Le Beau, est-ce qui ne sert à rien ?
Extrait du document
«
VOCABULAIRE:
BEAU - BEAUTÉ (adj.
et n.
m.) 1.
— Norme permettant le jugement esthétique ; cf.
valeur.
2.
— Sens concret :
objet du jugement esthétique ; ce qui provoque une émotion esthétique par l'harmonie des formes, l'équilibre des
proportions.
3.
— (Par ext.) Ce qui suscite une idée de noblesse, de supériorité morale (un beau geste).
4.
— Pour
KANT, le jugement de goût ne détermine pas son objet en le pensant sous un concept universel, puisqu'il porte
toujours sur un cas particulier ; c'est un jugement réfléchissant dont l'universalité réside dans l'accord des sujets ;
c'est pourquoi le beau est défini comme « ce qui plaît universellement sans concept » ; « la beauté est la forme de
la finalité d'un objet en tant qu'elle est perçue en lui sans représentation d'une fin.
»
Analyse du sujet: Le beau est pris ici substantivement, en sa signification esthétique.
Il est situé dans la sphère
de l'inutile.
Rappelons-nous, avec T.
Gautier, que l'utile est toujours laid.
Aussi la définition proposée nous paraît-elle
judicieuse.
Introduction & Problématique:
A première vue, les oeuvres d'art, un tableau, une sculpture, un morceau de musique ne paraissent avoir aucune
utilité: ce sont de beaux objets, qui "ne servent à rien", sinon à nous procurer une émotion esthétique.
Toutefois,
un grand nombre d'objets que nous ne considérons plus que comme des oeuvres d'art ont primitivement été des
objets utiles, ont été conçus pour répondre à des fonctions pratiques: tel un temple égyptien, telle peinture
médiévale ou tel masque africain avaient chacun une fonction religieuse; tous étaient d'abord utiles.
De même,
beaucoup d'objets utiles que nous fabriquons aujourd'hui, cette robe haute couture, cette voiture, ce pont
d'architecture, nous semblent également beaux.
La question se pose donc des rapports entre la beauté et l'utilité
des objets: un objet peut-il réellement être à la fois utile et beau ? Y a-t-il distinction, complémentarité, identité ou
contradiction entre l'utilité et la beauté ? Si l'on répond qu'un objet peut être à la fois utile et beau, est-ce parce
que la beauté est simplement compatible avec l'utilité ? Ou est-ce parce que la beauté s'identifie avec l'utilité ? Si,
en revanche, on répond qu'un objet ne peut pas être à la fois utile et beau, cela implique que l'utilité et la beauté
ne sont pas seulement deux qualités distinctes, mais deux qualités contradictoires...
Un objet serait-il beau parce que utile ?
L'idée qu'un objet puisse être dit « beau » parce qu'il est utile nous paraît aujourd'hui
assez étrange.
L'appréhension moderne de la beauté et de l'art dissocie en effet
nettement la beauté de l'utilité.
Mais une telle conception n'est pas universelle et n'a
pas toujours prévalu.
Dans l'Antiquité grecque, par exemple, la beauté d'un objet était
souvent associée à son utilité, le beau étant saisi comme « convenable », comme «
correspondant à sa destination », et donc comme « utile ».
C'est une telle vue que l'on
retrouve dans des ouvrages de Platon, tels que l'Hippias et le Gorgias, où Socrate
explique que les belles choses sont dites « belles » en raison soit de leur utilité, soit du
plaisir qu'elles procurent, soit des deux à la fois.
Écoutons Socrate :
« SOCRATE – Autre question : les choses qui sont belles, qu'il s'agisse de corps, de
couleurs, de figures, de sons ou de manières de vivre, est-ce sans motif que tu les
appelles belles ? Par exemple, pour commencer par les corps, ceux que tu appelles
beaux, ne les désignes-tu pas en considération de leur utilité selon ce qui est propre à
chacun, ou bien par rapport au plaisir, si leur vue peut réjouir les regards ? Hors de cela,
peux-tu indiquer quelque autre motif qui te fasse dire qu' un corps est beau
Polos – Aucun.
SOCRATE – Et de même les autres choses, les figures et les couleurs, n'est-ce pas pour un certain plaisir, ou pour
une utilité, ou pour ces deux motifs à la fois, que tu les qualifies de belles POLOS — Oui.
SOCRATE — De même encore pour les sons et tout ce qui concerne la musique ?
POLOS — Oui [...j.
Voici enfin, Socrate, une bonne définition du beau, maintenant que tu le définis par le plaisir et
l'utilité »
(Gorgias, 474d-475a, trad.
d'A.
Croiset, Les Belles Lettres, 1997).
La beauté est en réalité inutile
Émanciper la beauté de l'utilité
Quand Polos dit que le beau se définit par « le plaisir et l'utilité », il emploie pour désigner cette seconde
caractéristique le mot grec agathon, qui signifie au sens large « bon » et « bien ».
Chez les Grecs de l'Antiquité, en
effet, le « beau » (kalos) est fréquemment identifié avec le bien et a souvent un sens purement éthique (le bien et
le beau seront même complètement identifiés par les stoïciens).
Il désigne alors une haute qualité morale, comme
lorsque nous parlons d'une belle action.
Il s'oppose à l'agréable (êdu), source de plaisir, et à l'utile, au profit
personnel (ôphélimon, sumpheron) : une « belle » action se fait en effet pour elle-même, en principe sans autre
considération d'utilité que la satisfaction morale qu'on en retire.
Certes, contrairement aux actes et aux pensées, on
ne saurait donner une valeur morale à un objet pris en lui-même, sauf dans la mesure où il véhicule une signification
qui, elle, peut être jugée d'un point de vue éthique.
Néanmoins, le caractère gratuit des belles actions, de la beauté
éthique, va retentir et pour ainsi dire se déplacer sur les beaux objets, en éliminant graduellement l'utilité de la.
»
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