Le Beau et le Sublime
Extrait du document
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Dans la langue commune, le sublime semble désigner le degré extrême ou l'apothéose de la beauté.
Mais, à partir du
XVIIIe siècle, le beau et le sublime s'imposent comme deux notions distinctes et complémentaires.
Leur analyse
constitue le passage obligé de cette nouvelle forme de science qu'est l'esthétique.
De l'objet au sujet
Pour désigner certains états profonds et intenses déclenchés par la contemplation de réalités naturelles ou
artistiques particulières, le terme de «beau» paraît insuffisant, voire inadéquat.
L'idée du beau est en effet toujours
associée à celles d'harmonie, d'équilibre, de proportion.
L'âge classique, qui tente de mettre au point une approche
objective de la beauté, a déjà l'intuition d'une spécificité de la beauté « sublime », notamment à travers la
traduction par Boileau d'un texte grec anonyme du Ier siècle, le Traité du sublime (1674).
Le sublime, qui ne désigne
qu'une forme particulière du style oratoire, devient alors spécifiquement associé au surprenant et à l'extraordinaire
Mais il faut attendre la naissance de l'« esthétique » — du titre d'un livre d'Alexander Baumgarten, Aesthetica
(1750) — pour que la réflexion sur le sublime se développe grâce à un déplacement de perspective menant de l'objet
contemplé vers le sujet contemplatif.
Mesure et démesure
Dans sa Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du beau et du sublime (1756), Burke jette les bases d'une
distinction en s'appuyant sur des considérations psychologiques et physiologiques et en se fondant sur la différence
des sentiments et des sensations éprouvés par le spectateur.
Le plaisir
que procure le beau serait lié à la perception de certaines formes régulières.
Le sublime désignerait une excitation
plus forte, un délice, que nous éprouverions devant la discordance ou devant la dissolution de ces formes.
La
distinction ne cesse plus, alors, de se préciser.
Le beau exprimerait une sensation de détente, un apaisement, une
sorte de joie calme.
Le sublime renverrait au terrible, au démesuré, à ce qui provoque en nous un faisceau
d'impressions oscillant entre ravissement et terreur.
II romprait les frontières de la finitude tout en ne faisant pas
ressentir cette rupture comme une destruction, mais comme une sorte d'exaltation et de libération.
Ainsi, loin
d'exprimer seulement un degré supérieur du beau, le sublime en vient à désigner un sentiment esthétique à part
entière.
Sublime et morale
Avec Kant, la réflexion sur le beau et le sublime atteint sa grandeur philosophique.
La Critique de la faculté de juger
(1790) prolonge l'orientation subjective de l'esthétique, faisant du beau et du sublime non des catégories de l'objet,
mais des caractéristiques du jugement de goût formulé par le sujet.
Kant distingue deux sortes de jugement en matière de goût: l'un portant sur le BEAU et l'autre sur le SUBLIME.
Kant
oppose le sublime au beau comme l'infini au fini.
Est dit sublime ce en comparaison de quoi tout le este nous
apparaît comme petit et insignifiant.
On peut citer pour exemple l'océan déchaîné ou la majestueuse et inaccessible
montagne.
Avec le sublime, nos facultés de connaissance (sensibilité et entendement) sont dépassées et comme
anéanties.
Mais c'est précisément cet anéantissement, cet écrasement de nous-même à la limite du déplaisir qui
nous exalte.
Le beau est défini par Kant comme «ce qui plaît universellement sans concept».
On ne peut en effet, remarque-t-il,
faire du beau un concept, même s'il désigne autre chose qu'une sensation agréable et même si le sujet qui juge une
chose belle se sent fondé à universaliser son jugement et à l'enraciner dans une qualité objective de l'objet.
Le rôle
du beau est en fait de nous révéler un accord spontané entre les facultés de notre esprit, une harmonie entre notre
sensibilité et nos concepts ainsi qu'une certaine disposition d'âme commune à tous les humains nommée sensus
communis.
Le sublime, quant à lui, est lié à la perception de phénomènes terrifiants ou d'oeuvres monumentales.
Il
résulte du conflit que la raison engage avec l'imagination en exigeant d'elle de figurer l'Inconditionné ou l'Infini.
Pour Kant, le jugement sur le sublime nous rattache à l'infinité de la raison et à la supériorité de notre destination
morale.
Le jugement « cela est sublime » diffère du jugement sur le beau en ce qu'ici l'objet, par l'infinité de sa
grandeur (une pyramide par exemple) ou de sa puissance (une tempête), sublime mathématique et sublime
dynamique, se réfléchit dans notre faculté de juger en entraînant un sentiment quasi simultané de peine et de
plaisir.
Peine parce que, à la différence de ce qui se passe dans le jugement sur le beau, l'imagination est ici forcée
d'éprouver ses limites.
Plaisir parce que cette même infinité semble une présentation d'une Idée de la raison,
présentation qui nous rappelle, comme une fulgurance, notre destination morale, notre appartenance simultanée au
monde nouménal de la raison théorique et de la raison pratique, qui veut saisir l'infinité de la nature comme un tout
ou l'absoluité du devoir, capable de dominer les intérêts et les plaisirs.
Il engendre donc un désaccord en l'homme, qui est en même temps positif : l'impossibilité d'une telle figuration
équivaut en effet
à une présentation indirecte ou négative.
Le sublime nous permet donc d'avoir l'intuition de notre destination
d'humain, c'est-à-dire
notre destination morale..
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