. Le bien commun existe-t-il ?
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«
Le bien commun existe-t-il ?
[1.
Qu'est-ce que le bien commun?]
Il n'y a peut-être pas de critique plus radicale de la démocratie que celle qui dénonce la notion de «bien
commun» comme un concept vide de sens.
Essayons d'y faire face.
En un premier sens le bien commun
(ou intérêt général) serait un intérêt commun aux différents membres de l'association.
Corrélativement, la
volonté générale serait une volonté unanime.
Ce cas de figure n'est peut-être pas aussi irréaliste qu'il le
paraît.
Comme le note Rousseau, aucune société ne pourrait en effet exister si les individus n'y étaient
unis par un minimum d'intérêts en commun.
Ainsi tout un chacun peut comprendre qu'il est de son intérêt
de proscrire le meurtre ou le vol.
On objectera, il est vrai, que cette règle de l'unanimité n'est pas
applicable en dehors de principes très généraux.
Dans la plupart des cas, la volonté générale ne sera plus
qu'une volonté majoritaire (la majorité pouvant varier suivant l'importance des questions débattues :
majorité relative, majorité des deux tiers...).
Cependant, si chaque individu exprime par son vote son
intérêt personnel, le résultat du scrutin ne sera que l'expression de l'intérêt du groupe le plus nombreux.
De quel droit l'appellerait-on «intérêt général»? À ce compte-là, la démocratie ne serait qu'une dictature
de la majorité.
On estimera peut être que, les extrêmes s'équilibrant, la position majoritaire sera une
position médiane, approchant au mieux l'intérêt général.
Pour soutenir une telle affirmation, il faudrait
cependant déterminer avec plus de précision ce que l'on entend par «intérêt général » car il y aurait
évidemment un cercle vicieux à définir l'intérêt général comme le résultat d'un scrutin majoritaire et à
prétendre ensuite que ce scrutin est juste en ce qu'il donne une bonne approximation de l'intérêt général!
Si, à présent, chacun est invité à s'exprimer, non sur son intérêt particulier, mais sur ce qu'il estime être
l'intérêt général, on aboutit de nouveau à une contradiction : on ne peut définir l'intérêt général comme le
résultat d'un vote où chacun se prononce sur...
l'intérêt général! Une contradiction ou un effet pervers :
chacun voterait en cherchant à anticiper par son vote le résultat du scrutin (on peut penser ici à la
manière dont les sondages rétroagissent sur les intentions des électeurs).
Bref, s'il est impossible de
définir l'intérêt général comme l'opinion ou l'intérêt de la majorité, il nous faut chercher ailleurs la solution.
On pourra définir l'intérêt général comme un point d'équilibre entre les intérêts particuliers, celui qui
satisfait au mieux les aspirations contradictoires de chacun.
Comment déterminer cependant ce
mystérieux centre de gravité ? Soit une position de synthèse est jugée acceptable par tous; nous
retombons sur l'unanimité et ses limites (elle est très rare).
Soit on estime que la seule manière de
déterminer ce point est le vote; nous retrouvons le problème de la circularité examiné plus haut: on ne
peut voter en considérant l'intérêt général puisque l'intérêt général ne se connaît qu'à partir du vote.
Soit, enfin, ce point est déterminable indépendamment de la procédure électorale.
C'est sur cette
détermination que s'appuie, dans son vote, chaque électeur; c'est à partir d'elle que l'on peut dire si
l'opinion majoritaire est ou non une bonne approximation de l'intérêt général.
Le problème est que cette
définition quasi-mathématique de l'intérêt général (compris comme moyenne pondérée ou centre de
gravité des intérêts particuliers) est inapplicable pour la simple raison qu'un intérêt ne se calcule pas.
On
ne voit pas quelle règle pourrait servir à l'établissement de ce point mystérieux.
Veut-on, par exemple, en
s'inspirant des théories des économistes marginalistes, définir l'équilibre optimal comme le point tel que
toute modification léserait un des agents ? À ce compte-là, une très inégale répartition des richesses
serait une bonne approximation du bien commun puisqu'on ne pourrait donner aux pauvres sans prendre
aux riches! De plus, il n'est pas sûr que cette définition de l'intérêt général soit convenable.
Si nous
supposons un État où il y a très peu de pauvres pour beaucoup de riches, la moyenne des intérêts
particuliers conduit à minimiser l'intérêt de la minorité pauvre.
Or, le bien commun ne prescrit-il pas plutôt
une certaine égalité des conditions ?
Au total donc, le bien commun reste très vague en dehors du processus électoral qui peut seul le
préciser.
Toutefois, en identifiant purement et simplement intérêt général et résultat d'un vote, on
invaliderait toute la critique de la démocratie développée en seconde partie: le peuple aurait toujours
raison puisqu'on appellerait vérité l'expression de sa volonté !
[2.
Le bien commun est une illusion : la critique marxiste de la démocratie bourgeoise.]
On peut pousser plus loin la critique de la notion de bien commun.
Non seulement il serait impossible de
déterminer l'intérêt général mais un tel point d'équilibre n'existerait pas.
C'est ainsi que pour Marx, la
société est profondément fracturée.
À chaque système économique correspond une division de la société
en classes aux intérêts opposés.
En particulier, le capitalisme est marqué par l'affrontement entre la
bourgeoisie, propriétaire des moyens de production, et le prolétariat qui ne subsiste qu'en vendant sa
force de travail (cf.
Le Manifeste du parti communiste).
La notion de bien commun brandie par les
démocraties bourgeoises n'est alors que le voile idéologique destiné à cacher les intérêts de la classe
dominante.
L'État démocratique est, comme tout État, l'expression d'un antagonisme de classes.
L'Etat
remplit en effet une double fonction : il assure un minimum de cohésion à une société menacée
d'éclatement par la «lutte des classes» mais réalise cette unité au profit de la classe dominante (cf.
Engels, L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État).
Cela vaut aussi pour l'État démocratique
car, si la bourgeoisie n'est pas nécessairement la classe la plus nombreuse, elle est idéologiquement et
politiquement la plus influente parce qu'elle détient les leviers de l'économie.
Il est vrai toutefois que la.
»
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