Le cynisme n'est-il que provocation et mépris des usages ?
Extrait du document
«
Le cynisme était une école philosophique de la Grèce antique , fondée par Antisthène, et connue principalement pour les
frasques de son disciple le plus célèbre, Diogène de Sinope.
Cette école tente un renversement des valeurs, et enseigne
désinvolture et humilité aux grands et aux puissants de la Grèce antique.
Radicalement anticonformistes, les Cyniques, et
à leur tête Diogène, proposent une autre vision de la philosophie et de la vie en général, subversive et jubilatoire.
Mais
est-ce le tout du cynisme, ne vise-t-il pas un but plus haut, n'est-il qu'une théorisation de la provocation ou vise-t-il le
bonheur ou la sagesse ?
1) Ce qu'est le cynisme.
Le cynique, peu ou prou et à des titres divers, affecte de braver les convenances ; selon les figures historiques ou
quotidiennes auxquelles on se réfère, il fera montre de l'austérité ou de l'impudeur la plus excessive, de l'impudence la
plus retorse ou sentencieuse.
On se rappelle Diogène de Sinope (413-327 av.
J.-C.), le plus populaire des cyniques, ses
bons mots, ses excentricités ; homme-chien au seuil de son tonneau, hargneux et affichant son mépris pour Alexandre
maître dieu.
Multiplicité d'images dont le cynisme à travers les temps conserve les traits les plus distinctifs, les améliorant
au gré des situations qu'il provoque et qui le provoquent : insolence persuasive qui plus qu'elle ne convainc suggère par
des formules quasi publicitaires.
Argumente-t-il, le cynique va jusqu'à se substituer à son adversaire, assumant les deux
rôles tour à tour en une diatribe subversive et endiablée ; cette intolérance railleuse exploite au maximum le mordant
d'une situation, dévoilant à tombeau ouvert la dérision, le caractère conventionnel des critères par rapport auxquels se
déterminent les jugements de valeur qui, dès lors, apparaissent comme autant d'opinions désossées, de préjugés, de
conformismes apeurés et d'intérêts dévoyés.
Du mépris des vices puis des convenances au mépris des bienséances, des
mœurs, puis des hommes qu'il déboute massivement de leur appel en justice et en grâce, le cynisme se propose avant
tout d'ouvrir des brèches sur le naturel, par une action toujours violente, ne serait-elle que verbale, et apparemment
gratuite.
Mode d'action éminemment problématique aux yeux des morales de la raison, du sentiment, et des morales du
plaisir et de l'intérêt mêmes.
Mode d'action qui ne se réfère, semble-t-il, qu'à lui-même et ne trouve de justification que
dans le style de vie qu'il engendre et implique.
2) Le cynique n'est-il qu'excentrique ?
Il y a dans la rage cynique à discréditer la lettre, à se faire connaître, voire reconnaître, pour qui l'on est ; un optimisme
inavoué qui peut paraître parfois opportuniste.
Il y un pragmatisme inconséquent puisque cet autre dont le cynique a
besoin et dont il abuse comme pour s'en mieux défendre, cet autre il ne désespère pas le toucher (s'en servir ?) et le
transformer comme le ferait une grâce.
C'est que le cynique travaille à pervertir les apparences pour les dissocier de la
réalité essentielle ou exemplaire nature.
Aussi bien, les apparences ne se jouent-elles plus de lui mais contre lui ; car il
n'hésite pas, pour mieux dénoncer la vie civique comme mal nécessaire et le rationalisme comme étant de mauvaise foi et
mystification de la saine raison et du bon sens, à tirer profit des avantages de la cité et des privilèges de la raison
éristique, retournant contre elles ces armes ; malversation à la manière du cheval de Troie.
Usage métaphorique de soi au
bénéfice d'autrui, le cynisme provoque autrui à se déjuger pour convertir et laisse à découvrir la sagesse et le bonheur
véritables dans l'amélioration des rapports de soi à soi d'abord.
Le cynisme fait image : d'où cette ambiguïté du cynique dont l'excentricité est doublement significative.
Excentrique, il l'est
par son goût de la mise en scène, lieu de démarcation où s'installent sa singularité et sa différence.
Nature
incomparablement singulière, le cynique jette un soupçon définitif sur tous les moyens ordinaires d'entrer en
communication ; moyens rationnels, la science étant vaine et sa vérité artificieuse ; moyens légaux ou coutumiers, car la
vie sociale et l'organisation politique ne sont que désordre au regard de la vie naturelle.
N'est-ce pas cet homme-nature
que cherche Diogène, au plein midi, brandissant une lanterne sourde ? Excentrique, le cynique l'est donc aussi en ce qu'il
donne l'impression d'être un homme déjeté, un peu fol ; mis à nu mais plus encore mis en public, son for déploie les
incertitudes et les vergognes du spectateur ainsi pris au piège, parce que le cynisme se déploie à travers le regard
d'autrui.
3) Le but de la philosophie cynique.
L'assurance du cynique pousse des racines profondes dans l'ascèse dans la découverte et apprentissage de soi.
Celle-ci
donne sens à son prosélytisme et efficacité à son opportunisme, et le garantit de la duperie des conventions ; que celles-ci
s'installent dans le rapport social ou dans la société que l'on forme avec soi-même.
Il est ainsi avéré que la première des
règles de vie est la prudence.
Mais cette attitude extravertie trouve son corollaire dans l'implicite reconnaissance de la
pure altérité ou liberté d'autrui.
C'est pourquoi le cynique fait image et modèle : la vertu réside dans les actes que l'on
pose et par lesquels on est susceptible d'enseigner en édifiant ; le chemin vers la vérité est d'occasions.
Il n'y a pas de
science possible des conduites libres ; mais un rapport de maître à disciple où apprendre équivaut à s'exercer à l'imitation
des maîtres artisans qui détiennent les tours de main et dont le secret est de persévérance.
C'est un enseignement
critique et tout négatif sur le plan de la transmission d'un savoir, car ce rapport est d'abord vécu, et vécu dramatiquement,
comme l'est l'autonomie de tout sujet en devenir : nature, dont la vertu éducative réside pour l'essentiel dans la
subversive exemplarité.
Le cynique marque par ses excès, qu'ils soient d'ascèse orgueilleuse, de franc-parler ou de
libertinage, sont toujours polémiques ; reposoir ostentatoire et privilégié de la méditation et de la contemplation actives et
militantes.
À chacun d'atteindre le bien : il suffit d'imaginer pour vouloir et, pour imaginer de savoir vivre avec soi.
Il
échafaude une confiance fondée sur l'effort ferme et constant, ordonné au daimôn personnel ; et sur la tempérance de la
raison liée au naturel et à l'expérience.
Conclusion.
L'école cynique prône donc la vertu et la sagesse, qualités qu'on ne peut atteindre que par la liberté.
Cette liberté, étape
nécessaire à un état vertueux et non finalité en soi, se veut radicale face aux conventions communément admises, dans
un souci constant de se rapprocher de la nature.
On ne peut donc réduire le cynisme à la provocation et au mépris des
usages, cette provocation et ce mépris ne sont qu'une étape vers un but plus noble qui est la sagesse..
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