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Le langage est-il le propre de l'homme et le signe de la pensée ?

Extrait du document

« Le langage est un moyen d'expression de nous pensées, de nos sentiments, de nos émotions.

Le va-et-vient de la parole suggère un échange et donc l'interaction entre les individus.

Le langage peut donc être défini métaphoriquement comme un instrument ou un outil spécifique à l'homme , dont la fonction essentielle est celle de communication.

M ais si une telle définition attire très utilement l'attention sur ce qui distingue le langage de beaucoup d'autres institutions, elle ne va pas sans poser de problèmes.

En effet, parler d'instrument ou d'outil, c'est mettre en opposition l'homme et la nature.

Or, comme le souligne Benvéniste, « le langage est dans la nature de l'homme qui ne l'a pas fabriqué ».

Mieux encore « le langage enseigne la définition même de l'homme.

» Nous sommes l'espèce parlante ; le langage –soit, dirait-on aujourd'hui, la faculté d'exprimer des pensées à l'aide de signes articulés- est le propre de l'homme, à tel point que cette possession exclusive suffit à le différencier essentiellement des bêtes. C ette thèse n'a rien que de très traditionnel.

Elle remonte au moins à Aristote, qui au livre I de ses « Politiques », immédiatement après avoir signalé que « l'homme est par nature un vivant politique », relève que « seul entre les vivants, l'homme a un langage » (ce dernier terme étant censé traduire le grec « logos »). C es deux définition de l'homme sont naturellement indissociables.

La possession du langage par l'homme se marque en effet à ceci, tout d'abord, qu'il s'adresse à ses semblables, au milieu desquels il vit, et peut aussi voir son comportement modifié par leurs paroles.

Parler c'est « parler-à » (un autre que moi).

A voir le langage, c'est aussi pouvoir être affecté par la parole de l'autre.

C ette manière proprement humaine de vivre que détermine la possession du langage serait donc impossible en dehors de la Cité. En même temps, l'existence politique, qui suppose la délibération en commun et la persuasion réciproque, la parole adressée en une langue partagée, n'est à la portée que du vivant parlant.

C ertes, des bêtes peuvent trouver le moyen de signaler par des sons leurs sensations douloureuses ou agréables. Mais, souligne Aristote, seuls les hommes, ces vivants qui contrairement aux autres se tiennent droit, regardent devant eux et émettent leur voix vers le devant, sont en mesure de se manifester mutuellement « l'avantageux et le nuisible, et par suite aussi le juste et l'injuste ».

C e qui est proprement user de langage. On pourrait être tenté d'objecter à Aristote, d'une part qu'il est douteux que tous les hommes soient comme il le prétend « doués de langage » : le « logos » ne fait-il pas défaut aux sourds-muets de naissance, aux fous ? Et d'autre part que d'autres êtres vivants que l'homme, peut être, communiquent par le moyen de signes. C ommençons par la première objection.

« Pas de langage sans voix », écrit Benvéniste.

P ourtant nous pouvons parler par gestes ; Descartes avait déjà observé que « les muets se servent de signes en même façon que nous de la voix », de telle sorte qu'ils parviennent non seulement à communiquer entre eux, mais encore à se faire comprendre de « ceux qui étant ordinairement avec eux ont loisir d'apprendre leur langue » (« Discours de la méthode », V ). Ne pourrait-on en revanche refuser le logos aux fous, comme si « perdre la raison » revenait aussi à être arraché à sa langue ? « Je suis vacant par stupéfaction de ma langue », s'écrie ainsi Arthaud, qui évoque la souffrance psychisme en toute connaissance de cause.

Et d'ailleurs : « quitte ta langue, ma langue, merde, qui est-ce qui parle, où es-tu ? Outre, outre , Esprit, Esprit, langues de feu, feu, feu, mange ta langue, vieux chien [...] j'arrache ma langue ».

Le fou serait-il hors-langue ? Mais c'est en poème que le clame Artaud.

Et sa « langue de feu » nous affecte sans doute plus profondément que bien des discours « sensés ».

En conséquence, comme le soulignait déjà Descartes, on peut considérer que le fou a part au logos.

Si désarticulé qu'il puisse être , et « bien qu'il ne suive pas la raison », le discours de la folie reste un discours.

D'apparence incohérente, il « ne laisse pas d'être à propos des sujets qui se présentent », conservant donc un rapport à la réalité, tant des objets auxquels il a trait que de la situation de communication dans laquelle il s'inscrit.

On peut donc conclure provisoirement sur ce point que le langage est en l'humanité, tout comme la raison peut-être, un instrument universel. Instrument voué, en l'occurrence, à la manifestation de la vie de conscience ; au service, donc, du témoignage, et qui ne fait défaut ni à l'imbécile ni au fou : « c'est une chose bien remarquable , résumait Descartes, qu'il n'y a point d'hommes si hébétés et si stupides, sans en excepter mêmes les insensés qu'ils ne soient capables d'arranger ensemble diverses paroles, et d'en composer un discours par lequel ils fassent entendre leurs pensées ». A u contraire, souligne aussitôt, et par contraste, le « Discours de la méthode », « il n'y a point d'autre animal » qui fasse de même.

Le philosophe exclut donc fermement la possibilité que des bêtes aient accès au langage.

C ertes, note-t-il, on peut bien dresser un perroquet ou une pie à crier « bonjour » à l'arrivée de son propriétaire.

Néanmoins, cela ne prouverait pas que le volatile témoigne véritablement par là qu'il souhaite le bonjour à l'arrivant.

Habituée à ce qu'on la récompense de quelques friandises lorsqu'elle « dit » bonjour, la bête ne proférera ces sons, comme par un réflexe conditionné, que dans l'espoir de manger bientôt.

Elle ne souhaite pas le bonjour mais signale sa faim.

Il n'est donc pas vrai que les bêtes parlent, puisqu'il ne s'en est jamais trouvé une qui usât de signes pour exprimer autre chose que sa joie ou sa douleur, son espérance ou sa crainte.

Les prétendues paroles des bêtes n'en sont pas, puisqu'elles n'ont de rapport qu'à leurs passions.

De ce fait elles ne témoignent pas que les bêtes pensent, encore moins qu'elles pensent ce qu'elles disent.

Exprimer ce que l'on ressent n'est pas encore parler, le langage supposant la pensée outre le sentiment.

« On ne doit pas confondre les paroles avec les mouvements naturels qui témoignent les passions ».

Or les sons proférés par les bêtes entrent tous dans cette dernière catégorie, pour autant qu'on n'ait « point encore observé » qu'aucun animal nous ait marqué par la voix ou les mouvements de son corps « quelque chose qui pût se rapporter à la pure pensée plutôt qu'à un mouvement naturel ». On peut ne pas se satisfaire tout à fait de cette démonstration cartésienne de l'extériorité radicale des bêtes par rapport au langage.

Les bêtes ne peuvent parler puisqu'elles ne pensent pas ; l'indice le plus probant de ce que les bêtes ne pensent pas, c'est qu'elles ne parlent pas : il y a là au moins les apparences de cette faute que les logiciens nomment cercle...

Remarquons toutefois que la linguistique (celle de Benveniste) valide par d'autres voies les conclusions de Descartes.

Réfléchissant à partir des observations réalisées sur le mode de communication propre aux abeilles par Von Frisch, Benveniste en rappelle d'abord la teneur.

De retour à la ruche, une abeille qui effectue devant ses congénères une danse en cercle signale par là que de la nourriture se trouve à une faible distance.

Relevant d'un symbolisme moins rudimentaire, une danse en huit accompagnée d'un frétillement continu de l'abdomen indique quant à elle à quelle distance on doit chercher (plus la danse est lente, plus le butin est loin), mais aussi dans quelle direction s'envoler (l'axe du huit indique l'angle que le lieu de la découverte forme avec le soleil).

T outefois, six points de contraste au moins interdisent de considérer comme un langage ce mode de communication animal.

Les deux premiers sont son caractère non phonique, et par voie de conséquence le fait que ce symbolisme soit inopérant dans l'obscurité.

Mais comme on l'a déjà signalé, cela vaudrait aussi dans le cas du langage des sourds-muets.

Plus décisive est la troisième remarque de Benvéniste : à savoir que le message de l'abeille exploratrice n'appelle pas de réponse, n'instaure pas de dialogue.

A u lieu que « nous nous parlons à d'autres qui parlent ».

Non seulement les abeilles ignorent le dialogue, mais leurs messages ne peuvent se référer qu'à une donnée objective.

T oujours la même au demeurant : la nourriture.

C ela contraste, relève Benveniste, avec « l'illimité des contenus du langage humain ».

C elui-ci, par ailleurs, voit s'entrelacer relation à l'objet et réaction au discours de l'autre.

O r chez les abeilles, il n'arrive pas qu'un message se rapporte à un autre message : on n'a pas observé par exemple qu'une abeille aille répéter dans une autre ruche la danse à laquelle elle venait d'assister.

Dernière remarque, la plus importante aux yeux du linguiste : le langage humain se laisse décomposer en un nombre fini d'éléments constitutifs, éléments de signification ou constituants sonores dont les combinaisons réglées peuvent engendrer une infinités de messages.

A u contraire, « le message des abeilles ne se laisse pas analyser », c'est-àdire décomposer en une série d'éléments formateurs, identifiables et distinctifs.

Le mode de communication employé par les abeilles ne serait donc « pas un langage, mais un code de signaux », tout entier inscrit dans le code génétique des insectes.. »

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