Le dialogue abolit-il la violence ?
Extrait du document
«
[Le dialogue est le propre de l'homme raisonnable.
Seul
un tel homme est capable, non seulement de communiquer
avec autrui, mais encore d'échanger des idées avec lui,
de poser des questions, de répondre.]
Dialogue et raison
Le dialogue institue entre les hommes un rapport fondé sur la raison et non sur la violence.
Réfuter, ce n'est pas avoir raison contre quelqu'un d'autre, c'est se prévenir soi-même de l'erreur.
On ne
triomphe pas de l'interlocuteur, on avance avec lui.
Il ne faut prendre garde qu'au propos lui-même, pas à une
lutte entre prétendus adversaires.
Dialoguer, c'est « donner ses raisons et accueillir celles d'autrui ».
Ainsi, il faut se mettre d'accord au début de l'entretien sur ce dont on parle, puis garder en vue cette
définition.
L'accord de l'interlocuteur est à chaque étape indispensable pour avancer.
Même la pensée solitaire dialogue avec elle-même : toute recherche de la vérité est un dialogue.
Le dialogue est un échanges d'idées
dialoguer, c'est moins communiquer à autrui des idées toutes faites que s'efforcer de les recréer en les
formulant devant lui et en s'exposant à la critique.
Dialoguer, c'est éprouver la solidité de ses arguments,
c'est accepter la critique.
C'est aussi accepter de répondre avec des mots, et jamais avec des armes lourdes.
Le dialogue contre la violence
Platon écrit toute son oeuvre sous forme de dialogues.
Cette tradition littéraire
propre à la philosophie, née avec la démocratie grecque, s'est prolongée au moins
jusqu'au XVIIe siècle (Leibniz, Berkeley, Hume ont écrit des dialogues
philosophiques), et il n'est guère de philosophe pour ne pas reconnaître la vertu
éminemment philosophique de tout dialogue véritable.
Pourquoi accorde-t-on cette vertu au dialogue ?
1 – Il suppose l'égalité des interlocuteurs.
La relation qui passe par le dialogue est
par nature contraire à la relation d'autorité, car c'est une relation fondée, comme
à l'Assemblée démocratique d'Athènes, sur l'échange d'arguments : si je me plie
aux arguments de l'autre, je ne lui obéis pas.
2 – Le dialogue exclut la violence pour lui préférer la raison.
La décision même de
dialoguer indique que l'on a refusé le recours à la force ou à l'intimidation pour
s'imposer et qu'on fait confiance à la seule « force » des idées et à l'examen de la
validité des raisons avancées.
3 – Le dialogue interdit de décider du vrai pour les autres.
Il manifeste que penser est penser avec autrui, en
se confrontant à autrui : penser par soi-même ne doit pas se confondre avec le refus du commerce de la
pensée des autres.
4 – Enfin, le dialogue récuse la figure archaïque du maître de vérité.
La vérité recherchée en commun dans un
dialogue dépend des raisons qu'on avance ; elle n'est ni une vérité révélée, ni un dogme.
C'est à la lumière de ces vertus philosophiques du dialogue qu'il faut comprendre le prestige de Socrate, père
de tous les philosophes, bien qu'il n'ait rien écrit, et peut-être justement parce qu'il n'a rien écrit et a passé
sa vie à dialoguer avec ses concitoyens sur la place publique.
En se prétendant lui-même ignorant, Socrate ne
délivre pas de vérité : il interroge et, grâce à son « ironie », démonte les opinions toutes faites de ses
interlocuteurs.
Il incite ainsi chacun à une recherche authentique de la vérité.
Dialogue et accord.
Comment un dialogue conduit-il à un accord ? Qu'est-ce qui, dans le dialogue lui permet d'arriver à une
entente ? Et de quelle sorte d'accord s'agit-il ?
Tout dialogue trouve sa raison d'être dans une situation de désaccord.
En effet, si on est d'accord, il
n'est pas besoin de dialoguer: on ne ferait que se répéter l'un l'autre.
Le dialogue serait donc là pour
permettre de dépasser un désaccord de départ pour arriver à un accord.
En ce sens, sa principale utilité est d'éviter que le désaccord ne conduise au conflit: on dialogue pour
réduire un désaccord qui risque toujours de s'aggraver davantage.
On discute pour s'entendre, et on
veut s'entendre pour ne pas se battre.
Voilà pourquoi on cherche le dialogue: pour l'accord qu'il rend.
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