Le doute philosophique peut-il mettre en cause la valeur de la raison elle-même ?
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«
Introduction
Le doute peut être considéré comme un défaut ou une imperfection.
Où s'arrête le doute philosophique ? Où commence le doute sceptique ? Ne pourrait-il pas mettre en cause la valeur
de la raison elle-même?
Le doute sceptique met en cause radicalement la raison.
Le scepticisme est défini par Lalande comme : « La doctrine d'après laquelle l'esprit humain ne peut atteindre avec
certitude aucune vérité ».
L'esprit se déclare incapable d'affirmer ou de nier quoi que ce soit.
1° Scepticisme antique et doute cartésien.
On sait que les « Méditations » de Descartes commencent, elles aussi, par
l'exercice d'un doute absolu : Descartes rejette le témoignage des sens (en
rêve on croit voir, entendre, bouger et ce n'est qu'illusion).
Il rejette même
les vérités mathématiques (car il peut se faire qu'un « malin génie » toutpuissant s'amuse à me tromper dans toutes mes pensées).
Mais ce doute cartésien s'oppose radicalement au doute sceptique.
D'abord le
doute cartésien est provisoire (il prend fin lorsque Descartes s'aperçoit qu'il
peut douter de tout sauf du fait même qu'il pense et qu'il doute : et cette
évidence invincible : je pense donc je suis est une première vérité d'où bien
d'autre vont jaillir).
C'est un doute volontaire, un doute « feint », dit Descartes dont la fonction
est d'accoutumer « l'esprit à se détacher des sens » (« abducere mentem a
sensibus ») et même de tout objet de pensée pour révéler en sa pureté l'acte
même de penser.
Le doute cartésien a la valeur d'une pédagogie de l'ascèse
qui vise à nous délivrer provisoirement des pensées pour révéler que nous
avions l'esprit que nous sommes.
Le doute cartésien est méthodique (le malin
génie n'est lui-même qu'un « patin méthodologique » (Gouhier), c'est une
technique mise au service de la recherche du vrai.
Le doute cartésien est un doute optimiste et héroïque, un déblaiement
préalable qui précède la construction de l'édifice philosophique, une décision volontaire de faire table rase de toutes
les connaissances antérieures pour bâtir une philosophie nouvelle.
2° Les arguments des sceptiques grecs.
Tout au contraire, le scepticisme absolu des pyrrhoniens et de leurs disciples n'est pas un point de départ mais une
conclusion –la conclusion d'échec- au terme de l'aventure du savoir.
Enésidème avait groupé les arguments sous dix titres ou « tropes que Sexus Empiricus réduisit à cinq.
Il faut
connaître ces arguments qu'on retrouve chez Montaigne, chez Pascal et chez Anatole France.
(a) La contradiction des opinions.
Les sophistes grecs frappés par la contradiction des opinions des philosophes (par exemple : Héraclite disait que le
réel n'est que changement, alors que Parménide niait le changement) aboutissent à la conclusion pessimiste que la
vérité (qui devrait être universelle) est inaccessible.
Les sceptiques ont été parfois de grands voyageurs qui, à force
d'avoir vu les gens les plus divers professer des opinions contradictoires, adopter des valeurs différentes, ne croient
plus à rien.
Pyrrhon avait par exemple accompagné le conquérant Alexandre dans un grand nombre de ses
expéditions.
Montaigne avait visité l'Allemagne, l'Italie, mais avait surtout dans sa « librairie » voyagé parmi des
systèmes philosophiques innombrables et tous différents.
Pascal reprend les thèmes de Pyrrhon et de Montaigne :
« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà.
»
(b)
La régression à l'infini.
Une vérité ne peut pas être acceptée sans preuves comme telle car il n'existe pas un signe du vrai « comparable à
la marque imprimée sur le corps des esclaves et qui permet de les reconnaître quand ils sont en fuite.
» Mais si je
propose une preuve pour une affirmation, le sceptique me dira « Prouve ta preuve ».
ainsi la preuve qu'on apporte
pour garantir l'affirmation a besoin d'une autre preuve et celle-ci d'une autre à l'infini.
Pour connaître la moindre chose je suis d'autre part contraint de remonter à l'infini, c'est-à-dire de mettre ce donné
en rapport avec une infinité d'autres faits.
Car chaque chose est relative à toutes les autres et pour connaître le
moindre objet il faudrait connaître son rapport avec tout l'univers.
Nous ne connaissons le tout de rien, ce qui
revient à ne connaître rien du tout..
»
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