Le jugement est-il dans la pensée ou la pensée dans le jugement ?
Extrait du document
«
Kant a dit : « penser c'est juger » et en effet le concept et le raisonnement sont des jugements en un certain sens
; mais le mot jugement a aussi un sens plus restreint : c'est l'affirmation d'un rapport objectif entre un sujet et un
prédicat.
On peut donc considérer le jugement soit comme un produit de la pensée soit comme l'acte même de la
pensée.
I.
LE JUGEMENT DANS LA PENSÉE
— A — Distinctions.
On distingue des jugements d'inhérence (un attribut est contenu dans un sujet) et des jugements de relation
(l'attribut est extérieur au sujet).
On distingue aussi des jugements de réalité (ce sont ceux des sciences positives :
ils affirment des faits) et des jugements de valeur (ce sont ceux des sciences normatives : ils posent un idéal).
Enfin on peut distinguer avec Kant des jugements analytiques (les corps sont étendus), des jugements synthétiques
a priori (7 + 5 = 12, la ligne droite est le plus court chemin d'un point à un autre, tout phénomène a une cause), et
des jugements synthétiques a posteriori ou jugements d'expérience (les corps sont pesants).
— B — Définition.
Le jugement se distingue de la simple conception parce qu'il affirme qu'une conception répond à une réalité
objective.
Il est constitutif de l'être ; la copule « est » ne sert pas seulement à relier le sujet et l'attribut, elle
affirme la réalité de ce lien, elle est une détermination de l'être.
Comme d'autre part c'est grâce à l'unification que
réalise le jugement dans nos représentations diverses que nous pouvons avoir conscience de notre propre unité, le
jugement est en même temps constitutif du sujet et de l'objet.
— C — Formation du jugement.
L'associationnisme ne voit dans le jugement que l'association automatique de deux groupes de sensations ; mais
cette explication ne rend pas compte de l'objectivité du jugement.
Je ne me contente pas de dire : « quand je
soulève un corps, j'ai une impression de poids», je dis que «les corps sont pesants», c'est-à-dire que je fais
correspondre à la liaison subjective de mes pensées une liaison objective.
Le jugement n'est donc pas le simple
produit d'un mécanisme mental, il est invention de l'esprit et c'est pourquoi tout jugement comporte un risque.
Mais
les jugements qui se forment tout seuls en nous ne sont que des préjugés.
C'est ce que montre l'analyse des
conditions du jugement c'est-à-dire des conditions dans lesquelles nous affirmons un rapport comme vrai (problème
de la croyance).
II.
LA PENSÉE DANS LE JUGEMENT
— A — L'intellectualisme.
Selon Spinoza, l'esprit qui conçoit ne se distingue pas de l'esprit qui juge,
c'est-à-dire que l'entendement ne se distingue pas de la volonté.
On ne peut
former une idée sans poser sa vérité ; les idées s'affirment d'elles-mêmes,
avec plus ou moins de force il est vrai, selon leur plus ou moins grande clarté.
Le doute n'est jamais volontaire, il est incertitude et l'incertitude tient
seulement à la présence en nous d'idées contradictoires qui ne peuvent être
que des connaissances du premier genre, par ouï-dire ou par expérience
vague.
L'erreur n'est pas un jugement positivement faux mais seulement une
idée inadéquate, c'est-à-dire insuffisante.
— B — Le volontarisme.
Pour Descartes au contraire, l'erreur est positive ; elle consiste à affirmer la
réalité objective d'idées que nous ne connaissons pas avec assez de clarté et
de distinction.
Ce qui la rend possible c'est la disproportion qui existe entre
l'entendement, faculté de concevoir, limitée et passive, et la volonté, faculté
active et infinie d'affirmer.
Le jugement est l'oeuvre en effet de la volonté.
Nous sommes donc responsables de nos erreurs mais il dépend de nous de les
éviter en suspendant notre jugement tant qu'un doute est possible, c'est-àdire tant qu'on ne parvient pas à des idées parfaitement claires et distinctes.
— C — Le jugement vrai.
Certes, il est impossible de ne pas affirmer ce qui paraît évident et en ce sens Spinoza a raison.
Mais la difficulté est
de distinguer les jugements où la volonté est déterminée par l'imagination, de ceux où elle l'est par l'entendement :
« Ce que le désir engendre est toujours ce qu'il y a de plus clair » remarque Valéry, et l'erreur consiste toujours à
juger selon des affections corporelles (appétits, coutumes).
La maîtrise de soi est donc la condition du jugement
vrai et le rôle de la volonté dans le jugement consiste essentiellement à repousser les idées que propose
l'imagination pour penser selon l'entendement.
D'où la nécessité d'une éducation du jugement par laquelle on
s'exerce à juger d'abord les choses qui nous touchent le moins.
CONCLUSION
Il faut gouverner ses pensées « Penser (peser) est fonction de peseur, non fonction de balance.
Et il serait ridicule
si, au moment de juger, je regardais seulement de quel côté j'incline » (Alain)..
»
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