Le corps, la prison de l'âme ?
Extrait du document
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Analyse du sujet :
Il s'agit d'interroger le couple conceptuel matière /esprit appliqué à l'homme : le corps, matériel, et donc étendu et soumis à la
génération et à la corruption, siège de la sensibilité et des passions, est-il, pour l'âme (principe de la pensée, non-étendue,
immatérielle) comme une prison, c'est-à-dire un lieu de contrainte : le corps prive-t-il l'âme de liberté ?
Il convient de souligner que cette conception « carcérale » du corps trouve sa première expression chez Platon : l'âme souffre
d'être incarnée car sa nature est « divine ».
Elle se retrouve aussi dans la pensée chrétienne (le concept de péché originel pose
que le corps est déchéance, qu'il est punition en ce qu'il nous attache à la sensibilité qui nous détourne de Dieu).
La question posée a pour enjeux :
Métaphysique : l'immortalité de l'âme
Epistémologique : le corps est-il responsables de nos erreurs ?
Ethique : dois-je, pour prétendre au bonheur, me détacher de tout désir sensible ?
Problématique : On admet volontiers que l'âme et le corps entretiennent une relation conflictuelle : le corps, siège des passions, des
désirs, tend à détourner l'âme de la connaissance.
Ainsi l'étude est souvent pénible parce qu'elle exclut toute forme de plaisir sensible.
Mais doit-on pour autant affirmer que le corps est la prison de l'âme de sorte que si l'âme en était détachée, elle serait plus libre ? Que
serions-nous sans corps ? L'âme et le corps entretiennent-ils exclusivement des rapports de force ou bien peuvent-ils co-exister
pacifiquement ?
1-
LE CORPS EST LA PRISON DE L' ÂME
Pour Platon, dans le Phèdre, l'âme a pour essence de se mouvoir elle-même et non d'être mue.
Or le corps, siège des passions,
représente ce par quoi l'âme est non-conforme à son essence : l'âme soumise aux passions est aussi soumise à une causalité
extérieure à elle qui fait qu'elle perd l'autonomie de son mouvement.
Ainsi, Socrate déclare dans le Phédon : « nous n'approcherons de la vérité qu'autant que nous nous éloignerons du corps, que
nous renoncerons à tout commerce avec lui ».
En effet, le corps « nous oppose mille obstacles par la nécessité où nous sommes de
l'entretenir, et avec cela les maladies qui surviennent troublent nos recherches […], il nous remplit d'amours, de désirs, de craintes, de
mille imaginations et de toutes sortes de sottises » ; en un mot, « le corps ne nous mène jamais à la sagesse ».
Or, s'il n'y a de bonheur possible que par la connaissance (bonheur n'est pas le plaisir sensible, mais le savoir du Bien), alors le
corps nous empêche d'être heureux.
Telle est la thèse développée par le christianisme.
La mort marque la séparation de l'âme d'avec
le corps : elle est délivrance.
En effet, le corps est une déchéance, une corruption conséquence du péché.
Transition :
Pour Platon, l'âme et le corps entretiennent donc une relation conflictuelle d'où l'âme sort toujours perdante pour autant
qu'elle ne pourra être parfaitement conforme à son essence, qu'une fois absolument séparée du corps.
Toutefois, l'expérience de la volonté ne tend-elle pas à réfuter cette thèse : vouloir, n'est-ce pas exercer une action sur
le corps et ainsi le maîtriser ?
2L'ÂME N' EST PAS CAPTIVE DU CORPS : ÂME ET CORPS SONT ÉGALEMENT CAPABLES D' ACTION ET DE PASSION
a)
L'expérience de la volonté
Pour Descartes, dans le Traité des passions, l'âme est capable d'agir sur le corps tout autant que de pâtir : la volonté est
précisément le mouvement de l'âme dirigeant le corps.
Ainsi, pour Descartes, l'âme est absolument libre : je peux résister à mes
désirs tout comme je peux refuser d'admettre que 2 + 2 = 4.
ainsi, à l'article 41, il écrit : « la volonté est tellement libre qu'elle ne peut
jamais être contrainte ».
En effet, qu'est-ce vouloir si ce n'est diriger fermement son corps ? On voit donc que le corps n'est pas une
prison où l'âme serait soumise à une loi qu'elle n'a pas voulue.
b)
le rôle positif du corps
De plus, le corps, via les passions dispose l'âme à vouloir certaines choses (la dispose sans la contraindre).
Ainsi la mécanique
du corps est utile à la vie.
L'échauffement et l'accélération des battements cardiaque face au dangers peuvent disposer l'âme à dicter
au corps de prendre la fuite.
De même, la sécheresse du gosier dispose l'âme à boire mais ne lui dicte rien : le corps ne veut pas, il
signale.
L'âme a toujours la possibilité de « changer ses désirs » (en se retenant de fuir face au danger ou en ne buvant pas).
Transition :
Toutefois, si l'expérience de la volonté tend à attester que l'âme n'est pas esclave du corps, il reste à expliquer
comment elle peut agir sur lui.
En effet, Descartes admet que l'âme et le corps sont deux substances hétérogènes.
Du coup, comment l'âme peut-elle
agir sur le corps et inversement ? Comment expliquer leur interaction de laquelle dépend la possibilité du vouloir ?
3-
L'ÂME ET LE CORPS SONT LES DEUX ATTRIBUTS D' UNE MÊME SUBSTANCE
Pour Spinoza, la distinction âme corps est fonction du point de vue que l'on a sur l'être.
En effet, la pensée et l'étendue ne sont que
deux des infinis attributs de la substance unique qu'est la nature.
L'âme et le corps ont un même fondement et leur différence ne vient que de ce que l'on conçoit un même individu « tantôt
sous l'attribut de la pensée, tantôt l'attribut de l'étendue ».
Du coup, on a certes une hétérogénéité mais une hétérogénéité qui
n'interdit pas un monisme ontologique : âme et corps sont également deux manifestations de la substance divine mais, ils sont
aussi distincts puisque l'appartenance à la substance divine est leur seul dénominateur commun.
Conséquence : le parallélisme des attributs ou la thèse selon laquelle pensée et étendue interagissent parallèlement ou réciproquement
et non causalement ; de ce fait, il convient d'abandonner toute détermination des rapports âme et corps sous le modèle de l'action et
de la passion.
Finalement, savoir si le corps est la prison de l'âme, s'il lui est nuisible et si elle se porterait mieux en ne lui étant pas jointe, est
une question qui n'a de sens que dans un cadre dualiste qui méconnaît leur fond commun essentiel..
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