Le déterminisme scientifique est-il incompatible avec le libre arbitre?
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• L'affirmation de la liberté humaine pose en effet le problème du rapport de l'homme avec la nature. De fait, la nature (le monde), pour peu que nous la pensions, que nous essayions de la comprendre, nous apparaît comme le règne du déterminisme : tout phénomène a une ou plusieurs causes et « s'explique » par sa ou ses causes. Comprendre quelque chose, c'est donc nécessairement le déterminer.
• Or, l'homme fait partie de la nature, du monde : comment donc peut-il concilier sa liberté avec le déterminisme naturel ? Les principales et classiques réponses possibles sont les suivantes : a) Poser que le déterminisme naturel n'est pas absolu, et qu'il existe une certaine contingence naturelle (cf. par exemple, le clinamen des atomes chez Épicure et Lucrèce) qui s'accroîtrait à mesure que l'on passe de l'ordre physique à l'ordre biologique et à l'ordre humain.
b) Poser un dualisme fondamental entre la matière et l'esprit. La nature, le monde de la matière, est le lieu d'un déterminisme rigoureux, tandis que l'esprit, la pensée, est celui de la liberté. Cf. le dualisme cartésien : en tant que corps, l'homme appartient à la nature et est soumis à ses lois, mais en tant qu'âme, que pensée, il leur échappe. c) Poser que le déterminisme de la nature est total et que l'homme n'y échappe pas ; que la liberté humaine est donc illusoire. d) Poser que le déterminisme de la nature est rigoureux et que l'homme ne peut s'y soustraire ; que cependant sa volonté n'est déterminée que par elle-même, et que donc la liberté humaine consiste à accepter et à vouloir la nécessité (cf. le stoïcisme). e) Poser que le déterminisme de la nature est rigoureux et que la volonté humaine est elle-même déterminée, mais que la volonté ne se distinguant pas de la connaissance, la liberté consiste dans la connaissance vraie de nos déterminations par laquelle nous devenons la cause de notre volonté (cf. Spinoza).
• Les deux premières réponses (a, b) posent la liberté comme spontanéité et comme libre arbitre, les deux dernières (d, e) l'appréhendent comme délivrance et libération (cf. P. Ricoeur : « C'est la leçon de Spinoza : on se découvre d'abord esclave, on comprend son esclavage, on se retrouve libre de la nécessité comprise).
«
Qu'appelle-t-on le libre arbitre ?
Le libre arbitre pose la volonté comme cause première des actions des hommes.
Il peut s'agir de se déterminer en
l'absence de causes apparentes ou de raisons précises.
À l'inverse, nous pouvons décider de choisir le contraire de
ce qui paraît raisonnable.
Dans les deux cas, c'est bien la volonté pure qui semble être la cause originelle de notre
action.
La figure qui revient systématiquement pour illustrer le libre arbitre est celle forgée par un philosophe scolastique du
)(Ive siècle, Jean Buridan : elle présente un âne qui, placé devant un seau d'eau et une botte de foin, ne peut se
décider pour l'un ou l'autre et, en conséquence, meurt de faim.
Si cette histoire semble peu vraisemblable, elle sert
d'argument pour démontrer que l'homme, parce qu'il est doué de raison, ne peut mourir d'une telle manière.
Toutefois, même si l'homme opère ses choix de façon rationnelle, il peut se trouver dans la situation de l'âne de
Buridan, et ne pouvoir utiliser sa réflexion
pour faire un choix entre deux choses d'égale valeur.
Il peut encore, selon un exemple choisi par Descartes, se
trouver à la croisée de chemins, perdu dans une forêt et sans argument rationnel pour décider d'aller à gauche
plutôt qu'à droite.
En de pareils cas, c'est la spécificité de l'homme, la raison, qui se trouve mise en échec.
Mais
celles ci n'est pas la seule caractéristique de l'homme.
La liberté différencie l'homme de l'animal et fait du premier un
être qui
se détermine de manière autonome.
Si l'on considère que la liberté consiste à prendre une décision sans l'appui
d'autre puissance que la sienne propre, on peut alors avancer l'idée que décider, c'est créer : en ce sens, nos actes
créent bien une nouvelle causalité.
Lorsque la raison se trouve impuissante à nous éclairer dans nos choix, sommes-nous, à l'exemple de l'âne de
Buridan, condamnés à ne plus rien pouvoir faire ? Pour le philosophe, l'animal ressemble à une machine perfectionnée
qui obéit aux lois de la nature et n'a donc pas le pouvoir d'improviser : si la loi naturelle est tenue en échec, alors
l'organisme qui en dépend est lui aussi immobilisé.
Cela ne peut arriver à l'homme, qui, lui, pense ses actes.
Lorsqu'il
n'y a pas matière à réflexion, la liberté consiste alors non pas à décider, mais à trancher en l'absence de toute
raison, par l'effet de la seule volonté.
Cette liberté fait alors exister quelque chose qui ne peut exister qu'en vertu
de sa seule puissance.
On la nomme la « liberté d'indifférence » puisqu'elle relève de la pure volonté, sans aucune
raison.
Descartes écrira, dans ses Méditations métaphysiques (1641), qu'a elle est le plus bas degré de la liberté» et
qu'elle «fait paraître plutôt un défaut dans la connaissance, qu'une perfection dans la volonté ».
Selon Descartes, le pouvoir même de douter est le fruit d'une décision.
et c'est bien parce que la volonté peut
soutenir le doute infiniment que les méditations peuvent s'accomplir.
Si le doute cesse généralement lorsque des
arguments sont avancés, si la volonté se soumet habituellement à la raison, cette volonté infinie et autonome peut
toutefois continuer de nier.
Descartes va jusqu'à prétendre que, placés devant la vérité, nous pouvons encore
rejeter celle-ci à la condition de fermer les yeux.
N'est-ce pas ce qui se produit dans l'action morale ? Nous voyons
ce qu'il faut faire et nous choisissons de faire autrement.
« La grandeur de la liberté consiste, affirme Descartes, ou
dans une grande facilité que l'on a à se déterminer, ou dans le grand usage de cette puissance positive que nous
avons de suivre le pire, encore que nous connaissions le meilleur.
» Une volonté peut donc choisir délibérément le
mal
pour le mal en vue d'affirmer sa liberté absolue.
Le libre arbitre repose donc principalement sur la volonté pensée
comme créatrice et échappant à toute détermination.
On peut alors dire du libre arbitre qu'il est double : il est à la
fois décision et décision de décider.
Nous nous croyons libres, et nous éprouvons cette autonomie de notre volonté comme une sorte d'évidence.
Il se
pourrait malgré tout que ce ne soit qu'une illusion, liée à notre ignorance des causes qui nous font agir..
»
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