que nous pensons en mots, comme on paye en francs ou en dollars, c'est définir
le mot comme l'unité de la pensée.
Loin d'être deux mondes radicalement extérieurs, « incommensurables » comme le
disait Bergson, le langage et la pensée apparaissent ici comme absolument consubstantiels.
Le langage est un moyen de dialogue
Forme de la pensée, le langage est aussi le vecteur privilégié de la communication.
Dialoguer, c'est être capable de
développer sa pensée au contact d'une autre, c'est être en mesure d'échanger des informations complexes.
Comme
le souligne Émile Benveniste, ce que l'on appelle le «langage» des animaux est en fait un code de signaux immuable
fixé par l'espèce.
Il n'induit pas une «réponse», mais seulement un comportement donné.
Les animaux ne dialoguent
pas réellement; ils ne.
font qu'extérioriser la douleur ou le plaisir par des cris.
Seul l'homme de langage donc de pensée
« Enfin il n'y a aucune de nos actions extérieures qui puisse assurer ceux qui
les examinent que notre corps n'est pas seulement une machine qui se remue
de soi-même, mais qu'il y a aussi en lui une âme qui a des pensées, excepté
les paroles, ou autres signes faits à propos des sujets qui se présentent, sans
se rapporter à aucune passion.
Je dis les paroles, ou autres signes, parce que
les muets se servent de signes en mêmes façon que nous de la voix ; et que
ces signes soient à propos, pour exclure celui des fous, qui ne laisse pas
d'être à propos des sujets qui se présentent, bien qu'il ne suive pas la raison ;
et j'ajoute que ces paroles ou signes ne se doivent rapporter à aucune
passion, pour exclure non seulement les cris de joie ou de tristesse, et
semblables, mais aussi tout ce qui peut être enseigné par artifice aux animaux
; car si on apprend à une pie à dire bonjour à sa maîtresse, lorsqu'elle la voit
arriver, ce ne peut être qu'en faisant de la prolation de cette parole devienne
le mouvement de quelqu'une de ses passions ; à savoir, ce sera un
mouvement de l'espérance qu'elle a de manger, si l'on a toujours accoutumé
de lui donner quelque friandise lorsqu'elle l'a dit ; et ainsi toutes les choses
qu'on fait faire aux chiens, aux chevaux et aux singes, ne sont que des
mouvements de leur crainte de leur espérance, ou de leur joie, en sorte qu'ils
les peuvent faire sans aucune pensée.
Or il est, ce me semble, fort
remarquable que la parole, étant ainsi définie, ne convient qu'à l'homme seul.
Car, bien que Montaigne et Charron aient dit qu'il y a plus de différence
d'homme à homme, que d'homme à bête, il ne s'est toutefois jamais trouvé
aucune bête si parfaite, qu'elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d'autres animaux quelque chose qui
n'eût point de rapport à ses passions ; et il n'y a point d'homme si imparfait, qu'il n'en use ; en sorte que ceux qui
sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées.
Ce qui me semble
un très fort argument pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu'elles n'ont
aucune pensée, et non point que les organes leur manquent.
Et on ne peut dire qu'elles parlent entre elles, mais que
nous ne les entendons pas ; car comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment leur passion, ils nous
exprimeraient aussi bien leurs pensées, s'ils en avaient.
» DESCARTES, « Lettre au marquis de Newcastle »
Le texte commence par l'énoncé d'une thèse : seul un échange de signes (par exemple : les signes de la parole
constitués par des sons de voix –mais on peut penser aussi aux gestuelles dont se servent les sourds pour
communiquer) indique la présence de l'âme dans un corps et peut permettre de poser l'existence d'un alter ego.
A
partir de quoi Descartes se demande ce qui fait l'irréductible spécificité d'une communication entre moi et autrui, par
rapport aux échanges que je peux avoir avec d'autres êtres (les animaux).
C'est ainsi qu'il établit deux critères :
• Les signes émis doivent correspondre à une situation donnée, témoigner de l'intelligence des questions possibles (il
faut que « ces signes soient à propos »).
Ce critère permet de distinguer une communication réelle où l'on prend en
compte les circonstances toujours particulières, d'une simple répétition mécanique de sons (exemple du perroquet).
La parole est le lieu d'une création toujours imprévisible de significations, d'un dialogue libre.
• Les signes doivent exprimer des pensées plutôt que des passions.
Ce deuxième critère exclut toute forme de
communication avec l'animal qui n'émet des signes que par passion (espérance d'une récompense).
La parole est ce
qui nous permet d'exprimer nos pensées..
»
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