Le despotisme est-il encore possible dans le monde moderne ?
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Pour qui la regarde d'un œil critique, l'Histoire un peu ancienne ressemble beaucoup au Macbett de Ionesco : un despote règne sur un pays, vite renversé et remplacé par un ambitieux qui se montre rapidement plus méchant, plus cruel et plus despotique que lui; quand celui-ci est enfin renversé à son tour et non sans peine, son successeur qu'on espérait bon annonce qu'il mettra toute son énergie à se montrer encore plus méchant, plus cruel et plus despotique que le tyran qu'il vient de chasser. Pourtant la Déclaration des droits de l'Homme affirme que « tous les hommes naissent libres et égaux en droit... » et un hymne révolutionnaire invite les tyrans à « descendre au cercueil ». Faut-il en conclure que le despotisme a vécu, qu'il a connu avec la Révolution Française le commencement de sa fin et que l'existence actuelle dans le monde de pouvoirs despotiques ne représente qu'une survivance anachronique que finira par balayer le vent de l'Histoire? Tel ne semble pas être l'avis de Tocqueville quand, dès 1840 et les dernières pages de la Démocratie en Amérique il prévoit pour nos siècles démocratiques un autre despotisme, « une espèce d'oppression qui ne ressemblera à rien de ce qui l'a précédée dans le monde ». Pouvons-nous, plus d'un siècle après cette prophétie, lui apporter des éléments de réponse, autrement dit, le despotisme est-il, comme l'affirme Tocqueville, encore possible dans le monde moderne ?
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SUJET TRAITÉ
Pour qui la regarde d'un œil critique, l'Histoire un peu ancienne ressemble beaucoup au Macbett de Ionesco : un
despote règne sur un pays, vite renversé et remplacé par un ambitieux qui se montre rapidement plus méchant, plus
cruel et plus despotique que lui; quand celui-ci est enfin renversé à son tour et non sans peine, son successeur
qu'on espérait bon annonce qu'il mettra toute son énergie à se montrer encore plus méchant, plus cruel et plus
despotique que le tyran qu'il vient de chasser.
Pourtant la Déclaration des droits de l'Homme affirme que « tous les hommes naissent libres et égaux en droit...
» et
un hymne révolutionnaire invite les tyrans à « descendre au cercueil ».
Faut-il en conclure que le despotisme a
vécu, qu'il a connu avec la Révolution Française le commencement de sa fin et que l'existence actuelle dans le
monde de pouvoirs despotiques ne représente qu'une survivance anachronique que finira par balayer le vent de
l'Histoire? Tel ne semble pas être l'avis de Tocqueville quand, dès 1840 et les dernières pages de la Démocratie en
Amérique il prévoit pour nos siècles démocratiques un autre despotisme, « une espèce d'oppression qui ne
ressemblera à rien de ce qui l'a précédée dans le monde ».
Pouvons-nous, plus d'un siècle après cette prophétie, lui
apporter des éléments de réponse, autrement dit, le despotisme est-il, comme l'affirme Tocqueville, encore possible
dans le monde moderne ?
***
Le pouvoir despotique, comme l'indique l'étymologie grecque du mot despote, est celui du maître de maison dans les
rapports qu'il entretient avec ses esclaves et par extension de tout maître absolu qui exerce son pouvoir sur les
gens comme s'il en était possesseur.
C'est pourquoi les Grecs ou les Romains qui se jugeaient hommes libres parlent
volontiers de despotes orientaux, ceux-ci régnant sur leurs administrés sans aucun égard pour les personnes de
ceux-ci.
On voit donc qu'il peut exister une infinité de despotismes locaux, depuis le pouvoir marital qui peut aller souvent
jusqu'à se montrer despotique — cela n'a pas encore complètement disparu — jusqu'à la maîtrise absolue exercée
sur un certain nombre d'individus, de régions ou de provinces, voire sur un empire tout entier: le mot même de
despotisme évoque facilement, pour un lecteur moderne, celui des empereurs romains, particulièrement de ceux tels
Caligula, Néron ou Tibère, dont les caprices irraisonnés ne trouvaient pourtant aucune limite à leur exécution vu le
pouvoir absolu dont ils disposaient sur tout et sur tous.
Mais c'était là une époque où le pouvoir était issu d'une transcendance divine : l'empereur romain régnait certes par
la puissance de l'armée qui l'avait porté au pouvoir, mais plus profondément parce que telle était la volonté des
Dieux.
De même plus tard le Roi de France était l'oint du Seigneur, doté de pouvoirs miraculeux (guérir les écrouelles
par exemple) et choisi tout exprès par Dieu pour assurer les affaires du royaume.
Il était donc théoriquement logique
et même aux yeux de certains philosophes tout à fait souhaitable, pourvu que le roi fût bon, fût « philosophe », que
son pouvoir soit absolu et connaisse le moins d'entraves possibles.
C'est la célèbre théorie du « despotisme éclairé »
dont Voltaire fit ses délices, espérant que son royal élève et ami Frédéric II, « le Salomon du Nord » serait enfin le «
roi philosophe » que l'Europe attendait.
Il fut vite déçu mais, sans changer de théorie, reporta ses espoirs sur
l'impératrice de Russie, Catherine II qui avait fort philosophiquement fait assassiner son mari fou pour pouvoir faire
triompher personnellement la Raison dans le pays des Tsars.
A vrai dire cette théorie n'avait au XVIIIe siècle rien de nouveau.
Platon déjà souhaitait que sa Cité idéale soit
entièrement soumise aux décisions sans appel des philosophes qui la gouverneraient, la force étant au besoin
requise pour les faire exécuter.
De même, aujourd'hui encore, certains monarques « de droit divin » s'obstinent à
faire le « bonheur » de leurs peuples éventuellement malgré eux et sans hésiter à recourir à la violence.
Mais un tel
despotisme, qu'il soit celui d'un homme seul (dictateur), d'une équipe, ou même de toute une race, apparaît
cependant de nos jours comme un désagréable anachronisme.
C'est qu'en effet une des caractéristiques de l'homme
moderne est de situer la source de toute légitimité politique en lui-même, de refuser tout recours, à une quelconque
transcendance divine : la volonté populaire en tant qu'expression de la majorité est retenue comme seul critère
puisque les hommes sont supposés égaux entre eux et que l'avis d'aucun en particulier ne doit donc prévaloir sur
l'opinion du plus grand nombre.
Mais ce « despotisme de la majorité » peut-il encore être qualifié ainsi, ou n'est-ce
pas un abus de langage?
En fait, dans le monde moderne, ce n'est pas tellement une majorité quelconque qui établit un despotisme, que la
structure même que le système égalitaire crée et développe grâce au principe de la délégation des pouvoirs, l'État
puisqu'il faut l'appeler par son nom, « le plus froid de tous les monstres froids » disait Nietzsche.
En effet, l'individualiste qu'est devenu l'homme moderne du fait qu'il n'a plus avec ses semblables des rapports
hiérarchiques mais égalitaires, manque de goût naturel pour s'occuper des affaires collectives; aussi a-t-il confié ce
rôle à l'État, à l'administration.
Ainsi comme l'écrit Tocqueville, « la puissance administrative de l'État s'étend sans
cesse parce qu'il n'y a que lui qui soit assez habile pour administrer » et un gouvernement démocratique accroît
donc ses attributions du seul fait qu'il dure : le temps travaille pour lui.
Mais les attributions et l'autorité de l'Étal s'accroissent aussi pour d'autres raisons : l'homme moderne, égalitaire et
individualiste a un amour croissant du bien-être social.
Sans aller jusqu'à évoquer la prétendue « civilisation de
consommation » et ses excès, c'est un phénomène qui, outre Tocqueville parlant des « petites passions des
hommes de nos jours », frappait déjà aussi les meilleurs esprits de son époque: Stendhal par exemple prétendait que
le seul mobile des Français était l'argent et les méprisait quelque peu pour cela; il faisait dire par ailleurs à une de
ses héroïnes : « Je ne vois que la condamnation à mort qui distingue un homme; c'est la seule chose qui ne s'achète
pas.
» Baudelaire quant à lui raillait un temps où les fils « fuient leur famille, non pas pour chercher des aventures
héroïques, non pas pour délivrer une beauté prisonnière dans une tour...
mais pour fonder un commerce, pour
s'enrichir, et pour faire concurrence à leur infâme papa ».
Or cet amour du bien-être fait aimer la tranquillité et.
»
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