Le fait de parler la même langue institue-t-il entre les hommes des liens privilégiés ?
Extrait du document
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Le thème de cet énoncé porte sur le rôle et le statut du (partage du) langage dans la constitution des relations
interhumaines.
Chercher à saisir la particularité de la fonction du langage dans l'élaboration de tels liens doit permettre de
déterminer le privilège ou la médiocrité de leur institution, autrement dit à comprendre la valeur de la notion de
communication.
Le problème d'un tel énoncé réside dans la dynamique causale supposée par le rapport entre liens et langue (ou langage,
ce terme est utilisé ici sans distinction spécifique) : comprendre si du langage procède le lien, quelque lien que ce soit, ou
si, au contraire, un lien antérieur au langage le précède en le rendant possible, telle est la question qui doit amener à
décider du caractère privilégié ou médiocre des liens engendrés par le langage – car en tant que ce dernier permet la
communication, l'existence de la constitution de liens par le langage est indéniable ; seule est en cause leur valeur.
Ainsi remanié, l'énoncé est conduit à interroger les rapports entre-tissant langage et monde, puis à en définir l'ordre de
priorité.
Ceci peut se faire à partir du triangle sémantique d'Aristote (Lukasiewicz) posant qu'une chose réelle produit dans
l'âme des impressions qui, à leur tour, engendreront les noms du langage assurant la possibilité de la communication.
A
partir d'un tel socle, deux enjeux structurent le développement du propos à venir : questionner premièrement le rapport
du langage au monde relativement à la possibilité de l'échange communicationnel (interhumain), puis, dans un second
temps, chercher à comprendre la possibilité du langage lui-même en se demandant si un lien (privilégié) en est
précisément le fondement.
I.
Langage – Monde : l'échange communicationnel
“ Parler la même langue ” est supposé, par la formulation même de l'énoncé, être un “ fait ”.
Qu'est-ce à dire ? Cela
signifie en premier lieu l'existence d'une distinction entre les termes de parole et de langue.
La parole peut être définie par
sa singularité et son idiosyncrasie (elle est le fait d'un locuteur dans un contexte déterminé) ; tandis que la langue
s'assimile à un ensemble de règles formelles partagées, et qui constituent la structure de la possibilité de la parole.
Ainsi
“ parler la même langue ” est-il un “ fait ” parce que l'appartenance de la parole du locuteur à tel système langagier est
contingente (non la parole, mais le fait de parler telle ou telle langue), et que, de plus, la langue est elle-même fondée en
l'arbitraire d'une convention par tous adoptée et reconnue (les règles formelles définissent la possibilité de la (prise de)
parole).
Dès lors comment un lien doublement fondé sur le non-nécessaire (la contingence de la possibilité de l'acte langagier,
c'est-à-dire de la parole, soumis au respect des règles arbitraires de la langue particulière) pourrait-il être considérer
comme “ privilégié ” ? Cependant, il est à souligner que la contingence de l'appartenance de la parole à telle langue soit
reste implicite (rarement je ne me demande pour quelle raison parlé-je français, du moins lorsqu'en acte je le parle), voire
ainsi considéré comme un fait sans raison (et presque nécessaire), soit procède d'un choix délibéré (lors de
l'apprentissage d'une langue, par exemple) est renie ainsi la dimension de contingence du fait de langage – ceci ne faisant
que remarquer le caractère fondamentalement institutionnalisé de tout langage, autrement dit son origine en un code
constitué de règles auxquelles adhère (volontairement ou inconsciemment) l'usager de la langue, celui qui fait acte de
parole.
En conséquence, en tant que reconnaissance et partage de règle (assurant incidemment la communication) le langage
doit être compris comme le fondement de la possibilité de tout lien.
Ainsi n'institue-t-il pas des liens privilégiés entre les
hommes qui en partagent la pratique ou l'usage, mais, bien plus, il constitue la condition de possibilité même de
l'élaboration de quelque lien que ce soit.
II.
Structure de l'esprit et possibilité du langage : le lien primordial
Le langage défini comme institution (parce que reposant sur la reconnaissance de règles arbitraires) au principe de la
possibilité de toute relation est alors considéré comme structure transcendantale, autrement dit comme possibilité de se
rapporter à quoi que ce soit d'extérieur au sujet pensant (tant le monde qu'autrui).
Ainsi en est-il de la conception du
langage avec le Tournant linguistique (Frege – Russell – Wittgenstein) qui est la condition d'accès (cognitif ou non) à
toutes choses, et dont la communication n'est qu'un avatar, ne détenant en ce sens aucune dignité particulière.
Mais si,
dans une telle conception de la fonction du langage, la communication ne bénéficie pas de statut distinct, il n'est reste pas
moins que par le langage s'élabore un réseau de signifiance qui alors structure le monde en le rendant compréhensible,
en lui donnant sens (Heidegger).
Donc, malgré le rôle mineur de la communication comme effet du partage de la langue, le
lien privilégié engendré par la structure même du langage partagé est la communauté mondaine, la communauté d'un
réseau de sens assuré par le langage.
Ne peut-on pas dès lors feindre la possibilité d'un renversement de la priorité dans la relation qu'entretiennent monde et
langage, en faisant, contrairement à ce qui jusqu'à ce point à été défendu, du partage d'un réseau de sens, c'est-à-dire
de l'existence de liens primordiaux propre à telle communauté humaine, la condition de possibilité du langage partagé ? Le
réseau de sens partagé qui est au fondement de la possibilité du langage peut simplement consister en l'esprit.
L'esprit et
la pensée peuvent alors être cette structure transcendantale (universelle) qui rendent possible l'existence du langage –
ce qui expliquerait la possibilité de la traduction, c'est-à-dire de l'apprentissage d'une langue étrangère, ou encore
l'existence de langage purement formel comme la mathématique.
En conséquence, ce n'est pas le fait de parler la même langue qui instituerait un lien privilégié entre les hommes concerné,
mais plutôt l'existence d'un lien primordial et privilégié (l'universalité de la structure de l'esprit humain) qui doit être au
fondement de la possibilité du partage langagier et de toute communauté linguistique.
Mais ce lien, étant au principe de
toute institution, n'est pas lui-même institué.
Ainsi, un lien non-institué institue le langage qui à sa suite provoquent
causalement de nouveaux liens, mais ceux-ci étant dérivés (troisième degré), aucun privilège en termes de fondement ne
peut leur être octroyé.
Conclusion
L'ordre de priorité dans la relation langage-liens est indéterminable – car c'est dans le langage qu'il peut être
exprimé et pensé..
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