Le désir est-il un facteur de progrès ?
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«
Introduction : Ne dit-on pas que lorsque l'on veut s'améliorer, il faut avant tout le vouloir ? Et peut-on vraiment vouloir ce que l'on ne
désire pas ? Affirmer le contraire de cela nous paraîtrait bien étrange de prime abord.
Ce que nous recherchons, ce que nous visons à
obtenir, nous le cherchons parce que cela nous fait du bien, ou plus précisément nous procure du plaisir.
Il semble donc évident que ce
qui nous fait du bien nous améliore et que, donc, désirer quelque chose nous fait progresser.
Nous entendons d'abord par ce terme
l'occasion d'utiliser des capacités et des mettre en œuvre des moyens pour obtenir ce que nous voulons.
Que l'on songe alors à toutes les
stratégies, tous les calculs que peuvent faire le chasseur ou le séducteur pour chercher à saisir leur « proie ».
Tout cela n'aurait pas été
mis en place s'il n'y avait pas eu cet objet de recherche qui a nécessité tant de temps et d'imagination.
Cependant, si cela nous procure
du plaisir, devons-nous y voir un progrès ? Le progrès en effet, nous permet de passer d'un état plus faible à un état plus fort.
Or, une
fois le désir comblé, il semble que cela soit plutôt un éternel retour qu'un progrès.
Reviendra un temps où un autre désir apparaîtra et
qu'il s'agira de combler : cela ne ressemble -t-il pas plus à une fuite continuelle plutôt qu'à un progrès ? Nous devons alors nous
interroger sur ce que révèle le désir au point de nous inviter à l'action.
Ceci pour nous demander ensuite si c'est véritablement le désir qui
est à la source de ce mouvement.
Nous pourrons enfin distinguer le désir purement animal qui subjugue tout en appelant satisfaction, et
le désir humain qui possède en plus la capacité de prendre pour objet le désir d'autrui.
I/ Le désir nous invite à agir
Si le désir est bel et bien l'expression d'un manque, alors il commence tout d'abord par révéler la « présence » d'un vide en nous.
C'est parce qu'il nous manque ce que nous désirons que nous le désirons.
Ainsi, un homme qui n'aurait aucun désir serait un homme
mort, puisque tout l'aspect du vivant, qui est de désirer, se serait absenté de lui.
Les Anciens considéraient également que seuls les dieux
n'avaient aucun désir.
Leur perfection leur permettait de pouvoir se passer de toute chose extérieure à eux-mêmes qui serait
indispensable.
Donc, ce désir non comblé nous procure de l'inquiétude.
Nous manquons de quelque chose qui nous procurerait du plaisir,
et alors nous désirons cette chose.
Cependant, l'inquiétude est -elle la seule conséquence du désir ? Leibniz dans les Nouveaux essais sur
l'entendement humain en ajoute une autre.
« L'inquiétude est le principal aiguillon, pour ne pas dire le seul, qui excite l'industrie et
l'activité des hommes.
Car bien qu'on propose à l'homme, si l'absence de ce bien n'est suivie d'aucun déplaisir ni d'aucune douleur, et
que celui qui en est privé puisse être content à son aise et le posséder, il ne s'avise pas de le désirer et moins encore de faire des efforts
pour en jouir.
» Un bien n'est donc apprécié que lorsqu'il est désiré.
Obtenir quelque chose sans y mettre les moyens ne nous satisfait en
rien.
N'éprouver que de la velléité à l'égard de quelque chose nous amène donc à considérer les choses d'une manière complètement
indifférente et ne stimule aucunement nos capacités.
II / Le désir est une rêverie
Peut-on désirer ce que l'on a déjà ? Cela semblerait parfaitement incohérent.
En effet, nous ne pouvons jamais désirer que ce qui nous
manque.
Ainsi, le désir, parce qu'il apparaîtrait comme révélateur d'un manque, pourrait nous amener à progresser.
Cette progression,
nous l'avons vu, se définirait comme la recherche et la mise en place de moyens pour obtenir ce que l'on recherche.
Or, est-ce que cela
concerne à proprement parler le désir ? En fait, il serait difficile par exemple de trouver quelqu'un qui ne désire pas être riche.
Par ailleurs,
tout le monde n'est pas riche pour autant.
De même, tout le monde désire être heureux, et nous ne pouvons savoir objectivement si un
seul homme est déjà parvenu à l'être.
Quelle est donc la différence entre celui qui obtient ce qu'il désire et celui qui s'en maintient au
désir ? Ne nous faut-il pas ici ranger le désir aux côtés de la rêverie et l'opposer à la volonté ? Nous pouvons ici suivre Alain, qui, dans Les
passions et la sagesse, illustre la différence entre l'avare et les autres hommes.
« Vous feriez rire l'avare en lui disant qu'il désire la
richesse.
Tout le monde désire la richesse, répondrait-il, moi, je la veux, je la gagne, je l'ai, je la garde.
J'invente mille moyens et je les
mets en œuvre.
Déjà plus de trois fois j'ai tout perdu, ou bien on m'a tout volé.
Bah ! Le temps que je désespérais, j'avais déjà les mains
pleines de choses que je pouvais revendre.
C'est pourquoi je ne vois point de place pour le désir parmi les passions, ni même parmi les
émotions.
Le besoin nous embarque : j'avais besoin de marcher dit l'homme qui marche.
Le désir ne nous embarque point.
De désirer
une femme, on ne vient point à la conquérir ; mais de la vouloir, on vient quelquefois à l'aimer.
» Le désir ne peut donc s'apparenter ni
au besoin, qui presse à être comblé, ni à la volonté qui nous permet d'obtenir ce que l'on aime et de le garder auprès de nous.
Le désir
est donc plutôt une régression qu'un progrès : il ne nous comble jamais que de rêveries illusoires.
III/ le désir d'un autre désir.
Si le désir est cette pure illusion, il ne contribue pas à nous faire progresser.
Mais, même dans le cas inverse, peut-on vraiment
parler de progrès lorsqu'un désir est comblé ?
En effet, l'idée de progrès sous-entend que nous passions, par le désir, d'un état à un autre état en nous étant améliorés.
Mais comment
qualifier exactement cette « amélioration » ?
Lorsque nous désirons manger, par exemple, nous comblons notre envie, mais une fois, cette envie comblée, avons nous progressé pour
autant ? Le désir, considéré comme une recherche purement animale, ne permet que de combler l'envie de quelque chose pendant un
temps donné sans établir une stabilité, un état qui serait supérieur et continu.
Nous devons alors diviser ce concept de désir en deux
parties si nous voulons conserver l'idée d'un progrès qu'il nous apporterait.
Ainsi, Hegel, dans la Phénoménologie de l'Esprit, nous
rappelait que le désir animal était la condition nécessaire de la Conscience de soi.
Qu'entendre par-là ? L'homme est d'abord
complètement absorbé par ce qu'il désire.
Ses besoins le rappellent alors pour exiger d'être comblés par ce qui le fascine tant.
(Par
exemple, le fumet d'un bon repas que nous pouvons savourer …et le ventre qui appelle à le déguster.) Par ce retour sur lui-même,
l'homme prend alors conscience de son existence comme être désirant et ayant la capacité de satisfaire ses désirs.
Cependant, le désir
humain s'élève au-dessus de ce simple désir animal.
Il porte non pas sur un objet réel, « positif », donné, mais sur un autre désir.
Ainsi,
dans le rapport entre l'homme et la femme, par exemple, le désir n'est humain que si l'un désire non pas simplement le corps, mais le
désir de l'autre, s'il veut posséder ou assimiler le désir pris en tant que désir.
Ce désir amoureux n'est donc pas identifiable au désir de
tout autre chose.
Il est désir d'un désir, volonté d'un partage qui permet l'épanouissement de deux personnes à travers un projet
commun.
Ce partage apparaît alors comme un progrès.
Conclusion :
-Quel que soit le domaine, le désir est la condition indispensable pour qu'il y ait progrès.
-Le désir se distingue de la volonté comme la rêverie se distingue de l'action.
-Le désir n'est un véritable progrès que lorsqu'il est désir d'un autre désir.
Le désir est facteur de progrès dans la mesure où il nous permet de satisfaire dans la durée d'autres personnes que nous-mêmes..
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