Le besoin de justice n'exprime-t-il que la jalousie des déshérités ?
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«
Il faut commencer ici par caractériser le besoin de justice : demandez-vous d'où vient-il ? qui le ressent et comment
se manifeste-t-il ? La justice désigne certes une vertu (elle caractérise alors une manière d'agir), mais elle est avant
tout une valeur, un critère de jugement : on dit d'une situation ou d'une action qu'elle est injuste si elle nuit ou si
elle trahit le principe de l'égalité.
Comme vous l'avez remarqué, le besoin de justice est nécessairement un manque :
ce sont donc ceux qui subissent l'injustice qui le ressentent d'abord.
Montrez ainsi qu'en effet ce besoin revient pour
ceux dont la position sociale est la plus faible (les pauvres et les déshérités) à envier la position de ceux qui les
dominent.
Ne s'agit-il pour autant que d'une jalousie ? Montrez que le besoin de justice ne relève pas simplement du
seul intérêt de ceux qui subissent l'injustice : n'est-ce pas nécessairement la situation, c'est-à-dire l'ordre social
tout entier qui est injuste ? Demandez-vous en particulier si on ne doit pas alors fonder la justice non pas comme un
besoin mais plutôt comme une exigence , celle-ci relèverait alors du bien commun et devrait être défendue par
n'importe quel citoyen.
[Les déshérités réclament la justice par jalousie envers les mieux nantis.
La justice n'a pas à être
réclamée.
Elle s'applique naturellement aux meilleurs.
La nature nous montre le triomphe des forts sur
les faibles.]
Les pauvres se plaignent de ne pas être riches et les faibles de ne pas être forts
Le pauvre ou le faible n'est pas plus vertueux ou altruiste que le riche ou le fort.
Le pauvre est un riche dans
l'âme.
De même que l'homme juste est injuste dans l'âme.
La seule justice à laquelle il aspire est celle qui
devrait faire de lui un riche ou un puissant.
S'il le devient, il sera le premier à profiter d'une situation
nécessairement juste parce qu'elle lui est favorable.
Aussi, le pauvre et le riche ne réclament la justice que
parce qu'elle leur permettra d'assouvir leur soif de jalousie et de vengeance.
Que l'on songe ici à la curieuse
histoire de Gygès le lydien...
Dans la République, II, Platon relate un mythe qui illustre l'idée qu"'on ne
pratique la justice que malgré soi et par impuissance de commettre
l'injustice.
Gygès était berger.
Lors d'un tremblement de terre accompagné
d'un orage, la terre se fendit pour laisser apparaître une crevasse.
Il y
descendit et trouva un cheval d'airain, creux à l'intérieur, qui recélait le
cadavre d'un géant.
Au doigt de ce cadavre était une bague en or que
Gygès déroba pour la passer à son doigt.
Puis il remonta et assista au soir à
une assemblée de bergers qui faisait au roi un rapport sur l'état des
troupeaux, et machinalement tourna la bague autour de son doigt.
Lorsque
le chaton de celle-ci était à l'intérieur de sa main, il devenait invisible.
S'il le
retournait à l'extérieur, il redevenait visible.
Conscient de son pouvoir, il
s'introduisit dans le palais du roi, séduisit la reine, tua le roi, et s'empara du
royaume.
Tout homme doté d'un tel pouvoir miraculeux, qu'il soit d'un
naturel juste ou injuste, n'aura pas le tempérament assez fort pour résister
à la tentation d'en user, pour voler le bien d'autrui, tuer, séduire, "faire
comme un dieu parmi les hommes".
Ce récit montre que nul n'est juste par
choix mais par contrainte, que l'on ne tient pas la justice pour un bien
individuel, et que chaque fois qu'il est possible de commettre l'injustice, on
le fait.
La justice est une notion inventée par les faibles
En règle générale, la loi et la nature se contredisent.
D'un point de vue naturel, le plus grand des maux est de
subir l'injustice et non pas de la commettre.
Pour la loi, il ne faut pas commettre l'injustice.
Les lois sont ainsi
établies par les faibles - et pour eux - en vue de se protéger des débordements de force des plus puissants.
C'est du point de vue des faibles que la loi décrète ce qui est digne d'éloge ou au contraire blâmable.
La
notion d'égalité dans la justice obéit au même principe : la même loi pour tous, en établissant une égalité par
le bas.
Quiconque n'agit pas comme le fait et le veut la multitude est puni par la loi.
Au contraire, la nature.
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