Le contrat social permet-il à l'homme d'être libre en société ?
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«
Dans le régime du contrat, l'individu aliène quelque chose de lui-même ; il s'engage à respecter les termes du contrat et renonce par là
même à une liberté absolue.
Sauf à rompre le contrat, l'individu est tenu de tempérer sa volonté particulière.
Il semble donc paradoxal de
demander si le contrat social permet à l'homme d'être libre en société ; en contractant le pacte social, thématisé par Rousseau, l'individu
aliène sa volonté particulière puisqu'il se soumet à la loi de la volonté générale.
Dans cette opération, il gagne la protection du corps
social mais paraît perdre sa liberté.
Or, nous verrons que la résolution du problème se joue dans la détermination philosophico-politique
du concept de liberté.
I- Le contrat social implique l'aliénation de la liberté.
Dans le second discours, Rousseau décrivait l'état de nature, hypothèse historique, fiction
pédagogique, permettant de réfléchir sur la constitution des premières sociétés humaines et leur
cheminement vers le modèle social du XVIIIe siècle.
Dans l'état de nature, les hommes vivent d'abord
isolés, leurs rencontres sont contingentes, les rapports humains ne sont encore que le fruit du hasard.
Petit à petit les individus se regroupent autour du noyau familial, puis de petits clans se constituent,
les premières conventions apparaissent.
Rousseau souligne le caractère économique de ces premières associations ; dans la mise en
commun des forces de chacun, tout le monde trouve son compte, en effet chaque individu bénéficie
de ce que les autres savent faire de mieux, en contrepartie, l'individu se rend utile à la microsociété
en accomplissant les tâches pour lesquelles il est jugé le plus compétent.
Mais le contrat social, décrit
quant à lui dans Du contrat social, représente une sophistication de ce genre d'association.
L'association n'est en effet plus seulement de circonstance, elle devient formalisée, réglée par un
contrat, c'est-à-dire qu'elle n'est plus spontanée mais organisée dans le temps.
Or, ce contrat consiste, pour chacun des individus, à se soumettre à la loi de la volonté
générale, c'est-à-dire à reconnaître comme seule légitime la voix de la majorité.
En contrepartie de ce
renoncement à sa volonté particulière, qu'il accepte donc de taire lorsqu'elle est mise en minorité, le
citoyen bénéficie de la protection du corps social et en général de la vie en société.
Le contrat est donc
fondé sur une réciprocité : la volonté générale prime sur l'ensemble des désirs singuliers ; le corps
social trouve donc son équilibre et sa cohérence dans la raison partagée des individus qui les oblige à
privilégier l'intérêt général.
II- La liberté n'est pas la licence.
Mais il faut s'attacher à mieux déterminer à quelle liberté l'individu renonce lorsqu'il contracte le pacte social.
C'est une liberté
primaire, dont il jouissait dans l'état de nature, qui est sacrifiée sur l'autel du contrat social.
La liberté dont il s'agit est aussi appelée
licence, elle correspond à l'accord entre le désir et l'agir de l'individu.
C'est une liberté égoïste, tournée vers la seule satisfaction des
besoins.
Dans la licence, il n'y a ni hésitation, ni prise en compte d'une altérité, l'individu fait simplement ce que bon lui semble, du
moment qu'il en est capable.
En exerçant sa licence, l'individu suit les exigences de sa seule volition, mais risque à tout moment de s'exclure de la vie de la
société.
En effet, la cohabitation avec les hommes ne saurait se concilier avec l'exercice tout puissant de la volonté particulière de chacun.
La vie sociale implique une dimension d'échange, de compromis, de temporisation des désirs, de frustration et de renoncement.
Vouloir
conjuguer existence sociale et licence c'est en idéal se mettre hors la loi et c'est ce qui peut, en fait, avoir lieu.
L'individu qui ne sait pas
respecter les lois est celui qui privilégie son intérêt particulier au détriment de celui du corps social.
Il faut donc distinguer la liberté réelle de la licence ; la liberté, comme Kant la comprend, notamment à partir de sa lecture de
Rousseau, est, chez l'homme, la capacité de s'auto-determiner, c'est-à-dire de se donner à soi même sa propre loi.
Encore faut-il, pour
que cette liberté soit réelle, que la loi n'exprime aucune de mes aspirations pathologiques, qui correspondent simplement chez Kant à
mes désirs.
La loi que je m'impose (l'impératif catégorique dans la philosophie kantienne) doit refléter ma nature raisonnable
(nouménale), autrement dit ma capacité à m'abstraire de l'existence sensible et à vivre de manière désintéressée.
III- Le contrat social permet à l'homme d'être libre en société.
L'autonomie de la volonté, thématisé par Kant à partir de Rousseau, correspond donc à l'exercice de la liberté anthropologique.
Or,
précisément il semble que le contrat social serve à la garantir sur le plan de l'existence sociale et politique.
En effet, nous avons vu que
c'est à la licence que je renonce, ma liberté je la réalise dès lors que je reconnais la validité du contrat social, grâce à celui-ci je me libère
d'une existence basée sur l'assouvissement égoïste et anarchique des désirs immédiats.
En contractant avec le reste de la société je
gagne mon autonomie par rapport à la vie quasi animale qui, jusqu'à présent était la mienne.
L'homme se réalise donc comme être de raison en aliénant sa licence au profit d'une liberté anthropologique, correspondant à la
faculté de se déterminer selon des motifs raisonnables, en l'occurrence en fonction de la voix émise par la volonté générale.
L'homme qui
resterait prisonnier de sa volonté singulière aliénait en fait son existence sociale à l'expression de désirs égoïstes.
Etre libre en société
cela ne signifie pas faire ce que l'on veut au sein de la société, jouir de privilèges ou bénéficier de quelque impunité, mais cela renvoie à
la capacité de vivre avec autrui sans se sentir prisonnier de la frustration de désirs égoïstes empêchés par la loi.
Cet idéal philosophique d'une liberté de raison est incarné dans la célèbre phrase de Rousseau selon laquelle « on le forcera
d'être libre », dite à propos du citoyen qui refuse de se plier à l'intérêt général.
Le citoyen qui persiste à aller contre la majorité en mettant
en danger l'équilibre de la collectivité sera donc obligé, par la force, de se plier, sauf à risquer d'être puni, d'être exclu par exemple de la
société.
Le paradoxe n'est qu'apparent, puisque, encore une fois, il faut distinguer la liberté de la volition, la liberté rationnelle dont il
s'agit ici ne s'accorde pas nécessairement toujours avec notre volonté, elle est davantage un principe qu'il nous faut observer.
Conclusion :
Nous avons donc vu que contrairement à ce qu'une lecture trop hâtive laisserait croire, le contrat social n'est pas corrélatif de
l'aliénation de la liberté de chacun.
Bien plutôt il est le garant d'une libération, envers les motivations sensibles et désordonnées qui
gouvernent notre existence naturelle.
La liberté réelle correspond à cette capacité de détachement par rapport aux besoins égoïstes, elle
est de nature raisonnable et permet la vie en société.
En effet, ce n'est que lorsque je suis libre de favoriser l'intérêt général et que je ne
suis plus prisonnier de mes intérêts particuliers, que j'existe pleinement en tant que citoyen..
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