Le beau peut-il être utile ?
Extrait du document
«
Termes du sujet:
UTILE / UTILITÉ (adj.) 1.
— (Sens objectif) Tout ce qui peut servir valablement de moyen en vue d'une fin quelconque.
2.
— (Sens subjectif) Tout ce qui
est apte à satisfaire un besoin, ou à contribuer à un résultat désirable.
3.
— (Sens vulg.) Tout ce qui peut servir au développement écon.
d'une société, au
progrès*, à la vie.
4.
— Utilitaire : a) Qui concerne l'utile ; par ext., qui concerne ou considère seulement la vie pratique*.
b) Qui concerne l'utilitarisme.
5.
— Utilitarisme.
: a) Sens propre, doctrine de BENTHA M et de son école, qui prend pour principe moral, socio.
et pol.
l'utile au sens 1.
b) Par ext., toute
doctrine qui accorde à l'utile une valeur de principe, en part.
en morale.
6.
— Utilité : a) C aractère de ce qui est utile.
b) (Écon.) Importance que le sujet
attribue à un bien disponible en quantité limitée ; cette utilité est supposée diminuer à proportion de l'augmentation des unités du bien qui sont consommées
; par définition, on appelle utilité marginale* l'utilité de la dernière unité de bien disponible ; si le bien satisfait plusieurs besoins, cette utilité est égale à
l'utilité de l'unité de bien affectée à la satisfaction du besoin le moins intense.
Rem.
: le néomarginalisme reconnaît que le sujet, s'il peut apprécier les
différences d'utilité, ne peut, de façon homogène, les exprimer par une quantité ; d'où le remplacement de la notion par celle de préférence, qui suppose
simplement la possibilité d'un ordre.
ÊTRE: Du latin esse, « être ».
1) V erbe : exister, se trouver là.
En logique, copule exprimant la relation qui unit le prédicat au sujet (exemple : l'homme est mortel).
2) Nom : ce qui est,
l'étant.
3) Le fait d'être (par opposition à ce qui est, l'étant).
4) Ce qu'est une chose, son essence (exemple : l'être de l'homme).
5) Avec une majuscule
(l'Être), l'être absolu, l'être parfait, Dieu.
BEAU - BEAUTÉ (adj.
et n.
m.) 1.
— Norme permettant le jugement esthétique ; cf.
valeur.
2.
— Sens concret : objet du jugement esthétique ; ce qui
provoque une émotion esthétique par l'harmonie des formes, l'équilibre des proportions.
3.
— (Par ext.) Ce qui suscite une idée de noblesse, de supériorité
morale (un beau geste).
4.
— Pour KANT, le jugement de goût ne détermine pas son objet en le pensant sous un concept universel, puisqu'il porte toujours
sur un cas particulier ; c'est un jugement réfléchissant dont l'universalité réside dans l'accord des sujets ; c'est pourquoi le beau est défini comme « ce qui
plaît universellement sans concept » ; « la beauté est la forme de la finalité d'un objet en tant qu'elle est perçue en lui sans représentation d'une fin.
»
Analyse :
• Etymologiquement, le terme « beau » renvoie au latin bellus et bonus.
Cette association entre le beau et le bon se retrouve dans des expressions courantes comme « bel et bien ».
Elle est également présente dans la tradition
philosophique.
Socrate qualifie, dans l'Hippias majeur, de « belle » une cuiller de figuier plus apte à tourner la soupe qu'une cuiller d'or.
Dans la Critique de la
faculté de juger, Kant désigne par la notion de beauté adhérente celle qui correspond à une fin bonne.
Un beau cheval de course est celui dont on admire la
fine musculature et l'aptitude à gagner des courses.
Le beau est donc utile au sens où il est une puissance capable de viser une fin bonne.
• Néanmoins deux caractéristiques du beau remettent en cause l'identification du beau au bon : son hétérogénéité et sa singularité.
Devant la diversité des
belles choses, il semble difficile de regrouper tout ce qui est qualifié de « beau » sous le même concept d'utilité.
Peut-on parler d'une utilité identique pour
de beaux couverts ou un beau meuble et une fugue de Bach? Davantage, la vraie beauté rayonne par son originalité et sa singularité.
C ela lui donne le
privilège de capter toute notre attention et parfois d'emporter notre dévotion à tel point que nous sommes prêts à faire de grands sacrifices pour se
l'approprier et d'exiger des autres qu'ils partagent notre enthousiasme.
On reconnaît dans la dévotion sacrificielle et l'ouverture à l'universalité un enjeu
spirituel.
Mais peut-on encore parler « d'utilité » ?
Problématique :
• Pourquoi le beau ne peut-être utile au sens où il permet de satisfaire des intérêts communs ? Mais le beau n'a-t-il pas le privilège de satisfaire les intérêts
supérieurs de l'esprit ? Or ne faut-il pas dépasser le beau canonique en intégrant ce qui lui est opposé pour vraiment réaliser une dimension spirituelle ?
Plan :
1-Le beau ne peut satisfaire nos intérêts communs.
• Si l'on définit l'utile comme le moyen d'atteindre une fin qui satisfait un besoin, il semble s'opposer au beau.
En effet, le beau représenté ne peut devenir
utile tandis que le beau naturel, devenant utile, perd sa beauté.
Il est impossible de savourer les pommes de Cézanne, ni d'utiliser une faux peinte dans un
tableau de Van Gogh.
Des fleurs cueillies dans un champ pour faire des huiles essentielles sont détruites dans le processus de fabrication.
Ici, servir, c'est
enlaidir et même anéantir.
• Pas plus que le besoin, le beau ne semble servir un intérêt moral.
La critique d'Homère faite par Platon dans la République est à ce sujet édifiante.
Pour
Platon, le poète ne doit pas représenter les querelles entre les dieux, leurs passions et leurs mauvaises actions au nom du principe que « Dieu n'est pas la
cause de tout », mais seulement du bien.
Si un tel principe était respecté, toute la mythologie disparaîtrait.
De même, d'après l'interdiction de se faire une
image de Dieu, une grande partie de l'art occidental serait anéantie.
• Qu'en est-il de l'intérêt que l'on porte à la connaissance ? Le beau est-il un moyen pour le satisfaire ? Là encore la réponse est négative.
L'effort
scientifique cherche à représenter objectivement la nature.
Il vise à construire une copie fidèle du réel.
A u contraire, le travail de création manifeste la
subjectivité de l'artiste.
Goethe se moquait de Newton lorsqu'il voulait saisir l'essence de la lumière à travers une fente, dans une pièce obscure.
Heureusement que les scientifiques n'ont pas suivi le goût de Goethe pour les grands espaces.
• Faut-il en conclure comme Théophile Gautier qu' « Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c'est
l'expression de quelque besoin, et ceux de l'homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature.
» ( Préface de Mademoiselle de Maupin ).
Ou le beau est-il pas destiné à une fin supérieure ?
2-Le beau est au service des intérêts de l'âme.
• Dire que le beau n'est pas utile pour satisfaire des intérêts communs, c'est lui attribuer un pouvoir de détachement.
Lorsque nous faisons une expérience
forte de la beauté, nous sommes l'objet d'un ravissement qui nous transporte dans un monde idéal.
Là nous sommes éveillés à une idée de perfection qui
reflète notre propre nature.
C'est une telle expérience que Platon met en scène dans le Phèdre.
Pour Platon, au contact de la beauté, l'âme voit des ailes lui
pousser.
Grâce à elles, elle peut se transporter vers cette patrie céleste, lumineuse et bienheureuse.
Platon souligne que « dans la lumière pure, nous étions
purs ».
• Platon donne une expression philosophique au beau idéal de la Grèce classique.
C e beau est simple, proportionné, sans corruption, ni difformité.
Il est le
propre des dieux de l'Olympe, ces âmes bienheureuses soustraient à tous les maux de ce monde.
C 'est le beau taillé dans la pierre du temple et de la statue
qui l'habite.
• Or, au cours de l'histoire, le beau idéal est devenu académique.
En France, les académies royales de peintures et de sculptures, créees par Louis XIV en
1648, ont énoncé les principes de la production du beau : hiérarchie des genres, supériorité du dessin sur la couleur, imitation des anciens et de la nature
etc....
• Mais la conception idéale et académique du beau préjuge de ce qui est beau et finit par l'enfermer dans une vision étroite.
C'est contraint par de tels
préjugés que Zola juge l'œuvre de C ézanne.
Zola qualifie Cézanne « d'artiste raté ».
Ce jugement est la conséquence de l'idéologie que Zola a de l'art.
Il
doit être une fenêtre transparente sur le réel, ce qui condamne la perspective sans académisme et les contours peu lisses des objets peints par Cézanne.
• Que doit-on conclure de la critique de l'académisme ? Doit-on soutenir la relativité du beau et finalement déclaré comme Duchamp « la mort du beau » ?
Ou ne doit-on pas redéfinir l'intérêt supérieur qu'il prétend servir ?
3-Le beau satisfait notre intérêt spirituel.
• Si l'on identifie le beau à l'inutile, on est conduit à soutenir un relativisme absolu.
C'est ce que le montre le geste de Duchamp qui promeut au rang
« d'œuvre d'art » un urinoir simplement en l'exposant dans un musée.
Par contraposition, la discrimination du beau implique une utilité ou un sens.
• Davantage, on peut soutenir, comme Kandinsky, dans Du Spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier , que des œuvres apparemment dénuées de
sens sont celles qui en ont le plus.
Ce constat résulte de la contradiction entre l'exigence spirituelle et l'habitude du regard.
C e dernier est attaché à ce qui.
»
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