Le concept de nation et de la nationalité ?
Extrait du document
«
Tandis que l'État désigne l'organisation d'une communauté, l'idée de nation exprime cette communauté elle-même
dont l'unité est vécue, reconnue par les consciences, en dehors même de l'ordre que l'État y fait régner.
Le
patriotisme est le sentiment de la valeur de cette communauté.
Quel peut être le fondement de cette unité sousjacente?
Fichte, dans son Discours à la Nation Allemande (1813), déclare que c'est la communauté de race qui est le
fondement de la nation.
En réalité, une même nation enveloppe des groupes ethniques bien divers (un Français de
Corse ressemble physiquement beaucoup plus à un Italien qu'à un Alsacien).
Au cours de l'histoire le brassage des
populations fut tel qu'il est d'ailleurs bien difficile de distinguer avec précision des
groupes ethniques autres que les grandes distinctions des blancs, des noirs et des jaunes.
D'autres invoquent la
communauté du sol.
La patrie c'est étymologiquement la patria terra, la terre des pères (Vaterland, Fatherland), cet
endroit de la terre où nous sommes nés (nation dérive de natus, né), auquel de multiples liens nous attachent.
Mais
les Arabes, par exemple, avaient un sentiment très vif de leur communauté et formaient en quelque sorte déjà une
nation au temps où ils étaient nomades.
Un facteur essentiel de l'unité nationale est la communauté de langue, car
c'est la langue qui véhicule le patrimoine culturel de la nation ; pourtant ce facteur n'est pas décisif (l'Angleterre et
les U.
S.
A.
forment deux nations et parlent la même langue; la Suisse, si jalouse de son unité nationale, parle
quatre langues).
Dans l'antiquité le fondement de l'unité nationale était souvent la religion ; chaque cité avait ses
dieux, on combattait pour ses dieux en même temps que pour son foyer (pro aris et focis).
Mais cela n'est déjà plus
vrai avec l'installation du christianisme, religion de vocation universaliste qui transcende les nations; cela n'est plus
vrai du tout à notre époque, du moins dans les États laïques où chaque citoyen est autorisé à pratiquer la religion
de son choix.
Aucun des facteurs précités n'est suffisant pour créer une nation.
La nation repose avant tout sur la volonté de ses
membres, sur leur conscience et leur désir de former une nation.
C'est ce qu'a dit Renan dans une page célèbre :
«Une nation est une âme, un principe spirituel.
Deux choses qui à vrai dire n'en font qu'une constituent cette âme...
L'une est dans le passé, l'autre est dans le présent.
L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs,
l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on
a reçu indivis.
Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent, avoir fait de
grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour faire un peuple.»
Remarquons d'ailleurs que c'est le consentement actuel, que c'est le projet présent de vivre ensemble qui est
fondamental.
C'est à partir de ce projet que l'évocation du passé commun prend sa signification.
On a même pu dire
que les peuples chargés d'histoire « inventent leur histoire plus qu'ils ne la connaissent ».
Après la guerre de 1870,
les historiens français ont eu tendance à mettre en relief dans le passé national tous les conflits avec les Allemands.
Comme les souvenirs des individus, l'histoire des peuples, telle qu'ils en prennent conscience, est reconstruite à
partir des valeurs et des projets du présent.
La patrie est une valeur certaine.
Mais il ne faut pas sacrifier à cette valeur d'autres valeurs aussi précieuses.
Méfions-nous du nationalisme, caricature du vrai patriotisme.
N'exigeons pas au nom du patriotisme que notre patrie
empiète injustement sur les autres nations.
Il y a des valeurs de justice, de vérité qui sont des valeurs universelles
et qui transcendent toutes les patries.
Lorsque l'innocence de Dreyfus, condamné pour trahison par la justice
militaire, apparut clairement, beaucoup de nationalistes tentèrent de s'opposer à la révision du procès.
Il ne fallait
pas d'après eux qu'un tribunal d'officiers, expression de la patrie française, pût être convaincu d'erreur judiciaire.
«Une erreur lorsqu'elle est française n'est plus une erreur!» Une telle attitude représente un fanatisme qui n'a rien de
commun avec le patriotisme véritable.
Il ne faut jamais oublier que la nation n'est pas un absolu.
Faire un absolu de
cette société close serait légitimer toute guerre.
Sans doute les nations ne se sont-elles posées qu'en s'opposant,
ont-elles pris conscience d'elles-mêmes dans leurs conflits avec d'autres groupes.
Comme le dit Bergson : «La
cohésion sociale est due en grande partie à la nécessité pour une société de se défendre contre d'autres...
C'est
d'abord contre tous les autres hommes qu'on aime les hommes avec lesquels on vit.» Le Reich allemand a pris
conscience de son unité en luttant contre les armées napoléoniennes.
Le sentiment de l'unité italienne s'est
cristallisé dans les conflits avec l'Autriche et la souveraineté temporelle du pape.
Les États-unis ont pris conscience
d'eux-mêmes et ont surgi comme nation dans la guerre de l'Indépendance contre l'Angleterre.
Mais le vrai patriotisme parvient à liquider ces complexes originaires et à se concevoir dans le cadre d'un
internationalisme fécond.
C'est la coopération entre les patries multiples qui met en valeur ce qu'il y a en chacune
de précieux et d'irremplaçable.
A la formule de Barrès, «La terre et les morts », qui suggère l'idée d'un égoïsme
national, fermé sur lui-même, ruminant ses gloires et ses deuils, il convient de préférer celle de Claudel, «La mer et
les vivants», qui est tournée vers le présent et l'avenir et qui met au premier plan les relations et les échanges
entre les pays, entre les continents.
On a souvent parlé de la crise de la natalité française, qui paraissait extrêmement grave à la veille de la guerre de
1939-1945.
Le nombre de naissances pour 1 000 habitants qui était en France de 30 en 1800 était tombé à 17
entre 1930 et 1940.
Depuis 1935 on enregistrait même plus de décès que de naissances.
L'appel inévitable à la
main-d'oeuvre étrangère, la charge des vieillards improductifs, le danger de la dépopulation en face des menaces
d'agression de pays voisins, étaient les conséquences manifestes et périlleuses de cette dénatalité.
D'après
beaucoup d'auteurs la dénatalité avait avant tout des causes morales.
Le développement de l'individualisme, de
l'égoïsme, du matérialisme, le recul des croyances religieuses détournaient les Français des lourds sacrifices qui sont
le lot ordinaire des familles nombreuses.
Mais cette interprétation moralisante nous semble trop étroite.
En fait la restriction des naissances a été et
demeure encore un phénomène européen, et non pas exclusivement français.
Ce phénomène représente une
réaction très générale des populations à la «mutation démographique»' qui s'est produite à la fin du XVIIIe siècle.
Jusque-là la population européenne augmentait très lentement.
Mais à partir du XIXe siècle l'amélioration générale
des conditions économiques, les progrès de l'hygiène et de la médecine déterminent un fléchissement brutal de la.
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