Le langage est-il la mémoire de l'humanité ?
Extrait du document
«
Introduction.
« Le langage conditionne tout l'ensemble de nos fonctions intellectuelles », a écrit M.
HALBWACHS
(Cadres sociaux de la mémoire, p.
92).
Il est donc à présumer qu'il joue notamment un rôle important dans la
mémoire.
I.
Qu'est-ce que la mémoire?
Mais il est nécessaire de préciser de quelle mémoire il s'agit.
On a donné ce nom, soit (BERGSON) à la simple
continuité psychique , soit à une « mémoire autistique » (DELAY), purement intérieure et individuelle, qui se
manifeste par des fabulations, des hallucinations du passé, de fausses reconnaissances et dont toute l'organisation
est « une organisation délirante ».
Ni l'une ni l'autre n'ont besoin du langage, encore que, comme l'a montré
HALBWACHS, celui-ci s'y introduise parfois, par exemple dans nos rêves.
La vraie mémoire est celle qui implique la « connaissance du passé comme tel » et c'est une « mémoire sociale »
(DELAY).
II.
Rôle du langage.
Dans cette mémoire sociale, le langage joue un rôle qui a été longtemps méconnu, précisément parce qu'on ne
voyait dans le souvenir qu'un acte purement intérieur; mais ce rôle n'en est pas moins essentiel.
A.
— II se manifeste déjà dans la fixation du souvenir.
Dès que nous percevons un objet, nous lui donnons un nom,
nous le rangeons dans une classe.
Par l'intermédiaire du langage, notre perception est déjà socialisée.
— Le langage vient ainsi s'interposer entre la
perception initiale et le souvenir que nous en conserverons, d'autant plus que nous nous répétons parfois nos
souvenirs à nous-mêmes pour mieux les fixer et surtout que nous les avons entendu raconter par d'autres (ex.
de
STENDHAL).
B.
— La conservation du souvenir est ainsi, comme l'a montré HALBWACHS, chose sociale au moins autant
qu'individuelle, et l'instrument de cette conservation, c'est le langage : « Les hommes vivant en société usent
de mots dont ils comprennent le sens : c'est la condition de la pensée collective.
Or chaque mot (compris)
s'accompagne de souvenirs, et il n'y a pas de souvenirs auxquels nous ne puissions faire correspondre des mots »
(HALBWACHS).
En généralisant cette idée, on comprend la formule de L.
LAVELLE : « Le langage est la mémoire de
l'humanité.
» C'est en effet dans le langage que viennent se déposer, comme en une sorte de conservatoire, les
idées, les souvenirs, les traditions, etc., des groupes sociaux, et c'est à cette « mémoire collective » que s'alimente
la mémoire individuelle.
C.
— Le rappel du souvenir est, en réalité, en grande partie une reconstruction, et cette reconstruction se fait sous
la forme du récit : nous fixons et nous évoquons nos souvenirs, le plus souvent, pour les raconter à autrui.
Là
encore, par suite, le langage joue un rôle capital.
D.
— II en joue un enfin dans la reconnaissance et la localisation des souvenirs.
Dater un souvenir, c'est le situer
dans ces cadres sociaux du temps que sont nos calendriers, les noms donnés aux fêtes, aux événements
marquants, etc.
: « Les conventions verbales constituent le cadre à la fois le plus élémentaire et le plus stable de la
mémoire collective » (HALBWACH).
C'est pourquoi les troubles du langage, les aphasies s'accompagnent le plus souvent de troubles de la mémoire vraie
: « Une pensée sans langage est en voie de désocialisation.
» Or la mémoire vraie est la mémoire sociale : « Le
langage est inséparable de la mémoire sociale.
Il lui est consubstantiel » (DELAY).
Conclusion.
Il se confirme ainsi, une fois de plus, que le langage n'est pas extérieur à la vie intellectuelle.
Il en est
vraiment partie intégrante..
»
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