Le goût pour l'histoire est-il une manière de fuir le présent ?
Extrait du document
«
Pour répondre à cette question, nous allons à titre indicatif, développer la pensée de Nietzsche dans ses Secondes considérations
inactuelles.
Cet ouvrage traite de la place de l'histoire dans la vie, en somme quelle dose d'histoire l'homme est-il capable de
supporter, quelle dose d'histoire l'homme doit recevoir pour agir correctement ? Aussi, cette dose d'histoire n'a pas été identique à
toutes les époques, certaines époques ont été plus boulimiques en histoire que d'autres, boulimie qui a certainement caché une volonté
de fuir son époque pour des raisons politiques entre autres.
En somme, qu'est-ce qui se cache derrière cette fuite du présent ?
1) La place de l'historien dans l'action.
Selon Nietzsche, dans ses Secondes considérations inactuelles , texte essentiel sur le sujet, nous devons résoudre une antinomie qui
met en jeu notre possibilité d'agir.
D'un côté, tout acte exige l'amnésie ; d'un autre côté, l'histoire comme somme de connaissance qui
tend vers l'infini nous paralyse nous handicape de plus en plus.
Nous sommes déchirés entre deux tendances : ou bien nous savons et
nous ne serons jamais assez forts pour animer un passé infini, ou bien nous ne savons rien et le sens de nos actions nous échappe
alors.
C'est face à ces deux absolus que se pose la problématique suivante : quelle quantité d'histoire doit-on tolérer ? Ne devons-nous
pas fixer un seuil au-delà duquel nous deviendrons impuissant, c'est-à-dire incapable d'agir, c'est-à-dire incapable d'engendrer un
quelconque avenir.
Nietzsche appelle « force plastique », la faculté de vivre, c'est-à-dire d'agir.
Or, le problème c'est que l'histoire se
contente du passé ; elle progresse à reculons et son dos seul est affronté à l'avenir.
Elle est obsédée par l'accompli et ne pouvant rien
oublier elle ne peut rien créer.
Il est évident que pour agir, il faut oublier, s'exposer à l'erreur.
Il faudrait renouer avec naïveté, cette
certitude d'être le premier à admettre une opinion pour parfois provoquer une situation réellement nouvelle.
L'historien à force de
chercher dans son passé tout ce qui pourrait expliquer l'état présent, en même temps qu'il finirait par admettre que rien de nouveau
n'apparaît sous le soleil se rendrait prisonnier de ses recherches et interdirait que de l'inédit soit créé.
Au fond, le créateur est injuste,
car il ignore délibérément les vérités établies, mais en même temps, il est le seul à pouvoir métamorphoser la valeur des opinions
reçues, à dénouer le nœud gordien, pour se donner la chance d'un empire.
2) Les différents types d'histoires.
Le « respect des faits » des historiens, qui empêchent d'exalter leur tempérament propre ; il faudrait qu'ils se délivrent en demandant
à l'histoire de servir la vie.
Si l'histoire devenait science parfaite, elle entraînerait pour l'humanité la fin de sa pérennité.
Elle résisterait
mal à son désir de connaître la fin du monde.
Sachant comment l'aventure universelle s'achèverait, elle s'accomplirait sans se rendre
bien compte qu'elle disparaîtrait aussi dans ce succès absolu.
Le problème de l'histoire ne réside donc pas dans l'arbitraire du sens
qu'elle impose aux faits, elle ne peut éviter de le faire.
Il est plutôt dans la vie qu'elle ne sait pas servir.
Nietzsche va développer trois
niveaux de l'influence de l'historien sur le vivant : L'histoire monumentale , qu'il va valoriser.
L'histoire traditionnelle, qu'il a le goût
de conserver et de vénérer.
Il souffre et a besoin de délivrance et valorise ainsi l'histoire critique.
Dans l'histoire monumentale, Les
historiens se grandissent en mesurant les monuments, ils pensent les vénérer mais ne sont que des antiquaires, faisant commerce de
ce qu'ils n'ont pas produit.
Il ne font que réifier des événements.
L'histoire traditionnel quant à elle est au servie de ceux qui
incapables d'ouvrir l'avenir au péril de leur vie conservent et vénèrent le passé, comme s'il pouvait valoir en soi.
Au fond, l'historien
traditionaliste se transporte dans les objets qu'il analyse jusqu'à s'y confondre, il les fait parle par sa voix comme s'ils n'étaient pas
seulement des prétextes.
Il laisse croire que cette paralysie est le mouvement même de l'histoire.
Ainsi, l'historien traditionaliste
acquiert dans le « nous » derrière lequel il parle une personnalité collective.
Il s'investit en elle, il atteint l'universalité que son
appréhension lui refuse.
L'historien est donc le parasite des héros véritables qu'il enserre dans son savoir jusqu'à les étouffer.
On voit
donc que l'histoire traditionaliste est la forme dégénérée de l'histoire monumentale.
Elle remplace le goût de la grandeur passée par la
simple attirance pour le révolu.
Cette histoire ne nous laisse que l'image défunte des vivants avec lesquels elle est incapable de se
mesurer.
L'histoire critique rend compte L'absurdité consisterait à se donner a posteriori un passé dont on voudrait être le produit
car cela impliquerait le refus de celui dont nous provenons en effet.
L'origine et la fin des temps se confondraient en un même absolu et
l'histoire n'aurait rien été d'autre que la somme des histoires accomplies, pour faire coïncider l'intention créatrice de Dieu et
l'accomplissement actuel de son projet.
Comment éviter de rapprocher le paradis futur et le paradis terrestre ; l'un et l'autre se fondent
sur un travestissement de la réalité ou pour parler comme Nietzsche sur une stérilisation de la vie dans le goût excessif de l'histoire.
On
ne critique jamais assez le passé.
L'histoire nous est tout de même utile ne serait-ce que parce qu'elle nous permet de saisir à quel
point c'est l'injustice qui est créatrice.
Au fondement de cette justice, on peut dire qu'il y a la vie.
Une vie assez tenace pour mériter les
efforts assassins de la connaissance.
Telle est la leçon contradictoire que nous donne l'histoire.
Cela paraît contradictoire de prétendre
en même temps que l'histoire est une valeur et qu'elle n'en est pas une.
Il faut comprendre que Nietzsche ne veut pas établir une
certitude objective.
Tout simplement parce qu'elle nierait les acteurs dans leur volonté de vivre.
Il aspire au contraire à les laisser
s'épanouir dans leur unicité égoïste.
3) Le goût de l'histoire comme fuite du présent.
Nietzsche écrit « Car, pour nous-mêmes, nous autres modernes, nous ne possédons rien du tout.
Ce n'est qu'en nous remplissant à
l'excès des époques étrangères, de mœurs, d'arts, de philosophies, de religion, de connaissance qui ne sont pas les nôtres, que nous
devenons quelque chose qui mérite l'attention, c'est-à-dire des encyclopédies ambulantes.
» (p.
106) Nous avons vu que trop d'histoire
stérilise l'histoire : nous finissons par croire en notre vieillesse, en notre achèvement, en notre mort prochaine.
On perd l'espoir d'une
renaissance.
Nous regardons nos actes de loin à travers les lunettes déformantes de la chronologie.
Ainsi restons-nous spectateur de
nous-mêmes sans jamais devenir les acteurs de notre vie.
« Personne n'ose plus mettre sa propre individualité en avant, on prend le
masque de l'homme cultivé, du savant, du poète, du politicien.
» (p.
109) Nous sommes en somme devenu les singes de ce que nous
aurions pu être si nous avions préféré nos croyances à nos vérités.
Mais nous préférons la mesure, la modération, plutôt que le délire
de l'inspiration.
En un mot, « la culture historique et le vêtement bourgeois règnent en même temps.
»
Conclusion.
Pour Nietzsche, ce n'est qu'en partant de la plus haute force du présent que l'on peut voir le droit d'interpréter le passé.
Il n'est pas
utile de bien comprendre, mais au contraire de bien fonder, donc d'être injuste et de préférer son égoïsme à tous les respects
scrupuleux.
Nietzsche demande au fond que l'on récupère la conscience de l'histoire, au lieu de se contenter d'une mémoration
d'antiquaire.
La loi de l'histoire doit être aussi celle du plus fort ; ne doit valoir que ce qui a du succès.
Jamais on a vu s'imposer sans
violence un pouvoir durable, sans infraction au droit, sans crime.
L'histoire minimise les drames humains, nous devons pourtant garder
une vision stimulante des héros, les aimer de telle sorte qu'à cause d'eux nous puissions avoir toujours une histoire nouvelle à
raconter..
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